Série indienne ~ L’Arthashastra de Kautilya ou le traité politique par excellence

Comment le roi doit-il gouverner pour asseoir le pouvoir de son État ? Ce classique de la politique ancienne rejoint notre nouvelle série d’édition consacrée aux textes de l’Inde classique, scandé par les photographies du Manuscriptistan, ce « lieu des manuscrits » dévoilé par Anthony Cerulli.

Dix classiques pour regarder l’Inde dans les yeux

Avec la série indienne dont les dix parutions prévues courront sur toute l’année 2022, les Belles Lettres vous convient à vous initier aux secrets immensément riches de l’Inde classique.

De toutes les questions que nous posent chaque civilisation et auxquelles notre maison s’attache à répondre en publiant les grands textes de chacune, celle du gouvernement des hommes le plus efficace, juste et honorable revient sans cesse.
Alors que le contexte politique national et mondial redevient mouvant et complexe, le Manuel du prince indien ajoute ses leçons et instructions à la bibliothèque universelle des idées. Un « lieu des manuscrits » que retrouve en dur Anthony Cerulli, qui a photographié durant des décennies ce qu’il nomme Manuscriptistan, afin de révéler l’art du manuscrit en Inde dans une postface inédite.


Manuel du Prince Indien – L’Arthashastra de Kautilya

« Celui qui ne sait pas garder le secret, ses affaires péricliteront à coup sûr, même si elles avaient d’abord réussi, comme un bateau désemparé sur l’océan. »

« Le célèbre Traité politique de l’Inde ancienne – l’Arthaśāstra – avait été presque oublié lorsqu’au début de ce siècle on en retrouva des fragments, puis le texte complet ; en 1909, il fut édité et traduit en anglais par R. Shamasastri. Depuis, il a été plusieurs fois publié, analysé, traduit en anglais, en allemand, en russe et en plusieurs langues de l’Inde.

C’est un monument exceptionnel de la pensée politique ancienne. Il est difficile de préciser dans quelle mesure c’est aussi un document sur la vie politique réelle de l’Inde ancienne. Il ne prétend nullement l’être : il donne des conseils au Prince sur l’art de gouverner ; il ne se réfère à aucun événement, personnage, pays ou ville, et les prescriptions qu’il formule sont censées être valables en tout temps et en tout lieu ; il est abstrait, parfois schématique comme un « modèle ». Cependant, n’importe quel modèle, théorie ou utopie utilisent, sans le vouloir ou le savoir, des matériaux qui ont une date et un lieu et peuvent donc servir de documents. À plus forte raison doit-il en être ainsi d’un ouvrage qui, malgré sa présentation stylisée et presque formalisée, fourmille de détails et précise quel salaire, et en quelle monnaie, il faut donner à tel ouvrier, quelle amende pour telle fraude, comment construire une forteresse, comment éprouver les métaux et opérer les alliages, où acheter les meilleurs éléphants : il est clair que tout n’a pu être inventé.

Kauṭilya est, dans l’Inde, le créateur de la science politique. »

Extrait de l’introduction, par Marinette Dambuyant.


Note éditoriale

~ La sélection proposée dans cet ouvrage ainsi que l’introduction de Marinette Dambuyant ont été publiées pour la première fois en 1971 aux éditions Marcel Rivière et Cie sous le titre L’Arthaśāstra, le traité politique de l’Inde ancienne. La sanskritiste avait alors traduit certains extraits du traité sanskrit et repris pour d’autres les traductions proposées par Louis Renou dans son Anthologie sanskrite publiée en 1947. Comme Marinette Dambuyant l’écrivait déjà en 1971 : « Ces extraits visent seulement – en attendant qu’un érudit donne la traduction française de l’Arthaśāstra – à attirer l’attention sur l’un des fondateurs de la science politique. » • VOIR LE SOMMAIRE •

~ Les photographies reproduites dans cet ouvrage ont été réalisées par Anthony Cerulli, professeur au département « Asian Languages and Cultures » de l’université de Wisconsin-Madison, dans le cadre du projet Manuscriptistan. Elles ont été présentées dans diverses expositions mais n’ont, pour la plupart, jamais été publiées à ce jour. Elles sont accompagnées d’une postface inédite de l’auteur : « L’art dans l’archive : Manuscrits dans l’histoire de l’Inde ».


Le Manuscriptistan

« J’ai commencé mes recherches dans les archives manuscrites d’Inde du Sud en 2003. Je me suis presque toujours occupé de types de textes spécifiques lors de mes séjours d’études des vingt dernières années et, si je ne peux me réjouir de découvertes personnelles aussi fondamentales que celle de l’Arthaśāstra, depuis ma première visite au Kerala en 2003, j’ai été fortement inspiré par ces espaces et par nombre d’objets allant bien au-delà de l’objectif premier de mes recherches. Passer du temps dans ces archives et au sein de leur fonds a constitué une expérience visuelle et sensorielle éclairante. J’ai commencé à photographier les étagères de manuscrits, les espaces et l’architecture des archives où je travaillais, d’abord de manière informelle, pour moi-même, sans idée précise sur la destination finale de ces images.

En 2015, grâce à un financement de la fondation John Simon Guggenheim, j’ai pu transformer ce qui était initialement un complément à mes recherches en projet artistique. Je lui ai donné le nom de « Manuscriptistan ». Ce titre utilise le suffixe persan -stan, qui signifie « lieu » ou « pays », pour évoquer la riche histoire linguistique de la région et ses millénaires de culture manuscrite. « Manuscriptistan » signifie donc « le pays des manuscrits » ou « le lieu des manuscrits ». Les photographies que j’ai prises ne concernent que trois États indiens et le projet ne saurait donc représenter la totalité du pays. Toutefois, les archives photographiées au Kerala, au Telangana et en Uttar Pradesh ne sont pas spécifiques à ces États. Il y a de nombreuses autres collections de manuscrits en Inde et, à grande échelle, l’Inde tout entière peut être envisagée comme le Manuscriptistan. La perspective inverse est également concevable : le Manuscriptistan désigne chaque bibliothèque, chaque lieu abritant des manuscrits. Le projet fournit ainsi une méthode permettant de donner un sens à l’histoire de l’écriture et aux « cultures du livre » en Inde avant l’apparition de l’imprimerie, d’interroger les associations esthétiques entre fonctionnalité, contexte et art.

Je photographie des bibliothèques de manuscrits depuis dix-huit ans, avec une motivation particulière. À première vue, je veux capturer visuellement les objets et les espaces que j’ai vus lors de mes recherches en Inde. Mais cet objectif est sous-tendu par une volonté d’esthétiser le manuscrit et la bibliothèque, de capturer l’émotion esthétique qui surgit en moi lorsque je vois ces objets et que je passe du temps dans ces lieux. Les images de Manuscriptistan – dans les publications, expositions, présentations publiques – renvoient à mes propres réactions quand je vois, étagère après étagère, pile après pile, ces manuscrits sur feuilles de palmier, reliées ou non, quand je marche dans ces espaces éclairés au néon, quand je respire ces odeurs, mélanges de moisissure, de citronnelle et de détergeant, quand je cherche des textes dans les bibliothèques bien rangées rendues vivantes par l’activité de leurs employés, ou au contraire dans les archives silencieuses, délabrées et presque oubliées. »

Extrait de la postface d’Anthony Cerulli.

Si la vie du roi est en danger (Chapitre V, 6)

Si la vie du roi est en danger, le ministre prendra les précautions suivantes.
Avant même qu’on puisse craindre la mort du roi, il veillera, avec les proches et les amis du roi, à espacer les audiences et à ne les permettre que tous les mois ou tous les deux mois, en prétextant que le roi est occupé à des rites pour épargner les difficultés au pays, pour vaincre l’ennemi, pour obtenir une longue vie ou pour avoir un fils. Aux heures où il ne fait pas très clair, il fera voir au peuple et aux représentants étrangers une personne ressemblant au roi laquelle chargera son ministre de leur parler. Avec l’aide du garde d’honneur et du chef des gardes du palais, il s’arrangera pour que toutes les tâches quotidiennes du roi se poursuivent comme à l’ordinaire ; il frappera les malveillants, distribuera les faveurs et défaveurs susceptibles de plaire au peuple, n’accordant cependant que les faveurs utiles.
Il fera rassembler le trésor et l’armée en un même lieu, dans la ville-forte ou à la frontière sous la garde d’hommes de confiance ; il trouvera aussi un prétexte pour rassembler les membres de la famille royale, les princes et les hauts dignitaires.
Si l’un des hauts dignitaires, avec un fort groupe de partisans, en ville ou en forêt, se montrait hostile, il devrait le neutraliser ou l’envoyer dans une expédition dangereuse ou chez un allié.
S’il a lieu de se méfier d’un roi subordonné, il le prendra sous sa surveillance en l’invitant à une fête — mariage, chasse à l’éléphant, foire aux chevaux, donation de terre — ou il fera appel à ses alliés et le liera par un traité inviolable ; ou il suscitera contre lui l’attaque de tribus ou d’ennemis ; ou encore il intriguera avec un prétendant ou un prince en disgrâce à qui il promettra un morceau de son territoire.
Il pourra — secondé par la famille royale et les dignitaires —, avant d’annoncer la mort du roi, présenter le prince déjà couronné. Ou bien il transfèrera graduellement les charges du pouvoir au prince héritier avant d’annoncer la mort du roi.
Si la mort du roi survient à la guerre en pays ennemi, il priera un ennemi de conclure un traité en se présentant comme un ennemi du roi défunt, et il se repliera ; Ou il installera dans la ville-forte l’un des rois subordonnés et se repliera ; ou il reprendra le combat après avoir couronné le prince.

Ecouter cet extrait lu :


… et il conquerra la terre entière, s’il connaît bien la politique.
(Arthaśāstra, VI, 1, fin.)

Le pouvoir de l’État

Feuilletez l’extrait du début du Manuel du Prince indien :


MANUEL DU PRINCE INDIEN

L’Arthashastra de Kautilya

Morceaux choisis introduits, commentés et traduits du sanskrit par Marinette Dambuyant. Photographies et postface par Anthony Cerulli

Lire relié • 272 pages • 17 photographies reproduites • 12,5 x 19 cm • 23 €

Disponible en librairie depuis le 15 avril 2022, ou sur notre site internet.


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