Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, Livre V, dans l’édition d’Olivier Munnich (Agrégation 2018)

Olivier Munnich, professeur de langue et littérature grecques à l’Université Paris-Sorbonne, occupe la chaire de littérature religieuse de l’Antiquité tardive et publie ici l’édition du livre V de Flavius Josèphe inspirée de ses cours de préparation à l’agrégation en 2016-2017.

L’helléniste et historien Olivier Munnich a su, par son puissant commentaire, renouveler la lecture classique de « Josèphe traître » en établissant sa proximité avec le judaïsme rabbinique qui dominera l’exil.
Le Monde des Livres – 03/11/2017

Voici deux extraits de son introduction :
Les notes présentes en bas de page ont été ici retirées pour plus de lisibilité.

Vie de Josèphe

C’est au R. P. Hardouin, érudit jésuite, auteur d’une Vie et œuvre de Flavius Josèphe, qu’on doit en français l’orthographe Josèphe, car il ne peut, écrit-il, s’habituer à donner le nom d’un saint (Joseph, le charpentier) à « un auteur pour qui l’on ne doit avoir que du mépris ». Avec Philon d’Alexandrie (20 av.- 45 ap. J.-C.), Flavius Josèphe est le grand nom d’une vaste littérature juive d’expression grecque. Joseph ben Matthias naquit à Jérusalem en 37-38 ap. J.-C. dans une famille sacerdotale distinguée ; il souligne, dans son Autobiographie, son lignage sacerdotal et royal. Il parle avec fierté de sa formation religieuse et se présente comme un enfant prodige (Autobiographie, § 9). Vers sa seizième année il voulut faire l’expérience des diverses « sectes » juives – Pharisiens, Sadducéens, Esséniens – et passa trois ans au désert auprès d’un ascète, qui s’habillait de feuillages et pratiquait de nombreuses ablutions ; puis il se tourna vers la secte des Pharisiens, « présentant des ressemblances, écrit-il, avec ce que les Grecs appellent le Portique » (les Stoïciens, ibid., § 12). En 64, il alla à Rome, pour tenter de délivrer des prêtres amis, emprisonnés par le procurateur de Judée Festus ; il approcha le cercle impérial. Indice de son entregent, il obtint le soutien de Poppée, la femme de Néron. Peu de temps après son retour de Rome, en 66, la révolte contre les Romains éclate et s’étend. Josèphe, qui jusque-là avait tenté de « calmer les séditieux » (ibid., § 17), est, à l’automne 66, nommé par ceux qui gouvernent à Jérusalem commandant en chef des deux Galilées, verrou stratégique contre des troupes qui doivent venir de Syrie.

De ses activités en Galilée il donne deux versions assez différentes, à quelque vingt ans d’intervalle : dans la Guerre des Juifs (publiée entre 76 et 79), il se présente comme un stratège exemplaire, remarquable pour le recrutement et l’entraînement de son armée « à la romaine » ; il s’oppose à Jean de Gischala et échappe à ses complots. Lors de l’avancée de Vespasien en Galilée, il choisit de s’enfermer à Jotapata, principale ville forte de Galilée. Il la défend, lors d’un siège de quarante-sept jours, suscitant la peur mais aussi l’admiration des Romains. La ville conquise, il se dissimule dans une citerne où se trouve une quarantaine de personnes ; il tente en vain de les détourner d’un suicide collectif et fait tirer au sort l’ordre dans lequel ils s’égorgeront mutuellement. Resté seul survivant avec un autre, « par l’effet du hasard ou de la Providence divine » (Bellum, 3, 391), il se rend aux Romains et prophétise alors à Vespasien et, pour plus tard, à Titus leur accession à l’empire (3, 401). Dans cette œuvre destinée aux Flaviens, l’image que Josèphe offre de lui-même est, note Monique Alexandre, celle d’un adversaire militaire à la hauteur des généraux romains, qui n’a cédé qu’à la nécessité et au dessein divin relatif aux Juifs et à Rome.

L’autre version se trouve dans l’Autobiographie, appendice aux Antiquités juives, composée en 94 en réponse aux attaques d’un historien juif rival, Juste de Tibériade, impliqué lui aussi jadis dans la révolte juive. Cette riposte laisse entrevoir que Josèphe avait été accusé d’être un fauteur de troubles, d’avoir poussé Tibériade et d’autres villes à la rébellion, d’avoir agi « tyranniquement », et d’avoir tiré de la guerre des profits personnels. Ici, « l’ennemi romain semble s’évanouir », comme l’écrit Pierre Vidal- Naquet, et « la guerre étrangère disparaît au bénéfice de la guerre civile ». Dans cette œuvre, Josèphe se présente comme un participant très réservé face à une révolte qu’il juge irréaliste. Sa mission en Galilée a été de « faire déposer les armes aux mauvais sujets pour en confier la garde aux notables du peuple qui attendraient de savoir ce que les Romains allaient faire » (§ 29). Son premier souci aurait été d’assurer la paix en Galilée. Il souligne sa modération, non sans détailler les tentatives de Jean de Gischala auprès des dirigeants de Jérusalem pour le faire déposer.

À travers ces deux images contrastées, l’homme et l’historien apparaissent dans leur complexité. Libéré après l’avènement de Vespasien, Josèphe resta auprès de Titus pendant le siège de Jérusalem, et lui servit d’interprète lorsque celui-ci appelait les activistes à la reddition. Après le siège, il reçut des livres sacrés et des domaines en Judée, puis, parti pour Rome, une pension et la citoyenneté romaine. Joseph, fils de Matthias, était désormais nommé Titus Flavius Josephus, et c’est sous le patronage des Flaviens qu’il publia en grec, pour les Grecs et les Romains, la Guerre des Juifs. En 94, il fit paraître les Antiquités juives, suivies de l’Autobiographie, puis en 96 son apologie Sur l’antiquité des Juifs, citée dès Jérôme comme Contre Apion, du nom du principal auteur réfuté par lui.

Résumé de la Guerre des Juifs

— Livre 1. La narration commence là où le récit biblique s’est arrêté. Josèphe s’étend longuement sur la révolte des Maccabées (livres non inclus dans la Bible hébraïque), l’installation de la dynastie hasmonéenne, l’arrivée de Pompée en Orient et le règne d’Hérode le Grand.

— Livre 2. Ce livre expose les causes immédiates de la guerre, depuis l’instauration du pouvoir direct de Rome en 6 de notre ère jusqu’au déclenchement de la révolte en 66 : provocations de Pilate et de Caligula, malhonnêteté des procurateurs Albinus et Gessius Florus ; l’attitude du second suscite une émeute à Césarée, qui marque, pour l’auteur, le début de la guerre proprement dite, en mai 66 ; le roi Agrippa prononce un discours pour dissuader les Juifs de faire la guerre aux Romains, mais il se retire ensuite dans son royaume. Les rebelles gagnent du terrain à Jérusalem et les Romains qui occupaient le palais royal sont massacrés. Cestius Gallus, gouverneur de Syrie, venu rétablir l’ordre échoue sans raison logique contre Jérusalem et opère une retraite désastreuse. Joseph, fils de Matthias (notre auteur), chargé des « deux Galilées », fortifie de nombreuses villes et entraîne l’armée. Jean de Gischala, qui aspire au pouvoir, dénigre en Galilée Josèphe et cherche à le supplanter par de multiples intrigues. Pendant ce temps, Jérusalem se prépare à la guerre.

— Livre 3. Néron envoie Vespasien régler les affaires de Judée ; il est rejoint par son fils, Titus. Vespasien investit la ville fortifiée de Jotapata, où Josèphe s’est réfugié avec ses troupes. La ville est prise en juillet 67 ; Josèphe se réfugie dans une citerne où il trouve des notables réfugiés. Les Romains leur proposent de se rendre, mais les compagnons de Josèphe refusent et optent pour le suicide collectif. Josèphe organise un tirage au sort et, survivant avec un autre, se rend aux Romains. Il prédit l’Empire à Vespasien et à Titus ; Vespasien le fait prisonnier avec un régime favorisé. Les Romains poursuivent les opérations en Galilée en faisant un grand nombre de morts.

— Livre 4. Jean de Gischala arrive à Jérusalem, suivi d’une foule de brigands. Les Zélotes prennent possession du Temple. Le Grand-prêtre Anan, les tenant pour pires que les Romains, cherche à dresser contre eux la population. Une guerre entre celle-ci et les Zélotes, très analogue aux combats du livre 5, se clôt sur le repli des Zélotes dans la cour intérieure du Sanctuaire, les troupes d’Anan occupant la cour exté- rieure. Jean passe du parti d’Anan à celui des Zélotes et les incite à appeler à leur secours les Iduméens, une peuplade judaïsée vivant au sud de la Judée. Zélotes et Iduméens massacrent les troupes d’Anan ainsi que le Grand-prêtre lui-même. Inquiets par les excès des Zélotes, des Iduméens quittent la ville. Les Romains préfèrent attendre avant d’attaquer Jérusalem, comptant sur la guerre civile pour diminuer le nombre de leurs adversaires. En dehors de Jérusalem, les Sicaires – brigands armés d’une épée, sica – rayonnent depuis Massada, tandis que d’autres groupes dévastent toute la Judée. Vespasien réduit la Pérée, puis la Judée et l’Idumée. Simon, fils de Gioras, rejoint les brigands de Massada, puis dévaste l’Idumée, qu’il soumet à son pouvoir. Les Iduméens, restés à Jérusalem, y font entrer Simon : il devient le maître de la ville, tandis que Jean et ses Zélotes n’occupent que le Sanctuaire. Vespasien est proclamé empereur par ses troupes. Josèphe, qui lui avait prédit son accession à l’Empire, redevient un homme libre. Après le meurtre de Vitellius, Vespasien est officiellement empereur ; il part vers Rome et confie à Titus la prise de Jérusalem.

— Livre 6. Le rempart de l’Antonia finit par s’écrouler. Une partie des Romains entre dans la ville, puis dans le Sanctuaire. Au Temple, le sacrifice perpétuel s’interrompt, faute d’animaux. Titus envoie Josèphe exhorter Jean et les siens à capituler. Puis, à son tour, il s’adresse aux factieux et leur propose une ultime conciliation. Les combattants juifs coupent le Sanctuaire de l’Antonia par un incendie volontaire. La famine conduit une femme à tuer son nourrisson pour le manger. Le 10 du mois de Loüs (= 9 Av dans le calendrier hébraïque), jour où le Premier Temple avait été incendié par le roi de Babylone, le Temple est détruit : un soldat, agissant sans ordre, mais poussé par une impulsion surnaturelle, envoie un brandon dans la direction des chambres qui entourent le Temple et y met le feu. Des faux prophètes trompent le peuple, l’empêchant de percevoir les prodiges effrayants qui surviennent. Le carnage se poursuit. Titus s’adresse une dernière fois à Jean, à Simon et aux leurs, mais ces derniers refusent ses conditions. La dernière muraille est prise, et Titus fait tout raser sauf les tours, « témoignage de la fortune » favorable aux Romains.

— Livre 7. Vespasien, triomphalement acclamé à Rome, y est rejoint par Titus. Le triomphe a lieu en l’honneur des Flaviens : les dépouilles du Temple et les captifs de Jérusalem défilent dans la ville. Les opérations se poursuivent en Judée, avec la prise de l’Hérodion (une forteresse au sud de Jérusalem), puis de Machéronte. Les opérations contre la citadelle de Massada, tenue par les Sicaires, commencent. Éléazar, fils de Jaïre, leur chef, fait l’éloge du suicide collectif. Seules en réchappent deux femmes qui rapportent les faits aux Romains. Les Sicaires, réfugiés à Alexandrie, sont livrés aux Romains et suppliciés. En une brève conclusion, Josèphe souligne le souci de vérité qui a été le sien, tout au long de son ouvrage.

Les grands mouvements du Livre V

Le livre V est consacré au siège et à la prise de Jérusalem en 70. La longue description de la ville, du Sanctuaire et du Temple atteste certaines traditions que l’on ne retrouve que plus tard dans les textes rabbiniques. Son exhortation au parti de la guerre – qu’il réduit à des « factieux » – offre paradoxalement notre seul accès au credo des combattants juifs. En un tableau pathétique, l’auteur évoque les souffrances de la population, livrée à la faim, à la cruauté des factieux et à la dureté des Romains. La réflexion de Flavius Josèphe combine avec force réminiscences de la littérature grecque et traditions déjà caractéristiques du judaïsme rabbinique.

Les grands mouvements du livre 5 sont les suivants :

I. Une exposition en deux tableaux : les Juifs (§§ 1-39), Titus et les Romains (§§ 39-98).
II. Les combats autour de la ville (§§ 99-135).
III. La description de Jérusalem et des combattants juifs (§§ 136-257).
IV. Le début de la bataille de Jérusalem (§§ 268-361).
V. Le discours de Josèphe aux factieux (§§ 362-419).
VI. La population, victime de la guerre, de la sédition et de la famine (§§ 420-572).

Composition du volume

Cette édition est constituée :

  • d’une introduction de 22 pages par Olivier Munnich
  • du texte bilingue du livre V de la Guerre des Juifs, établi et traduit par André Pelletier S.J., (édition C.U.F., 1982) revu et annoté par Olivier Munnich
  • de notes sur le texte grec (2 pages)
  • d’un commentaire de 140 pages par Olivier Munnich
  • de 4 plans
  • d’une bibliographie

Feuilleter les 10 premières pages du commentaire :

Intérieur-Commentaire

Se procurer l’ouvrage

FJ

 

Tout afficher

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *