Série indienne ~ Un code de règles éthiques fondamental en Inde : les Lois de Manu

Alors que paraît le dernier volume de notre série indienne, revenons avec Daniele Cuneo sur ces  » dix stations littéraires dans la société indienne », reprises dans un coffret d’exception en série limitée.

Série indienne : notre série de collection 2022

Dix classiques pour regarder l’Inde dans les yeux

Avec la série indienne dont les dix parutions prévues courront sur toute l’année 2022, les Belles Lettres vous convient à vous initier aux secrets immensément riches de l’Inde classique.

Dans la ligne droite de la politique éditoriale des Belles Lettres, cette série cherche à éclairer une culture par ses textes : celle de l’Inde et « des Indes ».

Les dix textes retenus font référence les uns aux autres de sorte que la lecture d’un des volumes éclaire celle des autres. De nombreuses références croisées entre les volumes accompagnent le lecteur dans cette démarche de construction progressive d’un tableau culturel polychrome.

En miroir de chaque texte, des illustrations originales offrent un éclairage contemporain sur des œuvres souvent méconnues du lectorat francophone. Ces créations graphiques sont signées par de talentueux artistes de renom. 

Les livres se présentent dans un format semi-poche (12,5 x 19 cm) relié et pérenne, fruit d’un assemblage de matières aux couleurs vives et contrastées pensé par Scott Pennor’s. Les motifs qui les animent ont été cueillis puis dessinés par le photographe anglais Henry Wilson (1959-2017), ébloui sa vie durant par la beauté des ornements indiens.


Les Lois de Manu • Le Manavadharmashastra

Apprenez cette Loi que suivent les hommes instruits, que reconnaissent dans leur cœur les gens vertueux, toujours exempts de haine et de passion.

Probablement composées au IIsiècle av. J.-C., Les Lois de Manu sont l’un des codes de règles éthiques, politiques et juridiques les plus célèbres de l’Antiquité. Leur notoriété tient notamment à l’ampleur des sujets abordés : de la façon de rendre la justice aux règles pour la vie de famille, des doctrines cosmogoniques aux indications pratiques sur l’alimentation, sans oublier un certain nombre de recommandations sur l’art de gouverner qui font écho au Manuel du Prince indien publié en début d’année dans cette même série


Recueil des pratiques mais aussi code de lois visant à l’établissement d’une normeLes Lois de Manu ont constitué à plusieurs reprises dans l’histoire un instrument idéologique utilisé tant par les brahmanes orthodoxes comme moyen de contrôle social que par leurs opposants pour stigmatiser la domination qu’ils subissaient. Il s’agit d’un ouvrage essentiel pour comprendre la société indienne. L’introduction de Federico Squarcini et Daniele Cuneo resitue le traité dans son contexte de composition pour comprendre le statut de ce texte qui fit l’objet de nombreuses mésinterprétations. Elle permet aussi de comprendre pourquoi le roi et les brahmanes y occupent une place si importante. Elle évoque enfin les récupérations politiques ultérieures de ce traité. 

Au fil du texte, le lecteur voit se dessiner un portrait de la société brahmanique traditionnelle et de ses 4 castes : les brahmanes (prêtres), les kshatriya (guerriers), les vaishya (commerçants) et les shudra (servants). Pour illustrer ce dernier volume de la « Série indienne », nous reproduisons des clichés, pris dans les alentours de Pondichéry à la toute fin du XIXe siècle. Ces photos, tout à fait inédites, appartiennent au fonds Asie du Sud-Est et Monde Insulindien (ASEMI) de la bibliothèque des Lettres de l’Université Côte d’Azur. 


~ Note éditoriale ~

~ Note éditoriale ~

Cette traduction des Lois de Manu est celle de Georges Strehly, publiée en 1893, sur la base de l’édition de référence du texte par J. Jolly, publiée à Londres en 1887.

À l’occasion de la présente publication, la traduction a été légèrement remaniée par endroit et l’appareil de notes a été revu, compte tenu notamment de l’édition critique du texte publiée par Patrick Olivelle en 2005, ainsi que des études et des traductions auxquelles elle a donné naissance.

Les photographies illustrant cet ouvrage ont été prises en Inde du Sud à la fin du XIXe siècle. Elles sont conservées dans le fonds Asie du Sud-Est et Monde Insulindien (ASEMI) de la bibliothèque de Lettres d’Université Côte d’Azur qui les a récemment inventoriées et numérisées.

LES LOIS DE MANU • Le Manavadharmashastra

Introduction de Federico Squarcini, Daniele Cuneo et Patrick Olivelle. Traduction de Georges Strehly. Photographies tirées du fonds ASEMI

Lire relié • 432 pages • 21 illustrations en couleurs • Index • 12,5 x 19 cm • 26,90 €

En librairie ou sur notre site internet.


La Série indienne en un coffret

Cet écrin cartonné, ourlé de motifs floraux et animaux couleur d’or, s’ouvre sur dix grands classiques éclectiques qui se répondent pour brosser un portrait riche et subtil de l’Asie du Sud.
Des fables animalières aux traités théoriques, des poèmes épiques aux contes philosophiques, offrez-vous un voyage littéraire et intellectuel à l’intérieur d’une culture millénaire fascinante. 

Édition limitée – Coffret cartonné, marquage doré à chaud. Numéroté de 1 à 300.


Daniele Cuneo, maître de conférence en sanskrit et civilisation indienne à l’Université Sorbonne nouvelle (Paris 3), est le traducteur, avec Federico Squarcini, de l’édition italienne des Lois de Manu (Il trattato di Manu sulla norma, Einaudi, 2010). Il signe l’introduction de notre édition, et pour l’occasion de notre Série indienne, proposé cette mise en lumière, publiée dans notre bulletin annuel 2022, tout juste paru.

Choisir dix œuvres pour dépeindre la société indienne, multimillénaire et en constante évolution, relève du pari quasi impossible. Pourtant, chacun des volumes de cette «Série indienne » offre un éclairage aussi judicieux que profond sur un profil fondamental de son visage actuel.

Comment ne pas évoquer d’abord ce que nous appelons aujourd’hui les Upanishad, l’œuvre qui « fut la consolation de ma vie et la consolation de ma mort » de Schopenhauer. La Brihadaranyaka et la Chandogya, les deux plus anciennes Upanishad, condensent l’expression d’une société en ébullition, fruit d’une époque de développement économique et d’urbanisation croissante dans la vallée du Gange. L’ancienne société semi-nomade était organisée autour du sacrifice aux dieux, alors monopole de la classe sacerdotale des brahmanes. Cette dimension sacrificielle est soudain entrée en conflit avec des mouvements ascétiques, dont le bouddhisme deviendra l’expression la plus célèbre, ainsi qu’avec de nouvelles conceptions de la réincarnation et de la rétribution karmique. Selon la nouvelle vision du monde entretenue par différents groupes ascétiques, la vie humaine est intrinsèquement douloureuse et elle se répète sans fin dans un cycle de réincarnations déterminé par nos actions dans le monde. La réponse ascétique d’abandon de toute activité au profit d’une vie contemplative s’est opposée frontalement à l’éthique de l’engagement mondain et du sacrifice aux dieux qui était la norme de la société préupanishadique.

Toujours en réponse à ces bouleversements sociaux qui commencèrent vers le milieu du premier millénaire avant notre ère, la classe sacerdotale propose une nouvelle synthèse religieuse qui donnera naissance au brahmanisme, l’ancêtre de l’hindouisme contemporain. Un texte comme les Lois de Manu (premiers siècles de notre ère) incarne et détermine cette transformation, avec sa prescription (et non sa description) d’une société hiérarchisée dans laquelle les brahmanes figurent au sommet du système de classes, suivis par la classe politique des guerriers ou kshatriya. C’est grâce à Manu que le système de classes et de castes obtient sa formulation classique, avec ses principes de pureté rituelle, d’endogamie et de commensalité restreinte. S’il est vrai qu’une stratification sociale complexe et souvent rigide a toujours été, et demeure, une caractéristique de l’histoire du sous-continent indien, il faut aussi résister à tout stéréotype galvaudé sur l’Inde éternelle et l’immobilité castale. Les tentatives de codification et de contrôle par les élites ne sont toujours que partielles et la mobilité sociale et les tensions communautaires représentent un trait constitutif de l’histoire indienne comme de toute autre partie du globe.

La tension entre pouvoir religieux et pouvoir politique innerve un autre texte clé de cette période, l’Arthashastra, le traité de politique par excellence de l’Inde classique. L’âpreté codificatrice de la culture brahmanique ressort également de manière évidente dans d’autres traités d’une valeur théorique et pratique incontestable, comme le Mayamata, véritable encyclopédie de l’architecture et de l’urbanisme, ou encore la vaste littérature médicale rassemblée dans l’Ayurveda, chasse gardée d’un petit cercle d’experts reconnus, souvent considérés comme une caste de brahmanes.

Les transformations religieuses et sociales se reflètent aussi dans deux textes qui figurent l’émergence du vishnouisme, un courant théiste pour lequel Vishnu (ou parfois Krishna, son incarnation) représente le dieu suprême. Il s’agit de la célèbre Bhagavadgita, considérée comme l’« évangile de l’hindouisme », un dialogue philosophique entre Krishna et Arjuna ayant lieu avant la grande guerre qui mettra fin à une ère du monde, et de la moins connue Kailasayatra, dans laquelle la dévotion au divin devient le moyen de surmonter non seulement toutes les barrières entre les classes sociales, mais même entre les humains et les ogres.

La série comprend en outre deux textes littéraires. Le Hitopadesha constitue un célèbre recueil de contes, dans lequel humains et animaux interagissent. L’auteur y réécrit les fables traditionnelles visant à instruire et à éduquer les jeunes princes. Le Raghuvamsha, en revanche, représente un texte littéraire très raffiné. Ce poème épique composé par Kalidasa, le poète le plus vénéré de l’Inde classique, glorifie la lignée solaire de Raghu et Rama, qui restera pendant des siècles la référence mythique et la légitimation d’innombrables dynasties historiques de l’Inde médiévale.

La série s’achève enfin avec le seul texte qui n’a pas été composé en sanskrit, le Babur-nama, ou Livre de Babur, une œuvre autobiographique du fondateur de la dynastie moghole, témoignage de l’immense importance que l’Islam a acquise dans la culture indienne, devenant une partie intégrante et fertile de celle-ci jusqu’à nos jours. Toutefois, la prédominance de textes composés en sanskrit, expression privilégiée de la classe sacerdotale dont Michel Angot dit justement un mot, témoigne du fait que cette série de dix stations littéraires n’a pour vocation que d’offrir un aperçu –nécessairement lacunaire– de la diversité sociale, culturelle et religieuse de ce que nous appelons aujourd’hui le sous-continent indien, qui fut le berceau de religions telles que le bouddhisme et le jaïnisme, un carrefour de civilisations, et un véritable creuset de cultures. Cet aperçu vise à être enrichi par l’apport renouvelé de chercheurs.


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