Les fleurs dans l’Antiquité : entretien avec Alain Baraton

Alain Baraton est Jardinier en chef du Domaine national de Trianon et du Grand parc du château de Versailles, responsable du Domaine national de Marly-le-Roi. Il a écrit de nombreux ouvrages sur la nature, les jardins et l’amour. Il tient aussi des chroniques tant à la télévision qu’à la radio. Voici un extrait de l’entretien qu’il a donné à Delphine Lauritzen et Laure de Chantal en ouverture du recueil de textes antiques consacrés aux fleurs : Flora (en librairie).

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Source photographie : Le Parisien. D.R.

Delphine Lauritzen. – Vous êtes connu du grand public comme « le Jardinier de Versailles », qui est aussi le titre de l’un de vos ouvrages (paru en 2006). Quel est le lien entre les fleurs de ce lieu et l’Antiquité grecque et romaine ?

Alain Baraton. – Louis XIV ne peut parcourir le monde, aussi entend-il que le monde tout entier soit à Versailles. Il envoie des hommes partout où cela est possible pour ramener des végétaux rares, et en particulier sur le pourtour méditerranéen. Homme de son temps, il est naturellement baigné de culture classique : si la devise en latin du roi Soleil, Nec pluribus impar (« Au-dessus de presque tous »), est bien connue, plus rares sont les personnes qui savent que Trianon s’appelle alors « le palais de Flore ». Il ne manque pas d’y faire planter des iris, des orangers, des raisins de Corinthe, toutes sortes de plantes à bulbes… Quand on ajoute que le monarque fait orner son parc de statues inspirées de la mythologie, on comprend aisément que les fleurs participent à cette mise en scène : le parc de Versailles, c’est le jardin des dieux.

Laure De Chantal. – Quelles sont les fleurs mythiques à Versailles ?

A. B. – Difficile de briller près du roi Soleil. Les seules fleurs mythiques sont peut-être celles des orangers, arbres préférés du roi, et les feuilles comme les acanthes, reproduites sur les bas-reliefs et les boiseries, qu’il apprécie également. […]

L. C. – Marie-Antoinette adorait les fleurs : quelles fleurs a-t-elle voulu dans son jardin ? Sont-elles exotiques ou existaient-elles dans l’Antiquité ?

A. B. – Le chevalier Bertin est un intime de la famille royale. Il est l’un des rares à être autorisé à se promener seul dans les jardins. Il est admiratif et écrira en 1780 ce poème qui, s’il n’est pas d’une beauté à couper le souffle, est riche de renseignements et répond en partie à votre question :
La persicaire rembrunie
En grappes suspendant ses fleurs,
Le tulipier de Virginie
Étalant dans les airs les plus riches couleurs,
Le catalpa de l’Inde, orgueilleux de son ombre,
L’érable précieux et le mélèze sombre,
Qui nourrit les tendres douleurs ?
De cent buissons fleuris chaque route bordée
Conduit obliquement à des bosquets nouveaux,
L’écorce où pend la cire et l’arbre de Judée,
Le cèdre même y croît au milieu des ormeaux ;
Le cytise fragile y boit une onde pure,
Et le chêne étranger, sur des lits de verdure,
Ploie en dais arrondi ses flexibles rameaux.

Vous voyez, à part devant le tulipier de Virginie et peut-être le catalpa, Platon ou Aristote n’auraient pas été dépaysés ! […]

D. L. – Comme vous avez pu le constater à la lecture du présent ouvrage, les fleurs sont loin de se réduire aux légendes qu’elles ont pu inspirer. Quels autres aspects vous ont éventuellement surpris ou intéressé dans le regard que les Anciens portaient sur les fleurs ?

A. B. – L’aspect maléfique : l’idée que l’on utilise une fleur superbe pour se débarrasser d’un proche en fabriquant un poison me stupéfie ! Il est vrai que certaines fleurs peuvent rendre fou : souvenez-vous de la « tulipe noire » d’Alexandre Dumas !

D. L. – Quel est votre extrait préféré et pourquoi ?

A. B. – Le poème de Luxorius, Anthologie latine, 353. Cette manière d’évoquer un corps à la peau sombre !

D. L. – Quel est votre mythe préféré et pourquoi ?

A. B. – Daphné et le laurier-rose, car je ne peux m’empêcher, chaque fois que je vois cette plante, et c’est très souvent le cas, de penser aux malheureuses harcelées par des hommes qui se prennent pour des dieux et abusent de leur situation ! J’ai une vision très moderne de ce mythe.

D. L. – Ces histoires donnent un visage, un corps et une âme au végétal : qu’en pensez-vous ? Croyez-vous qu’il y ait plus que de l’organique dans une plante ?

A. B. – Bien sûr. Les plantes sont des êtres vivants qui respirent, transpirent, croissent et s’alimentent. Elles se dirigent vers la lumière bien que sans yeux, certaines comme la sensitive bougent au moindre contact. Les plantes ont peut-être même de la conscience, comme le lierre qui n’envahit que les arbres souffrants. […]

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XIV + 322 pages, 15 € – Commander

Retrouvez l’intégralité de cet entretien dans Flora, les fleurs dans l’Antiquité, textes réunis et commentés par Delphine Lauritzen, en librairie.

Autres extraits

Sur le site La Vie des Classiques, lisez plusieurs extraits de cette anthologie :

LVCFlora

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