Anthologie grecque : l’édition du centenaire des Belles Lettres

Qu’est-ce qu’une épigramme ? une pensée spirituelle, condensée en quelques mots et achevée par le trait. Recueil foisonnant de ces « transcriptions de la parole ailée », l’Anthologie grecque paraît aujourd’hui en un volume, illustré.

La poésie grecque commence avec l’Iliade et finit par l’Anthologie, ce prodigieux florilège réunissant une myriade de petits poèmes appelés épigrammes, composés sans interruption depuis le VIe siècle avant notre ère jusqu’au le VIe siècle ap. J.-C., douze siècles durant lesquels le genre n’a cessé de s’enrichir.

Page de garde

« Terrible Eros, terrible ! » Mais à quoi bon
Redire encore en gémissant : « Eros terrible » ?
L’enfant ne fait qu’en rire et mes plaintes l’amusent ;
De mes insultes même il aime à se repaître.
C’est pour moi un mystère, ô Cypris, que naissant
De l’élément humide à travers les eaux bleues
Tu aies donné naissance à rien moins que du feu.

Simple inscription à l’origine, éternisant sur la pierre ou le marbre le nom du mort ou du dédicant, l’épigramme se donne bientôt le luxe du vers. Ce genre se déploie d’abord avec l’hexamètre hérité de l’épopée, puis avec l’ïambe, plus apte à exprimer des valeurs quotidiennes, et enfin, favorisé par l’élégie funéraire, grâce au distique élégiaque. Initialement figées dans le même sourire archaïque, ces petites pièces s’animent quand de grands poètes, Archiloque, Sapho, Anacréon, Simonide ne dédaignent pas d’en composer.

Les guerres médiques favorisent la vogue de l’épigramme héroïque dont Simonide se fait une spécialité. Mais la véritable éclosion du genre explose à l’époque alexandrine où il fleurit partout : en Sicile avec Léonidas de Tarente et en Grèce continentale avec la poétesse Anytè de Tégée ou Mnasalque de Sicyone.

Au même moment les poètes de l’école de Cos, Asclépiade, Posidippe, inventent l’épigramme bachique et amoureuse, à Alexandrie, entre les mains de Callimaque, l’épigramme, devenue la menue monnaie de tous les genres, est un bijou finement ciselé : le lapidaire est devenu un joailler.

C’est l’apogée de l’épigramme en Grèce, et pourtant les siècles qui suivent ne nous décevront pas : à l’époque hellénistique et romaine de nouveaux poètes, Antipater de Sidon, admiré par Cicéron, surtout le syrien Méléagre, en qui Sainte-Beuve voyait le poeta minor par excellence et à qui l’on doit la confection de la première Couronne (recueil d’épigrammes) dont nous ayons connaissance : ce geste relance la vogue du genre, qui se développe désormais en milieu romain, marqué par des traits nouveaux : l’épigramme se faisant poésie de circonstance, ou courtisane, et finalement comique et satirique, avec Lucille.

Dès ce moment, qui en latin voit naître l’œuvre de Martial, l’épigramme grecque a achevé son évolution, elle a encore de beaux jours devant elle, mais ne fera plus, si l’on peut dire, qu’involuer. En témoignent un Agathias (qui a réuni le fameux Cycle d’Agathias) ou un Paul le Silentiaire.

Il faudra attendre le Xe siècle pour qu’un érudit byzantin, nommé Constantin Céphalas, réunisse la fleur de tout cela, suivi au XIVe siècle par Maxime Planude.

Contenu

[ Notre lecteur trouvera dans ce volume la traduction de l’intégralité des épigrammes transmises par le manuscrit Palatin, allégée des Livres I-III, VIII et XIII-XV, qui correspondent aux derniers ajouts de Constantin Céphalas, et augmentée du Supplément planudéen. ]

Préface, par Pierre Laurens : Poèmes en archipel (40 pages : présentation et réception de l’Anthologie grecque + orientation bibliographique)

Anthologie Palatine
Préambules de Méléagre, de Philippe et d’Agathias (Livre IV) 
Épigrammes amoureuses (Livre V) – FEUILLETER AU FORMAT
Épigrammes votives (Livre VI) 
Épigrammes funéraires (Livre VII) 
Épigrammes démonstratives (Livre IX) 
Les épigrammes morales (Livre X) 
Épigrammes bachiques et satiriques (Livre XIa)
La Muse garçonnière (Livre XII) 

Anthologie de Planude (Livre XVI)
Épigrammes démonstratives
Épigrammes satiriques
Épigrammes funéraires
Épigrammes descriptives
Les Statues de l’Hippodrome
Épigrammes diverses

Index des auteurs

Illustrations noir et blanc de Marin Martinie

Épigrammes choisis


Anthologie palatine, Epigrammes amoureuses, Livre V

50. Nicarchos. — Une belle femme, bien grande, voilà ce qui me séduit, soit qu’elle touche à l’âge mûr, soit même, Simylos, qu’elle l’ait dépassé. Une jeune saura me prendre dans ses bras ; mais si c’est une vieille, Simylos, oui, une vieille toute ridée, eh bien ! ce sont d’autres jouissances qu’elle me donnera .

89. Marcus Argentarius. — Ce n’est pas de l’amour, que de vouloir posséder une femme qui est belle : cela prouve seulement qu’on a des yeux qui voient juste et qu’on se fie à leur jugement. Mais qu’à la vue d’un être laid on en devienne amoureux, comme percé par des traits, qu’on perde la tête et qu’on prenne feu : voilà l’amour, voilà sa flamme. Car la beauté, elle, charme également tous ceux qui savent la discerner.

Anthologie palatine, Epigrammes votives, Livre VI

166. Lucillius. — Dionysios, sauvé seul de quarante naufragés, a consacré ici une image de sa hernie. Il se la lia audessus des cuisses et plongea. Il faut le reconnaître : c’est parfois un bonheur que d’avoir une hernie.

220. Dioscoride. — En proie au délire et livrant aux vents sa chevelure en désordre, le chaste Atys, camérier de Cybèle, voulait se rendre à Sardes, de Pessinonte en Phrygie. Mais l’exaltation sauvage provoquée par la véhémente inspiration divine se refroidit, tandis qu’il cheminait dans l’obscurité du soir ; et, s’écartant légèrement de la route, il pénétra dans une grotte qui s’enfonçait sous la terre. Un lion s’élança sur ses traces, objet de frayeur même pour un homme courageux, et pour un Galle cause d’une angoisse sans nom. Atys resta muet de terreur ; mais, inspiré par quelque divinité, il allongea le bras vers son tambourin bien tendu. Aux sons mugissants de l’instrument, ce fauve, plus brave que tous les autres quadrupèdes, s’enfuit plus vite que les cerfs, ne pouvant supporter ce mugissement profond qu’il entendait. Et le prêtre s’écria : « Mère, sur les bords du fleuve Sangarios , je fais vœu de te consacrer, pour m’avoir sauvé la vie, un sanctuaire et cet instrument sonore qui a mis en fuite une bête féroce. »

Anthologie palatine, Epigrammes funéraires, Livre VII

320. Hégésippos. — Des chardons aigus et des épines de tous côtés entourent la tombe : tu te blesseras les pieds, si tu approches. C’est moi, Timon le misanthrope, qui habite ici. Mais passe, en me souhaitant bien du mal, passe ton chemin seulement.

743. Antipater (de Sidon). — Moi, Hermocrateia, qui ai donné le jour à vingt-neuf enfants, d’aucun, d’aucune je n’ai vu la mort. Car Apollon n’a pas de ses flèches abattu mes fils, Artémis n’a pas, dans leurs cruelles douleurs, enlevé mes filles. Au contraire, l’une a délivré les miennes dans leurs couches, par sa venue, et Phoibos a conduit jusqu’à la jeunesse mes enfants mâles, à l’abri des maladies. Vois comme je l’emporte à juste titre et par mes enfants et par la retenue de ma langue sur la fille de Tantale .

Anthologie palatine, Epigrammes démonstratives, Livre IX

372. Anonyme. — Ayant tissé sa fine toile sous ses pattes agiles, une araignée tenait une cigale enlacée dans ses rets perfides. Moi, voyant gémir sur ses fines entraves cette petite si amie du chant, je ne passai point indifférent près de l’araignée, mais je dénouai le lacet et délivrai la cigale, en ajoutant ces mots : « Sois sauvée, toi qui chantes avec la voix des Muses. »

583. Mon ami, si tu es lettré, prends-moi dans tes mains ; mais si tu es tout à fait profane dans les arts des Muses, laisse là ce que tu ne saurais comprendre. Car je ne suis pas accessible à tous, et bien peu de gens admirent Thucydide, fils d’Oloros, de la race des Cécropides.

Anthologie palatine, Epigrammes morales, Livre X

40. ‹Théognis›. — N’abandonne jamais l’ami présent pour en chercher un autre, en ajoutant foi aux propos de malhonnêtes gens.

72. Palladas. — La vie est un théâtre et un jeu : ou apprenez à jouer, congédiant toute idée sérieuse, ou supportez vos chagrins.

Anthologie palatine, La Muse garçonnière, Livre XII

17. Asclépiade ou Posidippe. — Non, pas d’amour féminin en mon cœur ! D’une mâle passion je brûle, brasier que rien n’éteint. Plus terrible est ce feu ! Autant le mâle en force surpasse la femelle, autant la passion qu’il inspire est plus vive.

115. Anonyme. — J’ai bu la folie sans mélange ; tout grisé de paroles je me suis armé pour la route d’une grande déraison. J’irai au cômos. Le tonnerre, les éclairs, je m’en moque : il peut bien les lancer ; j’ai une armure invincible, l’Amour.

Le livre

Anthologie grecque, textes traduits par R. Aubreton, F. Buffière, P. Camelot, A. Dain,
A.-M. Desrousseaux, M. Dumitrescu, J. Guillon, J. Irigoin,
P. Laurens, H. Le Maître, E. des Places, G. Soury et P. Waltz. préface et notes par Pierre Laurens, illustrations par Marin Martinie, Les Belles Lettres, série du Centenaire, 2019, 12 x 19 cm (avec rabats), XL + 712 pages, en librairie le 19 avril 2019, 23 €

Cette anthologie dont la réception française actuelle a nécessité un vaste travail collectif, réunit, en traduction seule, 16 livres, publiés entre 1936 et 2011 dans la Collection des Universités de France.

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