David Brakke, Les Gnostiques : une approche originale de l’ancien gnosticisme

Initialement paru aux États-Unis en 2010, la somme de David Brakke sur les gnostiques est traduite pour la première fois en France par Marie Chuvin.

Qui étaient les gnostiques ? Comment le mouvement gnostique a-t-il influencé le développement du christianisme dans l’Antiquité ? L’Église a-t-elle rejeté le gnosticisme ?

L’auteur

David Brakke est actuellement professeur titulaire de la chaire Engle à la faculté d’histoire du christianisme de l’université d’État de l’Ohio, après avoir enseigné au Département d’études religieuses de l’Université de l’Indiana. Parmi ses ouvrages, citons : Athanasius and the Politics of Asceticism (1995), Demons and the Making of the Monk: Spiritual Combat in Early Christianity (2006).

The Gnostics : myth, ritual, and diversity in early Christianity est paru en 2010 aux Harvard University Press.

Credit photographie @ The Ohio State University – Source : présentation de David Brakke

Ce livre défend une approche originale de l’étude de l’ancien « gnosticisme » et de son rejet par « l’Église ». Selon l’histoire traditionnelle, un mouvement religieux polymorphe, le gnosticisme, est apparu dans les deux premiers siècles de notre ère ; soit comme transformation du christianisme ou du judaïsme, soit comme religion indépendante, mais qui a été assez vite étroitement liée au christianisme. Le gnosticisme –gnosticismes éthien, valentinianisme ou, plus tard, manichéisme – a menacé sérieusement l’Église, qui l’a rejeté après avoir été influencée par lui. Ce rejet s’est avéré aussi crucial pour le développement d’une Église orthodoxe que l’adoption ou l’exclusion d’éléments du paganisme et du judaïsme.

Ces dernières années, les historiens ont examiné avec une attention redoublée les deux personnages principaux de cette histoire, le gnosticisme et l’Église. Concernant le gnosticisme, certains savants soutiennent l’idée qu’il n’y avait pas de phénomène religieux unique que l’on puisse identifier comme tel dans l’Antiquité, et que la catégorisation elle-même est trompeuse et devrait être écartée. D’autres continuent de penser, ou bien que le gnosticisme procure une catégorisation utile et importante à une diversité de mouvements religieux, ou bien qu’il nomme une religion qui existait bel et bien. Quant à l’Église, la plupart des savants s’accordent sur le fait que, loin d’être une Église unique, elle était en réalité constituée, aux Ier et IIe siècles, d’une multitude de groupes en compétition ; l’un de ces groupes commença à s’imposer plus fermement au IIIe siècle et put ainsi être appelé « proto-orthodoxie ». D’autres soulignent que ce tableau des groupes concurrents ne réussit pas à rendre pleinement la variété des traditions chrétiennes avant Constantin, du fait même des frontières rigides et des identités statiques qu’il fixe à des écoles chrétiennes qui parfois se superposaient.

Dans ce livre, je prends le parti d’une troisième voie sur ces deux sujets. Je rejoins ceux qui disent que la catégorie « gnosticisme », telle que conçue traditionnellement, ne sert pas de but utile et n’identifie pas avec précision une religion antique. Mais je soutiens également le fait qu’une réelle école de pensée gnostique a existé, dont les traces littéraires peuvent être identifiées, décrites et étudiées, même de façon parcellaire.

Dans ce livre, je prends le parti d’une troisième voie sur ces deux sujets. Je rejoins ceux qui disent que la catégorie « gnosticisme », telle que conçue traditionnellement, ne sert pas de but utile et n’identifie pas avec précision une religion antique. Mais je soutiens également le fait qu’une réelle école de pensée gnostique a existé, dont les traces littéraires peuvent être identifiées, décrites et étudiées, même de façon parcellaire. Il est important de nuancer tout de suite: ce modèle de compétition entre un ensemble chrétien proto-orthodoxe et d’autres groupes chrétiens a des défauts, et notamment celui de sous-estimer la diversité des groupes en question. Mais je crois également qu’ils avaient chacun commencé à définir un ensemble de pratiques pour se différencier nettement des parties rivales. Certains courants de la tradition chrétienne (par exemple les gnostiques) peuvent donc y être identifiés. L’orthodoxie catholique que les empereurs et les évêques ont cherché à établir à partir du IVe siècle n’est pas sortie de nulle part, mais elle tire son origine des pratiques des chrétiens pré-constantiniens, conçues pour les distinguer.

J’admets volontiers que la majeure partie de mes affirmations n’est pas neuve. En effet, mon approche des gnostiques puise explicitement dans les travaux de Mark Edwards, Alastair Logan et tout particulièrement dans ceux de Bentley Layton, bien que je diffère de ces grands noms sur certains points de détail. L’approche proposée ici déclare que la tradition que les savants qualifient souvent de « gnostiques séthiens » est la véritable école de pensée gnostique, et développe l’idée selon laquelle seules la pensée et la pratique de ces chrétiens-ci devraient être considérées comme le« gnosticisme » – si de fait on peut même utiliser ce terme. Cette vision du gnosticisme n’a pas récolté autant de soutien parmi les historiens du christianisme primitif que d’autres approches ; peut-être parce qu’elle ne rejette pas d’emblée les hérésiologues comme Irénée, mais dialogue avec eux de façon critique, ou parce qu’on la confond souvent avec une approche typologique. En tout cas, je tâcherai de démontrer sa supériorité à la fois sur le concept de « gnosticisme » traditionnel, entendu dans un sens très large, et sur le refus absolu de parler d’anciens gnostiques ou d’un mythe gnostique.

Dans le premier chapitre, je décris et dissèque les approches récentes du gnosticisme et de la diversité du christianisme dans les trois premiers siècles de notre ère. Ensuite, je m’attache aux catégories de « gnosticisme » et d’« Église ». Dans le chapitre 2, j’explique en quoi les gnostiques et leur littérature forment une catégorie identifiable, et dans le chapitre 3, je décris les enseignements et rituels fondamentaux de cette branche des premiers chrétiens. Ces chapitres cherchent à circonscrire le champ du terme « gnostique » comme étiquette d’un mouvement religieux, pour révéler son caractère profondément chrétien. Dans les chapitres 4 et 5, je parle de la manière dont les premières communautés de chrétiens cherchaient à se démarquer de celles avec lesquelles elles étaient en désaccord pour établir un « vrai » christianisme : le chapitre 4 se concentre sur trois figures majeures du IIe siècle à Rome (Valentin, Marcion, et Justin le Martyr) ; le chapitre 5 examine les stratégies de différenciation employées par les cercles fermés de chrétiens des IIe et IIIe siècles. (…)

J’ai d’abord lu de près les écrits gnostiques et valentiniens en copte, avec Bentley Layton – dont j’ai adopté, dans ses grandes lignes, l’approche du gnosticisme. Il ne sera pas d’accord avec tout le livre et ne peut être tenu pour responsable des idées telles qu’elles y sont présentées, même les siennes. Cependant, c’est à lui que revient le mérite d’avoir considéré les gnostiques dans la perspective globale de l’histoire de l’Église primitive, non pas comme des « autres » exotiques mais comme partie intégrante de la diversité sociale et culturelle qui rend les débuts du christianisme si fascinants.

David Brakke,
extrait de la préface, traduite par Marie Chuvin.

Table des matières

Préface
CHAPITRE 1. Imaginer le gnosticisme et les christianismes primitifs
CHAPITRE 2. Identifier les gnostiques et leur littérature
CHAPITRE 3. Mythe et rituels de l’école de pensée gnostique


CHAPITRE 4. Unité et diversité à Rome au IIe siècle
CHAPITRE 5. Les stratégies de différenciation
Notes
Bibliographie (sources choisies)
Index

Se procurer l’ouvrage

David Brakke
Les Gnostiques
Mythe, rituel et diversité au temps du christianisme primitif

Traduit de l’anglais par Marie Chuvin

13 x 20 cm – 204 pages, avec bibliographie et index

23 € – En librairie le 11 septembre 2019


Ouvrages complémentaires

Sur le christianisme primitif, la question de la gnose et de l’orthodoxie, vous pouvez également consulter ces ouvrages de notre catalogue :

Histoire de la littérature grecque chrétienne des origines à 451, T. III
De Clément d’Alexandrie à Eusèbe de Césarée

Sous la direction de Bernard Pouderon
Chapitre 6 : Actualité des gnostiques, de Madeleine Scopello

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