Liens occultes et voie initiatique des 900 conclusions de Pic de la Mirandole

« 900 thèses dialectiques, morales, physiques, mathématiques, métaphysiques, théologiques, magiques et cabalistiques, incluant tant ses thèses que celles qu’ont approuvées les sages Chaldéens, Arabes, Hébreux, Grecs, Égyptiens et Latins » pour la première fois en édition bilingue critique.

À 23 ans, Pic de la Mirandole (1463-1494) a quitté le château familial depuis six ans et beaucoup voyagé et étudié à travers l’Europe. Il vit à Florence, fréquentant la fine fleur des humanistes de la cour de Laurent de Médicis. Il veut être reconnu comme le plus grand philosophe de son époque, car il estime avoir résolu les questions les plus difficiles de la philosophie de tous les temps — notamment l’épineuse affaire de la contradiction entre Aristote et Platon.

Il a résumé ses analyses dans les 900 Conclusions qu’il s’apprête à publier à Rome. Le livre est rédigé dans le style que l’on nomme « parisien », doté d’une implacable précision autant que dépourvu de poésie. C’est un latin érudit et émaillé de formules en grec et en hébreu. Après des débats houleux portant sur l’orthodoxie des conclusions et d’autres péripéties, une bulle papale condamne la totalité des 900 Conclusions et ordonne, sous peine d’excommunication, que tous ses exemplaires soient détruits par le feu.

Il revient donc aux Belles Lettres de publier la première édition intégrale bilingue critique de ses « 900 thèses dialectiques, morales, physiques, mathématiques, métaphysiques, théologiques, magiques et cabalistiques, incluant tant ses thèses que celles qu’ont approuvées les sages Chaldéens, Arabes, Hébreux, Grecs, Égyptiens et Latins », qui lui ont valu la célébrité. Ce livre fournit au lecteur curieux les clés indispensables pour pénétrer dans les arcanes de la philosophie scolastique au tournant de l’humanisme et de la cabale chrétienne.

L’ouvrage s’ouvre par une étude historique très détaillée de Louis Valcke, spécialiste mondial de Pic de la Mirandole, décédé alors que son manuscrit était encore inachevé. Il récapitule la formation très complexe des idées de Pic, puis analyse les enjeux et le déroulement du débat romain et de la condamnation finale.

La révision complète des 900 conclusions a été confiée à Delphine Viellard, agrégée de Lettres classiques et spécialiste de patristique. Elle a établi le texte latin selon les premières éditions manuscrites et imprimées, avec son apparat critique et a revu et corrigé la traduction française, à laquelle elle a ajouté près de 2 000 notes explicatives concernant tous les auteurs cités par Pic (y compris grecs, hébreux ou arabes) et tous les concepts difficiles de la scolastique. La bibliographie et les index sont dus à Nicolas Roudet, directeur de la bibliothèque de la Maison Interuniversitaire des Sciences de l’Homme à l’Université de Strasbourg.

L’occulta concatenatio des 900 Conclusions

Extrait du chapitre 3.  La « trilogie » mirandolienne : Conclusions, Discours de la dignité de l’homme, Apologie de Louis Valcke, in La Condamnation de Pic de la Mirandole, précédant le texte latin et la traduction annotée des 900 Conclusions, pages 30-34.

Voilà donc près de neuf années que Jean Pic a amassé la science, toutes les sciences, depuis la physique du monde sensible jusqu’aux ésotérismes les plus abscons, en passant par le platonisme dans ses variétés les plus éthérées. Il estime que le temps est venu de livrer cette vaste moisson aux sages et de faire étalage de ces connaissances dont il est devenu le dépositaire. […]
Comme matière à discussion, Pic se faisait fort de présenter, en un premier temps, une liste de 700 thèses ou conclusions , nombre qui, par après, au témoignage de Jérôme Benivieni, allait être porté à 900 car, précisait Pic, « ce nombre symbolise le retour de l’âme en elle-même, lorsqu’elle est enflammée par les Muses du délire prophétique ». [Note : Pic lui-même parle indifféremment de ses Conclusions ou de ses Thèses, ce qui peut porter à confusion. En fait, ces termes sont équivalents et désignent de brèves propositions à débattre. Avant le débat, la proposition se présente sous la forme d’une thèse, dont la discussion devra apporter la preuve ; celle-ci étant donnée, la même thèse deviendra conclusion]
Pic est revenu à Florence au mois de mars 1486. Il prend contact avec quelques cabalistes qui s’y étaient établis et, avec eux, il continue d’approfondir la cabale. Puis, en octobre de cette même année, il se rend à Pérouse, où il pense trouver une paix propice à la rédaction de ses Conclusions. […] Malheureusement, une épidémie de peste se déclare en cette ville, aussi Pic va-t-il s’installer à Fratta, village des environs. C’est dans ce lieu retiré qu’il pourra en toute quiétude s’adonner à la rédaction de ses 900 conclusions.  […]
La prétention de Jean Pic est d’aborder ainsi la plupart des grands thèmes traditionnels de la philosophie, ce terme étant pris au sens le plus large. Et Pic signale dans sa présentation que « [les dogmes] qui ont trait aux parties de la philosophie sont présentés tous ensemble indistinctement, comme dans une satire ».
En fait, le plan d’ensemble des Conclusions est beaucoup moins « chaotique » que Pic ne nous le laisse croire. Pic lui-même signale qu’il a réparti ses 900 thèses en deux sections distinctes. La première section, qui comprend 402 conclusions, est une section « historique » : Pic y regroupe celles d’autrui, qu’il présente sans les faire siennes pour autant. Ce ne sera que dans la seconde section que le Mirandolien affirme exposer ses positions personnelles. […]

Structure des Conclusions

Il faut encore ajouter que, bien loin d’être « présentées indistinctement, comme dans une satire » (quasi per satyram omnia simul mixta), les conclusions sont regroupées en bon ordre par auteur ou par thème, ce qui donne la ventilation suivante :

Première section (001-402)

1. Philosophes et théologiens « latins » : 115 – Albert le Grand : 16 (001-016) – Thomas d’Aquin : 45 (017-061) – François de Meyronnes : 8 (062-069) – Jean Duns Scot : 22 (070-091) – Henri de Gand : 13 (092-104) – Gilles de Rome : 11 (105-115)
2. Aristotéliciens arabes ou juifs : 82 – Averroès : 41 (116-156) – Avicenne : 12 (157-168) – Alfarabi : 11 (169-179) – Isaac de Narbonne : 4 (180-183) – Abumaron de Babylone : 4 (181-187) – Moïse d’Égypte : 3 (188-190) – Mahomet de Tolède : 5 (191-195) – Avempace : 2 (196-197)
3. Péripatéticiens grecs : 29 – Théophraste : 4 (198-201) – Ammonius : 3 (202-204) – Simplicius : 9 (205-213) – Alexandre d’Aphrodise : 8 (214-221) – Thémistius : 5 (222-226)
4. (Néo)platoniciens : 99 – Plotin : 15 (227-241) – Adéland l’Arabe : 8 (241-249) – Porphyre : 12 (250-260) – Jamblique : 9 (262-270) – Proclus : 55 (271-325)
5. Selon les mathématiques de Pythagore : 14 (326-339)
6. Selon les théologiens chaldéens : 6 (340-345)
7. Selon la doctrine de Mercure Trismégiste : 10 (346-355)
8. Selon la Cabale : 47 (356-402)

Seconde section (403-900)

1. Conclusions-paradoxes conciliantes : 17 (403-419) (Platon, Aristote, philosophie scolastique, philosophie arabe)
2. Conclusions philosophiques « peu originales » : 80 (420-499)
3. Conclusions-paradoxes présentant de nouveaux dogmes : 71 (500- 570)
4. Conclusions de théologie : 29 (571-599)
5. Conclusions concernant la doctrine de Platon : 62 (600-661)
6. Conclusions concernant l’auteur du De causis : 10 (662-671)
7. Conclusions de mathématique : 85 (672-756) – Thèses : 11 (672-682) – Questions : 74 (683-756)
8. Conclusions concernant Zoroastre et les Commentateurs chaldéens : 15 (757-797)
9. Conclusions magiques : 26 (772-797)
10. Conclusions concernant les hymnes d’Orphée : 31 (798-828)
11. Conclusions cabalistiques : 72 (829-900).

Notons enfin que, dans l’Apologie qu’il sera amené à rédiger, Pic souligne que, malgré leur « désordre apparent », une occulta concatenatio relie ses thèses les unes aux autres.
De fait, le survol global que nous venons de faire montre que chacune des deux sections est structurée selon une démarche ou progression identique. […]
Pour autant qu’elle en soit rendue digne par une longue ascèse intellectuelle, l’âme peut par ses propres forces accéder à ce niveau de connaissance, mais pour procéder plus outre, c’est- à-dire au-delà même de cette pure contemplation intellectuelle, l’âme doit s’abandonner à la grâce d’une révélation gratuite, venue d’en haut (aneuthen), comme l’écrit Plotin. À ce niveau, l’âme n’a plus qu’à s’ouvrir à la contemplation mystique, et la philosophie doit céder le pas aux discours inspirés de ces prisci theologi que furent Hermès l’Égyptien, messager des dieux, ou Orphée, leur poète. Ainsi préparée, l’âme, enfin purifiée, sera initiée aux sciences ésotériques et aux mystères les plus secrets du pythagorisme, de l’orphisme, du zoroastrisme, de l’hermétisme, de la magie, pour recevoir la révélation ultime dans cette théophanie suprême qu’est la cabale.
On le voit, les Conclusions se muent en une voie initiatique, ce qui n’est pas le fruit du hasard… […]


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