Aux fondations de Fondation d’Isaac Asimov : l’histoire romaine – Par Dorian Furet

Alors que nous faisons paraître la première traduction française de la République romaine d’Isaac Asimov par Christophe Jaquet, Dorian Furet, dans un article inédit pour notre bulletin annuel en librairie prochainement, nous éclaire sur l’importance capitale de l’influence antique d’Asimov sur la conception de son cycle mondialement reconnu, Fondation. Nous vous l’offrons à lire ici en intégralité et en avant-première.

« J’entends raconter, dans ce livre, la première partie de l’histoire romaine : celle de son ascension à la puissance.
Elle contient une suite extraordinaire de triomphes et de désastres, de faits de bravoure au combat et de bêtise dans la paix, d’intrigues sordides et d’idéalisme glorieux. Et j’entends privilégier ici les transports de la guerre et de la politique. »
ISAAC ASIMOV

L’ÉCRIVAIN AMÉRICAIN D’ORIGINE RUSSE ISAAC ASIMOV (1920-1992), MONDIALEMENT CÉLÈBRE POUR SES TROIS GR ANDS CYCLES DE SCIENCE-FICTION (FONDATION, EMPIRE ET LES ROBOTS) A TISSÉ, TOUT LE LONG DE SON ŒUVRE PROLIFIQUE, DES PASSERELLES ENTRE LES TEMPS DE L’HISTOIRE RÉELLE ET CONJECTURÉE.

BRILLANT SCIENTIFIQUE S’ÉTANT ORIENTÉ VERS L’ÉCRITURE ET AYANT PARTICIPÉ À LA SECONDE GUERRE MONDIALE, SON ESPRIT FUT NOURRI DE MULTIPLES CONNAISSANCES ET EXPÉRIENCES QUI ONT STIMULÉ LA RÉDACTION DE CENTAINES D’OUVRAGES.

FASCINÉ PAR L’HISTOIRE ANTIQUE, IL EN A VULGARISÉ À TRAVERS PLUSIEURS LIVRES LES PROCESSUS D’APOGÉE ET DE DÉCLIN, CONDITIONNÉS SELON LUI PAR L’APPÉTIT DES HOMMES POUR LE POUVOIR, ET, PARTANT, LE SPECTRE DE LA GUERRE.

L’EMPIRE ROMAIN EN PARTICULIER A ÉTÉ UNE SOURCE DE RÉFLEXION DÉTERMINANTE LORS DE L’ÉCRITURE DU CYCLE DE FONDATION. NOUS EN LIVRONS ICI QUELQUES EXEMPLES.

PAR DORIAN FURET.

« Trantor : … La population, à son maximum, y dépassa largement les quarante milliards d’individus, lesquels se consacraient presque tous à l’administration de l’Empire,  et encore suffisaient-ils à peine à accomplir une tâche aussi complexe. (On se souvient que l’incapacité des derniers empereurs à assurer l’administration contribua pour une part importante à la chute de l’Empire.) Chaque jour, des  dizaines de milliers de vaisseaux apportaient la production de vingt planètes agricoles pour garnir les tables de Trantor…
… Au cours du dernier millénaire de l’Empire, d’innombrables  révoltes se mirent à éclater avec une régularité implacable… » Encyclopedia Galactica [1]

S’il est un écrivain qui a su comprendre et s’approprier les rouages et les enjeux qui régissent les phases de construction, de fonctionnement, et de déclin d’un empire, c’est bien Isaac Asimov. Dans son Cycle de Fondation, l’auteur narre le déclin de l’Empire galactique dont Hari Seldon, créateur de la psychohistoire – discipline consistant à prédire l’avenir  à partir des mathématiques et des comportements  des groupes humains –, a annoncé la date de la chute.

Cependant, Seldon a prévu un plan pour réduire la durée de l’ère de barbarie qui suivra cet effondrement  avant le renouveau d’une civilisation qui fera suite à  l’Empire. Une partie de ce plan consiste à consigner les savoirs de l’humanité dans une grande encyclopédie, l’Encyclopedia Galactica, afin que les générations futures  n’aient pas à redécouvrir toutes les technologies. C’est avec un extrait de l’entrée « Trantor » – capitale de l’Empire galactique – de cette encyclopédie que s’est ouvert cet article. Quiconque est familier de l’histoire romaine y aura reconnu des similitudes flagrantes avec le déclin de l’Empire romain, et cela pour une bonne raison : Asimov était obsédé par la notion d’empire.

Et quelle meilleure source d’inspiration pour écrire sur ce sujet que son plus grand exemple dans l’histoire ?

En 1941, le jeune Isaac Asimov, étudiant en chimie, a l’idée de transposer la chute de l’Empire romain dans un  futur lointain. Au-delà des classiques antiques, l’écrivain révère une source : l’Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain d’Edward Gibbon [2]. Pour comprendre la démarche d’Asimov, faisons le processus inverse : transposons L’Empire galactique d’Asimov à l’Empire romain. Trantor est donc l’équivalent de Rome. La seule différence notable semble être une question d’échelle.

Là où Rome a voulu régenter tout le bassin méditerra-néen et au-delà, jusqu’en Bretagne et en Mésopotamie, l’infuence de Trantor s’étend à 25 millions de mondes habités. Des empires différents par leur taille, certes, mais qui représentent dans les deux cas la quasi-totalité du monde connu.

Revenons à notre entrée de l’Encyclopedia Galactica. Après 500 ans de République, la naissance d’un Empire et une « Pax Trantorica » [3] – l’inspiration de l’histoire romaine n’est plus à prouver – la première difficulté mise en récit par Asimov est l’administration d’un si grand territoire, dont l’échec fut l’une des principales sources du déclin de l’Empire galactique. La gestion de l’Empire romain fût également d’une grande complexité pour ses empereurs.
À partir du IIe siècle, les campagnes se désertifient en conséquence d’une crise démographique [4] et d’impôts de plus en plus lourds à supporter [5], amenant à des crises économiques ; les frontières, trop éloignées du centre névralgique qu’est Rome, qui commence à perdre de son autorité au profit des villes d’Orient, ont du mal à être tenues [6], et, pour couronner le tout, « se succèdent au IIIe siècle des empereurs souvent fous, incapables de gouverner. » Souvenons-nous de « l’incapacité des derniers empereurs à assurer l’administration » que nous venons de lire dans l’Encyclopedia Galactica.

La capitale de l’Empire galactique, surpeuplée, est approvisionnée en nourriture par vingt planètes agricoles. La comparaison avec Rome, cité d’un million d’habitants approvisionnée par l’Afrique et notamment l’Égypte, son « grenier à blé » [8], s’impose à nouveau d’elle-même.

Quant aux révoltes mentionnées dans le passage de l’encyclopédie, la paupérisation des propriétaires des campagnes romaines qui laissent leurs terres à des esclaves miséreux, prêts à suivre des mouvements de rébellion comme celui de Spartacus dès la fin de la République, ou encore l’enrôlement de chrétiens et de mercenaires dans l’armée romaine – en manque d’effectifs et de moins en moins compétente [9]  pour couvrir ce vaste territoire – qui se montrent rebelles au culte de l’empereur [10] sont autant d’exemples qui font échos à l’œuvre d’Asimov.

« CE SONT LES MILITAIRES ET LA POLITIQUE, QUOI QU’IL EN SOIT, QUI AURONT LA PLUS GRANDE PART DE L’HISTOIRE. »

L’histoire romaine est donc reprise dans les grandes lignes de Fondation, mais des références bien plus concrètes et subtiles parsèment aussi le texte d’Asimov. Prenons par exemple le général Bel Riose, qui a pour mission de reconquérir les territoires perdus de l’Empire galactique. Ce personnage n’est autre que le pendant futuriste de Bélisaire (Belisarios), général byzantin au service de l’empereur Justinien qui reconquit des territoires de l’Empire romain [12] et dont Bel Riose tire même son nom. La fin de Bel Riose, qui fut, pour toute récompense de ses services, exécuté par l’Empereur qui craignait un complot, peut également se rapprocher de celle d’Aetius, général romain assassiné de la main de l’empereur Valentinien III qui le soupçonnait de vouloir l’écarter du pouvoir [13]. Le pillage de Trantor par Gilmer [14]  – dont le nom fait étrangement songer à Gélimer, dernier roi des Vandales d’Afrique vaincu par Bélisaire [15] – peut également être comparé au sac de Rome par les Wisigoths en 410 [16].

Si ce sont surtout des références à l’Empire romain que nous retrouvons dans Fondation, Asimov s’est intéressé à toute l’histoire antique, et ce de manière bien plus directe qu’en transposant ses événements à un univers de science-fiction. Comment ? En rédigeant une série d’ouvrages historiques, dont La République romaine, qui est aujourd’hui introuvable en anglais. Dans l’introduction de ce volume, Asimov annonce que « ce sont les militaires et la politique, quoi qu’il en soit, qui auront la plus grande part de l’histoire » qu’il va raconter. Cet avertissement confirme les sujets de prédilection de l’auteur, qui sont également les points principaux des intrigues du Cycle de Fondation.

Ainsi, pour savoir comment un grand maître de la narration,  qui a su créer un univers futuriste et imaginer les enjeux de ses civilisations, raconte la période de l’histoire qui l’a toujours fasciné et dont il tire une grande partie de son inspiration, quoi de mieux que de lire La République romaine [17] ?

Car il faut bien un peu de Rome antique pour écrire « la meilleure série de SF de tous les temps » [18].

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Notes :

1  ASIMOV Isaac, Fondation, Denoël, 2022, p. 24.
2  GAUTHERET Jérôme, « Le cycle de « Fondation », une histoire  du futur », dans Le Monde des Livres, 18 janvier 2007.
3  Voir Isaac Asimov, Les Courants de l’espace.
4  SCHMIDT Joël, Le déclin de l’Empire romain, Paris, 2018, pp. 20-21.
5  MCMULLEN Ramsay, Le déclin de Rome et la corruption du pouvoir, Paris, Les Belles Lettres, 2004, pp. 72-78.
6  LUTTWAK Edward, La grande stratégie de l’Empire romain, Paris, Economica, 2009, pp. 183-202.
7  SCHMIDT Joël, Le déclin de l’Empire romain, Paris, 2018, p. 114.
8  VIRLOUVET Catherine, « Un million de bouches à nourrir ! » dans L’Histoire n°234, 1999.
9  MCMULLEN Ramsay, Le déclin de Rome et la corruption du pouvoir, Paris, Les Belles Lettres, 2004, p. 296 et LUTTWAK Edward, La grande stratégie de l’Empire romain, Paris, Economica, 2009, pp. 258-264.
10  SCHMIDT Joël, Le déclin de l’Empire romain, Paris, 2018, p. 9 et 25.
11  Voir Isaac Asimov, Fondation et Empire.
12  DE  JAEGHERE Michel, Les Derniers Jours, Paris, Les Belles Lettres, 2015, pp. 284-7.
13  DE  JAEGHERE Michel, Les Derniers Jours, Paris, Les Belles Lettres, 2015, p. 437.
14  Voir Isaac Asimov, La Chute de Trantor.
15  DE  JAEGHERE Michel, Les Derniers Jours, Paris, Les Belles Lettres, 2015, p. 485.
16  Ibid.
17  La République romaine d’Isaac Asimov  est parue aux éditions Les Belles Lettres, illustrée par les dessins inédits de Benjamin Van Blancke, qui nous a aimablement autorisés à les reproduire dans cet article.
18  L’unique Prix Hugo de la meilleure série de SF de tous les temps a été décerné en 1966 au Cycle  de Fondation d’Isaac Asimov.

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Asimov, La République romaine, teaser de Benjamin Van Blanck, illustrateur du volume.

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