
Shakespeare, nouvelle série bilingue, nouvelles traductions
William Shakespeare demeure décidément inépuisable, peut-être parce qu’il est avant tout un auteur de théâtre, et que le théâtre est un art qui se recrée tous les soirs.
Si une traduction de pièce semble parfois plus marquée par
le passage du temps que tout autre texte, c’est qu’elle est contrainte d’abandonner, obligée par le temps de la représentation, une part du passé de l’œuvre originale pour embrasser l’âge, la vie, l’histoire des interprètes et des spectateurs. Cette nouvelle série de traductions s’adresse d’abord à la scène, au jeu, aux comédiens d’aujourd’hui. Elle est également destinée aux amoureux de la littérature, curieux de découvrir ce que des auteurs contemporains font de la langue de Shakespeare. Ces traductions de romanciers, de dramaturges ou de poètes, qui prennent des risques heureux et des libertés passionnantes, s’offrent à une nouvelle génération d’artistes de théâtre aventureux et de lecteurs soucieux d’explorer encore la parole intarissable du Barde. La présence du texte anglais, assorti de notes réduites au strict minimum, permettra aux lecteurs et aux praticiens de pénétrer la logique de chaque version française, et de s’emparer de celle-ci pour faire vivre, à nouveau, les créations de William Shakespeare.
Florient Azoulay et Yan Brailowsky
Comme il vous plaira • As You Like It
Le premier volume de cette nouvelle série bilingue est traduit par Cécile Ladjali, écrivain, femme de lettres et enseignante. Son oeuvre, publiée chez Actes Sud, comprend notamment Ordalie, Illettré et récemment Benedict. En 2003, elle a publié chez Albin Michel Éloge de la transmission : Le maître et l’élève, un entretien avec George Steiner. En 2014, Mauvaise langue remporte le Prix de défense de la langue française du jury Femina.
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L’acteur. Le corps de l’acteur. Son souffle. C’est à tout cela que j’ai pensé aux premiers instants de la traduction quand j’ai choisi de casser le monolithe shakespearien en inventant des vers libres. Ainsi agencés sur la page, le rythme des phrases, les coupes, les rejets allaient doter le texte français – étranger au caractère synthétique de l’anglais – d’une fluidité, d’une assise, d’une scansion dont l’acteur pourrait s’emparer sur le plateau. Toujours j’ai pensé en termes de représentation.
Le vers libre parfois se mêle aux passages versifiés car la partition anglaise comporte des morceaux chantés qu’il fallait conserver et surtout ces moments cruciaux de métadiscours pur, où Shakespeare se moque par le truchement d’un personnage des mauvais rimailleurs qui hantent les pastorales. Réinventer des rimes donc, en leur conférant sciemment une allure bancale et burlesque. Gageure double, chausse-trappe redoutable pour le traducteur…
L’oscillation énonciative entre le Vous et le Tu dans le cas de certains personnages était nécessaire, même si le texte anglais n’écrit que You. Orlando hérite, à n’en pas douter, de la folie du héros de l’Arioste et ses débordements linguistiques se constatent dans son incapacité à contenir sa langue qui, comme le Temps dans une autre pièce, elle aussi sort de ses gonds.
Le vertige androgyne, cher à mon cœur puisque j’ai coutume de l’installer dans mes pièces ou romans, s’énonce au gré de l’intrigue-même de Comme il vous plaira et aussi à la faveur du kaléidoscope formel avec lequel je n’ai cessé de jouer. Ainsi, jeux de mots, échos phoniques, syllepses et litotes ont été restitués par la traduction, ainsi que les passages en vers saphiques du premier acte, puisqu’il fallait bien rendre hommage au bel amour, pour le moins équivoque lui aussi, entre les deux cousines.
Et puis il y avait de la tragédie dans cette comédie – comme il y a ailleurs de la méthode dans la folie – et par moments on entend rire les sorcières de Lady Macbeth, maugréer Richard III, languir Roméo.
Cette pièce est une autre Nef des fous. À son bord ont embarqué Pierre de Touche, Jacques, Orlando. Plus j’avançais dans la traduction et plus je me disais que le héros de Comme il vous plaira était Jacques le mélancolique. J’en fus absolument certaine au moment de traduire la fameuse tirade concernant les sept âges de la vie. Outre que l’immersion dans la musique du texte me tirait les larmes des yeux – j’avais bien conscience de me pencher sur la plus belle page jamais écrite par un poète – me sidérait également l’incomparable modernité du propos. Tout ce qui est dit là nous parle, nous convoque, nous capte, et nous oblige à nous reconnaître dans le miroir sans tain du texte baroque. Dissimulé dans le filigrane de sa comédie, embusqué derrière chacun de ses mots et images, Shakespeare nous étreint, nous confond.
Mais dans cette aventure, je n’ai pas fait que côtoyer des fantômes magnifiques. Aussi, dois-je particulièrement remercier ici les deux maîtres d’œuvre de cette entreprise un peu folle, laquelle m’a offert un plaisir intellectuel comme j’en ai rarement éprouvé : Florient Azoulay et Yan Brailowsky. Quand Florient m’a demandé si j’accepterais de prendre en charge la traduction d’une comédie de Shakespeare, j’ai trouvé l’idée pour le moins baroque. Mon niveau en anglais et ma propension nette à la tragédie me désignaient d’emblée comme un imposteur. Mais Florient a insisté, me gratifiant de talents que je n’avais pas, mais aussi d’un amour évident pour la langue française – ce qu’il
cherchait en premier lieu – et d’une appétence affichée pour la figure du travesti. Le pacte était donc signé et je ne regrette en rien ma damnation. Puis de semaine en semaine, j’envoyais ma copie à Yan, spécialiste incontesté de Shakespeare, normalien, professeur d’université… Inutile de préciser l’état dans lequel j’étais quand j’attendais ses retours. Or ceux-là furent non seulement d’une délicatesse infinie – les annotations en vert et jamais en rouge vermillon – mais aussi les suggestions lexicales, syntaxiques, prosodiques renforçaient le premier jet, en même temps qu’elles adoubaient mes audaces de traductrice. Il s’agissait donc d’un travail « à la table », d’une tâche à plusieurs et c’est bien ce qui m’enchante avec le théâtre : la franche camaraderie, tandis que l’écriture romanesque requiert une redoutable solitude…
Ce bel état d’esprit aurait plu, je pense, au Maître de Stratford.
Puisse-t-il ne pas être fâché par ces mots en français que je lui offre comme de petites violettes à piquer au sein de sa forêt d’Arden, là où depuis cinq cents ans s’élancent dans le ciel anglais ses grands chênes. Je sais que mes violettes faneront, le propre d’une traduction étant de se démoder et d’être oubliée. Mais j’espère que celle-ci vivra à l’ombre des grands chênes quelque temps, sur une scène, sur les lèvres des acteurs, ainsi que dans le cœur du lecteur.
Cécile Ladjali,
Paris, le 15 juin 2019

Shakespeare, Comme il vous plaira | As You Like It
Traduit de l’anglais par Cécile Ladjali. Édition bilingue publiée sous la direction de Florient Azoulay et Yan Brailowsky.
12 x 19 cm – Couverture à rabats – XVI + 360 pages. En librairie le 6 décembre 2019. 19,50 €
Les Contes de Shakespeare, par Mary et Charles Lamb

Au début du XIXe siècle, Mary et Charles Lamb entreprirent d’adapter sous forme de contes l’ensemble des tragédies et des comédies de William Shakespeare. Le succès immédiat que connut ce recueil étonna les auteurs, qui l’avaient écrit en hommage au génie du dramaturge élisabéthain, et dans le but d’encourager les jeunes lecteurs à lire ses chefs-d’oeuvre, à développer leur imagination et à renforcer leur vertu. Aujourd’hui encore, toutes les jeunes filles et tous les jeunes garçons d’Outre-Manche découvrent grâce à ces contes pleins de magie, de poésie, de mort, de folie, d’amour et de rire les célèbres héros shakespeariens, qu’ils soient tragiques comme Hamlet, Ophélie, Othello, Desdémone, Roméo et Juliette, ou drôles et merveilleux comme Ariel, Puck, Obéron ou Titania.
Les Contes de Shakespeare n’avaient pas été traduits intégralement depuis plus de cent cinquante ans. Cette nouvelle version française restitue la langue magnifique, aussi baroque que romantique, qui caractérise cette rareté littéraire devenue un classique en Angleterre.
” En 1805, le philosophe et romancier William Godwin, le père de Mary Shelley, proposa à Charles d’adapter sous forme de conte l’œuvre de William Shakespeare. Charles parla de ce projet à sa sœur, et c’est ainsi qu’ils se lancèrent dans cette aventure d’écriture à deux plumes. Renonçant d’emblée à toutes les tragédies historiques trop longues et aux intrigues trop complexes, ils se partagèrent la tâche de cette façon : Charles se chargerait de l’ensemble des tragédies, et Mary des comédies car elle rechignait à réécrire les pièces les plus sombres. Ce travail représentait plus qu’une simple adaptation : Mary et Charles recréaient dans leurs textes une langue shakespearienne, comme si le dramaturge les avait lui-même écrits. Dé-théâtralisant les pièces, Mary et Charles les rendaient en quelque sorte à ce qu’elles étaient originellement : des contes, des nouvelles ou des chroniques. Les chefs-d’œuvre de Shakespeare, on l’oublie, prennent leur source dans des récits de Matteo Bandello, Boccace, Luigi da Porto, Giovanni Fiorentino, Raphael Holinshed, Jorge de Montemayor.
Le 14 janvier 1807 parurent à The Juvenile Library les deux volumes des Tales from Shakespeare, designed for the use of young persons signés du seul nom de Charles Lamb. Ce n’est pas qu’il voulut effacer celui de sa sœur par égocentrisme : il était inenvisageable de vendre un livre écrit par une femme qui avait assassiné sa mère et qui était en proie régulièrement à des crises de folie. On omit donc Mary par souci de convenances morales. Illustrés par des dessins de William Mulready gravés par William Blake, ces ouvrages connurent beaucoup de succès. On les réimprima du vivant de leurs auteurs en 1810, 1816, et 1822. Mary et Charles Lamb étaient devenus les passeurs auprès des jeunes lecteurs des pièces de William Shakespeare. Tout au long du XIXe et du XXe siècle, cet ouvrage fut lu, étudié, commenté. Outre-manche, il séduisit également le lectorat des enfants, des parents et des enseignants. La première traduction intégrale, la seule à ce jour, date de 1846. Et en 1885, le ministère de l’Instruction publique mit au programme le recueil des Lamb. […] ”
Florient Azoulay,
Mary et Charles Lamb, la mort comme la vie, introduction.
Les illustrations de cette édition
Benjamin Van Blancke, qui signe les illustrations de cette édition, a déjà illustré Le Prince de Machiavel, Vie de Charlemagne d’Éginhard et Le Serment d’Hippocrate dans notre série du Centenaire.


Mary et Charles Lamb, Les Contes de Shakespeare
Traduit de l’anglais par Florient Azoulay avec la collaboration d’Isabelle Doré. Illustrations de Benjamin Van Blancke.
17 x 24 cm – Couverture à rabats – 304 pages, illustrations noir et blanc. En librairie le 6 décembre 2019. 21 €