Introduction à l’Avesta
En guise de préambule, rappelons la parution en septembre 2021 de l’Introduction à l’Avesta. Le récitatif liturgique sacré des zoroastriens, par Jean Kellens et Céline Redard, en co-édition avec le Collège de France, parfait complément au livre de Michael Stausberg, et dont voici la première page :
Il fut écrit que le zoroastrisme était la plus petite des grandes religions. Cette définition traduit une certaine réalité, mais implique que « grand » est compris dans un sens qualitatif et « petit » dans un sens quantitatif alors que tout classement qualitatif des religions est intellectuellement inacceptable. Il vaut mieux relever que le zoroastrisme partage avec les religions les plus familières à l’Occident contemporain la particularité de se référer à des textes anciens. Les quelques dizaines de milliers de zoroastriens qui subsistent dans le monde sont la survivance d’une religion qui était celle des tribus de langue iranienne avant même qu’elles se manifestent dans l’histoire. Leur permanence est aussi celle des textes dont ils gardent aujourd’hui l’usage et où ils veulent lire les péripéties qui forgèrent leur identité. D’une certaine manière, les zoroastriens sont eux aussi des « gens du livre », mais, comme un livre sacré n’est pas l’autre, les pages qui suivent sont consacrées à expliquer ce qu’est le leur. Nous étudierons d’abord la répartition des textes dans les manuscrits, puis leur structure interne, enfin nous chercherons à reconstruire leur histoire • EN SAVOIR PLUS •
Qui ira en enfer, qui au paradis ?
Extrait de Zarathoustra et sa religion, de Michael Stausberg, pages 90 à 94. Traduit de l’allemand par Laurent Cantagrel.
« La question de savoir d’où viennent nos connaissances sur le monde de l’au-delà se pose bien sûr aux croyants également. La plupart des textes de l’Avesta répondent d’avance à cette question en rapportant les conversations au cours desquelles Ahura Mazdâ instruit Zarathoustra. Certains textes écrits en moyen perse vers la fin du premier millénaire de notre ère (mais reprenant vraisemblablement des traditions beaucoup plus anciennes) indiquent en outre que Zarathoustra, après avoir prié en vain son dieu de lui accorder l’immortalité, a été placé pendant un temps dans un état d’omniscience qui lui a permis d’acquérir des connaissances sur l’au-delà et sur l’avenir.
Par ailleurs, à partir du IIIe siècle de notre ère au plus tard, un certain nombre de textes ont développé le thème du voyage extatique dans l’au-delà. Le récit le plus détaillé et le plus accompli sur un plan littéraire est celui que l’on trouve dans Le Livre de Wiraz le Juste, écrit en moyen perse et qui a été traduit en persan moderne, en sanskrit et en gujarati. Il semble avoir été si connu qu’on en retrouve certains motifs dans des littératures de pays voisins (et même chez Dante) et que certains épisodes ont été illustrés par des miniatures, probablement à partir du XVIIe siècle.
Ce texte commence par poser un récit-cadre dans lequel on rapporte que, comme il régnait un grand désarroi religieux, un homme irréprochable, Wiraz le Juste, a été désigné pour réaliser une sorte d’expérience destinée à apporter la preuve que les pratiques rituelles parviennent effectivement jusqu’aux dieux et sont utiles aux âmes des défunts. Après avoir pris des dispositions rituelles, on administre un breuvage spécial à Wiraz, qui s’endort. Son âme quitte alors son corps et franchit la montagne Daïti et le pont de Chinvad pour se rendre dans l’au-delà, où elle rencontre sa daēnā. Elle reste pendant sept jours dans l’au-delà, où elle voit les âmes de Zarathoustra et d’autres héros du passé, et, après avoir entrevu l’Esprit Fétide, perçoit même la lumière et la voix d’Ahura Mazdâ.
Sraosha et Adur, le dieu du feu (le Ātar avestique), le guident alors dans les mondes de l’au-delà. Ils visitent d’abord le Paradis, où l’on montre à l’âme de Wiraz les âmes, vêtues d’habits somptueux, de tous ceux qui ont accompli de manière exemplaire leur profession ou leurs tâches respectives (souverains, épouses, prêtres, agriculteurs, artisans, pâtres, chefs de communauté, éducateurs, médiateurs de paix, amis, etc.). Parmi elles, les premières que rencontre l’âme de Wiraz sont les âmes de ceux qui ont conclu des mariages consanguins.
Souvent commentée, même par des observateurs extérieurs au zoroastrisme, cette forme de mariage entre frères et sœurs ou entre parents et enfants est désignée par une expression spécifique dans les textes zoroastriens prémodernes. Elle n’est néanmoins plus pratiquée de nos jours, et n’est certainement plus considérée comme un mérite religieux. D’aucuns vont parfois jusqu’à en nier la réalité historique. Le droit matrimonial zoroastrien, codifié en Inde et en Iran depuis les XIXe et XXe siècles respectivement (ces deux pays ont des dispositions juridiques particulières pour les minorités religieuses), ne prévoit plus le mariage consanguin ; mais les mariages entre cousins et cousines restent autorisés, alors qu’ils tombent sous le coup du tabou de l’inceste dans le droit de certains pays européens.
Après avoir visité ce paradis fleuri, lumineux et joyeux, Sraosha et Adur conduisent l’âme de Wiraz vers un immense fleuve que, malgré tous leurs efforts, un certain nombre d’âmes – même méritantes – ne parviennent pas à traverser: ce fleuve de l’au-delà est formé par les larmes de deuil versées par les parents survivants. Il s’agit là d’une image exprimant une critique des lamentations funéraires: si le défunt est pleuré, son âme risque de rester bloquée par cette rivière dans son voyage vers l’au-delà. De nombreux textes zoroastriens formulent cette critique – d’autres, au moins à l’époque moderne, montrent qu’il existe aussi des coutumes de lamentations de deuil.
L’âme de Wiraz visite ensuite l’enfer glacial et puant, où elle est témoin de tourments atroces (et parfois franchement pervers), qui seront plus tard illustrés par des miniatures. Dans la description qu’en donne le texte, ces tortures infernales sont encore aggravées par le fait que ceux qui séjournent en enfer ne peuvent pas se percevoir les uns les autres, de sorte qu’ils souffrent d’une solitude et d’un abandon terribles. Dans sa visite de l’enfer, Wiraz le Juste (et le lecteur avec lui) découvre les conséquences qu’entraînent une longue liste de péchés.
Sont mentionnés en premier lieu des péchés d’une gravité particulière : la sodomie, le non-respect des prescriptions concernant les menstruations, le meurtre ainsi que les infractions aux comportements obligatoires pendant les repas – par exemple contre l’interdiction de parler pendant le repas, règle qui ne joue plus aucun rôle de nos jours, même dans la vie quotidienne de personnes qui se veulent «orthodoxes».
Ce récit sur l’au-delà mentionne à plusieurs reprises le péché de mensonge. L’exigence de véracité est en effet une dimension essentielle de l’éthique et de la religiosité zoroastriennes – les témoignages de toutes les époques et de toutes les tendances concordent à ce sujet. Parmi les autres péchés moraux figurent la rupture des contrats, le vol, le faux témoignage, la paresse, l’incitation aux disputes, la destruction de ponts, le fait d’uriner debout ou de marcher avec une seule chaussure (un péché dénoncé dans plusieurs textes!) et celui de ne pas porter le cordon rituel.
Le texte formule par ailleurs plusieurs impératifs, notamment l’obéissance envers ceux qui sont socialement ou politiquement plus haut placés – de la femme envers l’homme, de l’homme envers le gouvernement – ainsi que le soutien à l’armée. Il esquisse également une éthique professionnelle : il est interdit aux commerçants d’utiliser des mesures faussées, aux souverains de mal régner, les juges sont tenus d’enquêter sur les plaintes, de ne pas se laisser corrompre et de ne pas appliquer deux poids deux mesures. Celui qui reçoit des semences doit les semer. En termes d’éthique économique, le texte n’est pas hostile à la propriété et à la richesse, mais formule plusieurs limites: il est interdit d’acquérir ou d’accroître sa richesse par des moyens frauduleux, il ne faut priver personne de son salaire, il ne faut pas se contenter de thésauriser, mais utiliser sa richesse sous forme d’investissement ou de bienfaits. L’avarice est généralement condamnée, et l’on doit toujours mettre à la disposition d’éventuels voyageurs de passage un endroit où dormir et des ustensiles de cuisine.
Plusieurs scènes de l’enfer évoquent les mauvais traitements infligés aux animaux: on n’a en effet le droit de tuer que certains animaux – pas le castor, par exemple, ni aucun jeune animal –, et il faut respecter certaines règles quand on les abat, comme de les étourdir en premier lieu d’un coup de massue. Il ne faut pas faire travailler trop durement les animaux: il est interdit de trop charger les bêtes de somme et de museler les bêtes de labour, et il faut toujours veiller à ce que les animaux ne souffrent ni de la faim ni de la soif. Cela vaut en particulier pour les chiens, qu’il est interdit de battre.
Le texte énumère quelques péchés spécifiquement religieux : l’hérésie (qui semble ne concerner que les hommes), la sorcellerie (qui concerne les femmes), le fait d’éteindre les feux consacrés, voire les feux tout court, de nier dieu et la religion et de douter de l’existence du ciel et de l’enfer, de la résurrection des morts et du héros de la fin des temps. Cette liste manifeste une fois de plus l’importance donnée à la dimension eschatologique. L’éthique sexuelle n’est pas non plus négligée : sont interdits non seulement les rapports sexuels pendant les menstruations, mais aussi l’adultère et le fait, pour les hommes, de séduire des femmes étrangères. L’avortement est également interdit et les pères qui refusent de reconnaître leurs enfants illégitimes vont en enfer. »
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Michael Stausberg,
Zarathoustra et sa religion
Traduit de l’allemand par Laurent Catagrel
13 x 20 cm – 168 pages – Illustrations en noir et blanc – Bibliographie – Index
Paru le 14 janvier 2022 – 19 €
Disponible en librairie et sur notre site internet.
Indications bibliographiques complémentaires :



