« Artémidore de Daldis, contemporain (…) de Galien, d’Aelius Aristide et d’Apulée, n’est (…) ni un mystique ni même un médecin, mais il croit en la valeur prédictive des songes indépendamment de toute intervention divine ; il se veut spécialiste de ce qu’il appelle l’« onirocritique », l’interprétation des songes.
C’est d’ailleurs le titre qu’il a donné à son ouvrage sur le sujet, l’Oneirocritique, traduit parfois par La Clef des songes. Si on le mentionne ici, c’est parce qu’il voit des liens entre les rêves du malade et les parties de son corps, ce qui lui permet à lui aussi de prédire l’avenir du patient. Il commence par distinguer deux catégories de rêves dont seule la seconde, qui révèle l’avenir, l’intéresse ; il la subdivise en plusieurs sous-parties, et donne des clés d’interprétation qui pourront prêter à sourire : par exemple, si vous rêvez de diverses parties du corps, souvenez-vous de « l’affinité de la tête avec le père ; du pied avec l’esclave ; de la main droite avec père, fils, ami, frère ; de la main gauche avec femme, mère, amie, fille, sœur ; du membre viril avec parents, femme, enfants ; de la jambe avec femme et amie ». Mais les songes peuvent aussi être prédictifs, et Artémidore en cite de nombreux exemples, comme celui d’un homme qui rêva qu’il avait perdu son nom. De fait, il perdit son fils, sa fortune et un procès où il fut condamné à l’exil ; sur quoi il se pendit et perdit ainsi son nom (on ne mentionnait pas les suicidés dans les banquets funéraires). Le lecteur, lui, est tenté de conclure seulement qu’il est facile de prédire l’avenir une fois que les faits se sont produits.
Il n’est pas question ici de résumer tout l’ouvrage ; disons simplement que le livre est un répertoire de tous les éléments possibles qu’on peut voir dans un songe (êtres vivants, nature, divinités, actions, événements etc.) énumérés dans le moindre détail, avec l’interprétation que doit leur donner le spécialiste. En voici un exemple, où l’on verra que rêver qu’on est crucifié n’est pas toujours un mauvais signe :
Crucifixion. C’est bon d’une part pour tous les gens en mer, si on est brûlé vivant sur la croix. Car la croix est faite de bois et de clous comme le navire, et le mât du navire ressemble à une croix. Bon aussi pour un pauvre, car le crucifié est haut dressé et nourrit beaucoup de rapaces.
Et cela met à découvert les choses cachées : car le crucifié est entièrement visible. En revanche, cela nuit aux riches : car on est mis en croix à nu et les crucifiés perdent leurs chairs. À cause de l’attachement, cela prédit à un célibataire le mariage, mais un mariage qui n’est nullement avantageux ; même doctrine eu égard aux amitiés et associations. Les esclaves, cela les affranchit : car les crucifiés n’ont plus de maîtres. Ceux qui veulent vivre en leur patrie, ceux qui cultivent leur propre terre, ceux qui craignent d’être chassés d’un lieu, cela les chasse et ne leur permet pas de rester là où ils sont : car la croix empêche d’avoir pied sur la terre.
Rêve-t-on qu’on est crucifié dans une ville, cela annonce une magistrature, qui corresponde au lieu où est dressé la croix. (Chap. LIII)
Artémidore se comporte là comme un spécialiste exposant ses compétences interprétatives à d’éventuels clients, et cela sans évoquer le moindre rôle des dieux.
Son œuvre a fait sourire les médecins, mais elle a toujours du crédit chez les amateurs de « clés des songes », et a intéressé de nos jours les psychanalystes, comme Freud qui a contribué à la réhabiliter, en voyant toutefois dans les rêves seulement un éclairage sur le passé, et non une prévision de l’avenir. De son côté, Michel Foucault la mentionne en citant les rêves sur la sexualité rapportés par Artémidore. »
Extrait de Comment connaître l’avenir pour un Grec ancien, de Danielle Jouanna (juin 2023).
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