« Que de lecteurs, hélas, te trouveront encore trop long ! » Martial, Épigrammes

Poète de la vie dans son foisonnement, des objets, des couleurs, des corps, Martial se lit comme on ouvre une gazette de la Rome quotidienne du Ier siècle. Alors que la traduction précédente de ses Epigrammes dans la Collection des Universités de France datait de 1930, et ne respectait pas systématiquement les niveaux de langage, il devenait nécessaire de la remettre sur le métier : ce qu’a entrepris avec brio et un enthousiasme communicatif Sophie Malick-Prunier.

Ce volume propose une nouvelle traduction des Épigrammes de Martial. Il se compose du Livre des Spectacles, évocation des jeux grandioses donnés à l’occasion de l’inauguration du Colisée en 80, et des cinq premiers livres des Épigrammes. On y découvre une image vivante de la Rome impériale, à travers une galerie de portraits hauts en couleurs d’hommes et de femmes du peuple, ou de puissants pleins de morgue. Le goût romain pour la satire s’y déploie avec l’humour mordant d’une poésie au parfum de scandale, qui se plaît également à célébrer, avec délicatesse et érudition, les plaisirs de l’amour, du vin et de l’amitié.
L’édition, assortie de nombreuses notes, s’adresse à un large public. Le volume s’ouvre sur une brève introduction, présentant une biographie de Martial, une synthèse sur l’histoire de l’épigramme et l’établissement du texte, ainsi qu’une bibliographie à jour.


Sophie Malick-Prunier, traductrice et éditrice du Tome I de la nouvelle traduction des Épigrammes de Martial, le Livre des spectacles (I-V), présente son volume.


E X T R A I T S

La troupe terrible pour la paix et ennemie du repos paisible
qui toujours tourmentait les malheureuses richesses
a été donnée en spectacle, sans que l’arène puisse contenir les coupables.
Et le délateur est puni de l’exil auquel il condamnait.

IV- 1,4


Il y a du bon, parfois du moins bon,
le plus souvent du mauvais
dans ce que tu lis ici : un livre, Avitus,
ne se fait pas autrement

I, XVI


Mais pourquoi, lièvre, fuir les terribles mâchoires du lion pacifique ?
Elles n’ont pas appris à briser bêtes si menues.
Ces griffes se réservent pour de larges échines
et ce peu de sang ne contente pas si grande soif.
Le lièvre est la proie des chiens, il n’emplit pas d’immenses gueules :
un enfant de Dacie ne saurait craindre les armes de César.

I, XXII


1.« Une épître ? dis-tu, et puis quoi encore ? Ce n’est pas assez t’en donner que de lire tes épigrammes ? Que vas-tu encore nous dire ici que tu ne puisses dire en vers ? 2. Je conçois bien qu’une épître accompagne une tragédie ou une comédie : elles ne peuvent pas s’exprimer en leur nom propre. Mais les épigrammes n’ont pas besoin de crieur et se contentent de leur – mauvaise – langue. À n’importe quelle page, où bon leur semble, elles font une épître. 3. Allons, ne sois pas ridicule, s’il te plaît, et ne va pas jouer les danseurs en toge. 4. Enfin, à toi de voir si tu as envie d’affronter un rétiaire avec une baguette. 5. Moi, je suis de ceux qui protestent à grands cris. » 6. Ma parole, par Hercule, tu as raison, Decianus. 7. Et si tu savais à quelle épître – et de quelle longueur ! – tu allais avoir affaire ! 8. À ton gré, donc. Ceux qui seront tombés sur ce livre te devront de ne pas arriver exténués à la première page.

Tu aurais certes pu supporter trois cents épigrammes,
mais qui t’aurait supporté et lu en entier, mon livre ?
Le petit format a ses vertus. Écoute :
primo, c’est de me faire économiser du papier ;
secundo, c’est de ne prendre qu’une heure au copiste,
qui ne perdra pas tout son temps à mes sottises ;
tertio, si d’aventure on te déclame à quelque oreille,
même mauvais de A à Z, tu ne seras pas odieux.
Le convive te lira une fois ses cinq onces mélangées,
avant même que sa coupe ait commencé à tiédir sur la table.
Te crois-tu préservé par une telle brièveté ?
Que de lecteurs, hélas, te trouveront encore trop long !

II, I.


Avec moi, Saufeia, tu veux bien baiser, mais pas te baigner :
je soupçonne quelque tare monstrueuse.
Ou tes seins pendent sur ta poitrine comme des hardes,
ou tu crains de mettre à nu les bourrelets de ton ventre,
ou ton bas-ventre déchiré s’ouvre sur une fente béante,
ou quelque hernie fait saillie à l’entrée de ta chatte.
Mais, j’en suis sûr, il n’y a rien de tel et tu es la plus belle, toute nue.
Mais alors, ton défaut est plus grave encore : tu es nunuche.

III, LXXII


La puanteur qu’exhale la fondrière d’un marais asséché,
celle des vapeurs émanant de la putride Albula,
celle des relents d’un bassin d’eau de mer croupie,
celle du bouc indolent qui couvre une chèvre,
celle de la sandale que traîne un vétéran sur le retour,
celle de la toison deux fois barbouillée de murex,
celle des femmes qui fêtent le sabbat en jeûnant,
celle de l’haleine des accusés désespérés,
celle de la lampe mourante de l’immonde Léda,
celle des onguents à base de lie sabine,
celle du renard en fuite, celle de la tanière de la vipère,
je préfèrerais puer comme ça, Bassa, plutôt que puer comme toi.

IV, IV


Tu me cours après, je te fuis ; tu me fuis,
je te cours après, c’est là mon humeur :
ton « je veux », je n’en veux pas, Dindymus,
c’est ton « je ne veux pas » que je veux.

V, LXXXIII

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