L’enchantement magique du langage et l’art de persuader les foules en Grèce ancienne

Magie et rhétorique en Grèce ancienne de Jacqueline de Romilly : ces quatre conférences prononcées à l’université de Harvard en 1974, inédites en français, analysent la relation liant l’enchantement par les mots à l’inspiration divine et à la magie. Traduites de l’anglais par Nicolas Filicic et préfacées par Monique Trédé-Boulmer.

Contient :
I. Gorgias et la magie
II. Platon et les illusionnistes
III. La rhétorique et la classification des arts au IVe siècle avant J.-C. 
IV. Logique contre magie : Aristote et les écrivains postérieurs

Quand Jacqueline de Romilly répondant à l’invitation de Glen Bowersock prononce en avril 1974 à Harvard, dans le cadre des conférences Carl Newell Jackson, les quatre exposés réunis sous le titre Magie et rhétorique en Grèce ancienne, le structuralisme est en France au faîte de sa gloire dans les études littéraires et la question du discours occupe une place éminente dans les recherches critiques. Dès 1969 le groupe μ avait publié sa Rhétorique générale ; Tzvetan Todorov, qui avait fait découvrir au public français les formalistes russes, donnait bientôt avec Oswald Ducrot, une nouvelle édition du Dictionnaire encyclopédique des Sciences du langage ; en 1970, la revue Poétique était fondée et Roland Barthes publiait dans le numéro 16 de la revue Communications son aide-mémoire sur « l’ancienne Rhétorique » ; il faisait paraître la même année son essai sur la nouvelle de Balzac Sarrasine, S/Z. Nul ne doutait plus de la mort de l’auteur ni de la mort du sujet… Et l’on pourrait imaginer que c’est ce contexte qui inspira à Jacqueline de Romilly cette étude sur certains aspects de la rhétorique ancienne. Ce serait une erreur complète !

Les conférences que l’on va enfin lire en français, grâce à l’heureuse initiative de Laure de Chantal, ignorent superbement les débats de l’époque. Elles nous transportent en Grèce, au Ve siècle avant J.-C., au moment où ceux qu’on appelait les sophistes inventent et popularisent l’art rhétorique.

Ainsi s’explique sans doute que l’exposé, quand on le relit quarante-cinq ans plus tard, ait si bien vieilli. Car ce qui nous est offert ici montre, en actes, comment il faut lire les Anciens et prouve qu’une démarche critique attentive au détail du texte reste toujours d’actualité.

Jacqueline de Romilly suit les définitions successives qui, au cours des Ve et IVe siècles avant J.-C., ont été données de la rhétorique, traquant, de Gorgias à Aristote en passant par Platon et Isocrate, au-delà des ressemblances et des filiations, les moindres corrections, les modifications les plus légères dans l’emploi des termes, dans les liens établis entre les notions, toutes choses révélatrices d’une évolution du sens et d’un approfondissement de la réflexion. Elle retrouve enfin l’héritage de ces débats dans la Seconde Sophistique, voire jusque dans les discussions qui opposèrent à Rome atticistes et asianistes, et encore bien au-delà.

Les trois premiers volets de l’étude sont centrés sur les textes des Ve et IVe siècles avant J.-C. et présentent les débats passionnés où s’affrontèrent les penseurs – philosophes ou sophistes – sur la définition de la rhétorique alors naissante. À l’enthousiasme de Gorgias, tout fier d’avoir découvert un art nouveau, répond la critique platonicienne qui refuse de considérer la rhétorique sophistique comme une technè, un art, et rejette cette pratique de flatterie aussi bien qu’un peu plus tard la synthèse tentée par son contemporain Isocrate, qui avait fréquenté Socrate et Gorgias. Il revient à Aristote de leur répondre à tous deux en proposant une nouvelle classification des arts, fondamentalement rationnelle puisqu’elle fait de la rhétorique le pendant de la dialectique, classification dont héritent les siècles suivants. Ce qui n’empêche pas la Seconde Sophistique de renouer avec certains des aspects irrationnels et magiques de la  rhétorique des  origines, comme le montre la dernière conférence. (…)

Les analyses que le lecteur va découvrir pourront sembler parfois austères. Mais les débats du Ve et du IVe siècle avant notre ère, dont on suit ici pas à pas les formes et les enjeux, nous concernent, on s’en convaincra facilement, aujourd’hui encore. Telle est l’influence exercée par ces textes qui remontent à l’époque la plus brillante de la culture grecque. On y voit comment la rhétorique, cette invention des sophistes, et la philosophie, au sens où l’entend Platon, se sont définies ensemble et l’une par l’autre, comment Athènes a su, dans les mêmes années, faire naître l’humanisme isocratique, à la finalité pratique, et l’idéalisme platonicien, et comment la géniale entreprise de classification conduite par Aristote, subordonnant tout à la raison, n’a pas réussi à étouffer le goût de la prose poétique, du discours d’apparat, de la magie des mots, si chers à Gorgias et Isocrate et dont chacun peut jusqu’à nos jours citer les héritiers.

Extraits de la préface de Monique Trédé-Boulmer, de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

Gorgias et la magie

Extrait de la première conférence

Rhétorique et art oratoire dans l’Antiquité

Une bibliographie sélective d’ouvrages parus aux Belles Lettres, pour accompagner ce livre :


Jacqueline de Romilly, de l’Académie française

Magie et rhétorique en Grèce ancienne

Traduit de l’anglais par Nicolas Filicic. Préface de Monique Trédé-Boulmer

12 x 19 cm, 160 pages, 19 €, en librairie.

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