Aux sources de la Babylonie hellénistique : 31 textes traduits et contextualisés

Le royaume séleucide, héritier en Orient des conquêtes d’Alexandre, rassemble des populations extrêmement diverses, mais rares sont les sources qui adoptent le point de vue des communautés locales non grecques intégrées à ce vaste ensemble. Ce livre entend donner un accès aisé aux textes babyloniens, qui rende justice à leurs multiples influences, gréco-macédonienne d’une part, suméro-akkadienne d’autre part. *Au programme de l’agrégation d’Histoire et du CAPES*

Le royaume séleucide, héritier en Orient des conquêtes d’Alexandre, rassemble des populations extrêmement diverses, mais rares sont les sources qui adoptent le point de vue des communautés locales non grecques intégrées à ce vaste ensemble. Les textes babyloniens, rédigés sur argile par les populations liées aux temples locaux, occupent donc une place à part qui justifie pleinement leur importance dans le récent renouveau historiographique des études hellénistiques. Mais leurs auteurs sont aussi les héritiers d’une histoire mésopotamienne millénaire, qui doit être prise en compte sous peine de mal les comprendre. Ce livre entend donc donner un accès aisé à ces documents, qui rende justice à leurs multiples influences, gréco-macédonienne d’une part, suméro-akkadienne d’autre part. En fournissant une nouvelle traduction d’un choix de textes particulièrement significatifs, assortie de commentaires et d’annexes, il donne au lecteur les clés permettant un accès direct à une documentation qui mérite toute sa place au sein des études hellénistiques.

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Une civilisation urbaine ancienne

Extrait de l’introduction

Les Grecs ont appelé la région située entre le Tigre et l’Euphrate la Mésopotamie, la « région d’entre les deux fleuves ». Ils la connaissent depuis au moins le VIIIe siècle, puisque c’est de cette époque, dite néo-assyrienne, que datent les premiers témoignages écrits mentionnant des Grecs dans la région. À partir de la fin du VIe siècle, la constitution de l’empire perse achéménide, qui englobe tout à la fois la Mésopotamie et des régions habitées par des Grecs, entraîne un accroissement des contacts. Quelques voyageurs rapportent, en Grèce, leurs souvenirs de ces contrées lointaines, dont on trouve des échos dans les œuvres d’Hérodote, Ctésias ou Xénophon. Mais les contacts restent limités, et les mondes grec et mésopotamien s’ignorent encore largement lorsqu’en 331 Alexandre le Grand remporte à Gaugamèles une victoire sur Darius III qui lui ouvre les portes de la Babylonie [cf. Chapitre 1].

Le monde qui se dévoile alors aux armées conquérantes est le produit d’une civilisation millénaire, dont la complexité et les réalisations n’ont rien à envier à celles des Grecs. C’est une civilisation urbaine, dans laquelle certaines grandes villes constituent des pôles économiques, culturels et religieux de tout premier ordre. C’est le cas d’Uruk, qui fut parmi les toutes premières grandes cités mésopotamiennes. Elle connut, à la fin du IVe millénaire, une période d’extraordinaire dynamisme, au cours de laquelle elle créa ou contribua à diffuser des inventions majeures. L’écriture en est, aux yeux des historiens, la plus spectaculaire, mais la mise en place d’une religion structurée, d’une civilisation urbaine ou du tour de potier permettant l’intensification de la production artisanale constituent également des avancées importantes, auxquelles on peut encore ajouter la roue. Uruk resta, pendant plus de trois millénaires, une cité prospère et florissante, encore bien vivante lorsqu’arrivent les conquérants gréco-macédoniens qui l’appellent Orchoï. Son temple principal, l’Eanna, dédié à la déesse Ištar, fut longtemps l’un des principaux sanctuaires de Mésopotamie, mais il est remplacé à l’époque hellénistique par le Bīt Rēš, dédié à Anu et à sa parèdre Antu. Ce temple et les personnages qui le fréquentent sont parmi les mieux connus de la Babylonie hellénistique, par l’archéologie et les textes.

C’est sans doute Babylone qui marqua le plus les nouveaux arrivants, tant par son ancienneté que par son importance politique, économique, culturelle et religieuse. La ville a connu, à partir du IIe millénaire, une destinée hors du commun. Au XVIIIe siècle, Hammurabi, roi de Babylone, se rendit en effet maître des villes de la région ainsi que des agglomérations du nord, jusqu’à Mari ou Ešnunn. Babylone se trouva alors à la tête d’un royaume dont les dimensions dépassaient largement celles des traditionnelles cités-États du IIIe millénaire. La chute de la dynastie, en 1595, n’y changea rien : Babylone resta un centre culturel et religieux majeur, au point qu’il fallut réorganiser le panthéon suméro-akkadien pour faire place à sa divinité poliade, Bēl-Marduk.

Le Ier millénaire fut celui de la constitution de grands empires qui couvraient l’ensemble de la Mésopotamie et s’étendaient jusqu’à la côte levantine, voire l’Égypte. Babylone subit, dans les premiers siècles du millénaire, l’influence puis l’expansion du royaume du nord, l’Assyrie. Mais, à partir de 626, son souverain Nabopolassar reconquit l’autonomie de la région, puis en fit la capitale d’un empire qui s’étendait lui aussi jusqu’à la Méditerranée. Cette époque néo-babylonienne dura à peine un siècle (626-539), mais ce siècle fut celui d’une grande prospérité pour Babylone et la Babylonie. Les produits des pillages et des tributs prélevés dans tout le Proche-Orient permirent d’embellir la capitale de l’empire, qui devint l’une des villes les plus peuplées et les plus brillantes du monde antique. Son sanctuaire principal, l’Esagil, dédié à Bēl-Marduk, profita de cet afflux de richesses à l’ombre de sa tour à étages, la ziggurat de l’Etemenanki, modèle de la tour de Babel biblique. Les richesses de l’empire néo-babylonien permirent également de ceindre la ville d’une formidable muraille double dont Hérodote (I, 179) donne une description impressionnée, à défaut d’être réaliste. La conquête par Cyrus II, en 539, ne porta pas de coup d’arrêt à ce brillant VIe siècle. Si Babylone perdit sa puissance politique, elle demeura une capitale économique, religieuse et culturelle majeure. Les révoltes de 484 contre Xerxès, qui portèrent un coup sévère aux élites traditionnelles et à certains temples babyloniens, ne ternirent guère son image. Le sanctuaire de Bēl-Marduk demeura, à l’arrivée d’Alexandre et pendant toute l’époque hellénistique, un haut lieu de la culture antique.

La splendeur de Babylone à l’époque néo-babylonienne ne doit pas faire oublier que d’autres cités de Mésopotamie prospérèrent également, pour certaines jusqu’à l’époque hellénistique. Les prospections archéologiques menées dans la région attestent généralement, pour la période, une augmentation de population. Celle-ci semble témoigner d’une réelle prospérité, même si les fouilles ont touché de manière inégale les différentes régions de Babylonie, ce qui complique les travaux comparatifs. Si Sippar, au nord, paraît décliner, la région autour de Babylone, qui englobe les sites de Borsippa, de Kiš-Hursagkalama ou de Kutha a livré des vestiges textuels ou archéologiques jusqu’à l’époque hellénistique. La Babylonie centrale, dont Nippur est le principal centre urbain, a livré moins de témoignages, mais Pline l’Ancien rapporte qu’elle était le siège d’une école d’astronomie. Uruk, au sud, forme un troisième foyer de peuplement important, bien que ses voisines, Larsa et Ur, connurent à l’époque hellénistique un déclin réel. À ces foyers de peuplement anciens s’ajoutent les fondations macédoniennes, Séleucie-du-Tigre, mais aussi Alexandrie-du-Tigre, au fond du Golfe persique [cf. Annexe 3].

Un mot sur les auteurs

Julien Monerie est maître de conférences en histoire du Proche-Orient ancien à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages portant sur l’histoire de la Babylonie hellénistique et parthe.

Philippe Clancier est maître de conférences HDR en histoire du Proche-Orient ancien à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et responsable des recherches épigraphiques sur le site irakien de Kunara. Ses travaux portent notamment sur les sanctuaires et les notabilités babyloniennes.

Laetitia Graslin-Thomé est maître de conférences en histoire ancienne à l’université de Lorraine et membre junior de l’I.U.F. Elle a publié plusieurs ouvrages portant sur l’économie mésopotamienne et l’histoire politique hellénistique.