Au coeur de l’érudition des brahmanes : le sanskrit commentarial

Le quatrième volume de la collection de Michel Angot aux Belles Lettres sera en librairie le 14 avril 2017 : avec INDIKA, les classiques de l’Asie du Sud ont également leur collection. Découvrez-la.

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Le sanskrit commentarial, I : les gloses

 Adyāpi  “Aujourd’hui encore”

Avant-propos de Michel Angot

L’idée de cet ouvrage remonte à quelques décennies quand au début des années 1980 F. Grimal faisait découvrir à ses étudiants les textes sanskrits. Il lisait le Rāmāyana : les versets de Vālmīki étaient beaux, sonores, plaisants ; le récit, résumé dans le premier chapitre, était intéressant. Tout cela se laissait déguster facilement. Mais très vite, il se mit à décrypter le commentaire de Govindarāja. Le vyākhyāna ‘explication’ de Govindarāja dévoilait tout autre chose : l’érudition des brahmanes, un festin de mots, de valeurs, de références, toute une érudition déployée comme un tissu accueillant leur manière d’être aux mots et au monde. Le texte se mettait à vivre : on abandonnait le travail laborieux du traducteur pour goûter de plus fines saveurs. Car ce commentaire se laissait mal traduire avec ses formes stéréotypées, une syntaxe télégraphique et son caractère allusif. De fait la langue des commentaires sanskrits est celle des brahmanes qui, partageant la même éducation et des références connues par cœur, n’a pas à s’embarrasser d’un lourd apparat critique : le contenu des textes, des références grammaticales etc. est dans la tête de celui qui parle et aussi de celui qui écoute. Quelques mots suffisent pour que l’auditeur, généralement un brahmane érudit, les reconnaisse. Pour que nous les comprenions, nécessairement il nous faut passer par cette érudition ; les index quand ils existent et les machines aident, mais lentement, et ne remplacent pas l’accès direct à la parole vive. Ces commentaires, depuis le début du premier millénaire av. J.-C. (les Brāhmana) jusqu’au XIXe siècle, forment une littérature spécifique et un ensemble massif : le commentaire a été la forme privilégiée par où les érudits ont exprimé en sanskrit leur conscience intellectuelle, spirituelle, artistique. C’est à expliquer les codes et les références de cette littérature que s’emploie cet ouvrage.
La littérature en question ici est immense et variée : pendant plus de trois mille ans, dans un espace vaste comme l’Europe mais jamais unifié politiquement, à propos de tout, ils ont parlé et ressassé en sanskrit. Paraphrasant un verset du Mahābhārata, on peut dire que tout est là et que ce qui n’y est pas n’existe pas. Néanmoins, quelle que soit la discipline abordée, les érudits ont eu recours à des méthodes d’analyse stéréotypées. On reconnaît sans peine la continuité de langue et de méthode entre Patanjali, auteur du Mahābhāsya, un commentaire sur la grammaire de Pānini rédigé au milieu du IIe  siècle av. J.-C., Cakrapānidatta auteur au XIe siècle de la Dīpikā, un commentaire consacré à la médecine, Vīrarāghava auteur d’un commentaire au XVIIIe siècle sur une ancienne pièce de théâtre et Brahmānanda auteur de la Jyotsnā, un commentaire du XIXe siècle à la Hathapradīpikā de Svātmārāma. C’est cette continuité de méthode, de langue et d’inspiration qui assure la cohérence du présent ouvrage et le rend techniquement possible. Celui-ci comprend deux volumes ; le premier est consacré à l’herméneutique, à savoir aux quatre principaux outils d’analyse des textes : Vyākarana ‘Grammaire’, Nirvacana ’Analyse sensible’, Paryāya ‘Synonymie sémantique’ et Prakarana ‘Analyse contextuelle’ ainsi qu’aux gloses auxquelles ces méthodes d’analyse donnent lieu de la part des érudits sanskritistes jusqu’au XIXe siècle. Le second comprend une sélection de commentaires de textes et d’auteurs importants ou exemplaires.  Finalement, sans modifier en profondeur ce plan initial, à l’instigation des premiers lecteurs, j’ai conservé dans le premier volume quelques commentaires de Mallinātha qui, exemplaires, aident l’examen des gloses. Par ailleurs j’ai ajouté quelques paragraphes plus descriptifs.  […]

Janvier 2017.

L’art du débat en Asie du Sud

288. Dimension dialectique de la pensée en Asie du Sud.

Le débat (vāda, samvāda) oral est inhérent à l’expression de la pensée en Asie du Sud. On le saisit à l’écrit aujourd’hui, l’émotion, la passion, l’enjeu en moins. Aussi loin que l’on remonte dans le temps, on en constate toujours l’existence et pas seulement quand les protagonistes ne sont pas d’accord : les débats védiques opposent les tenants d’une même doctrine ; il s’agit alors d’obtenir la prévalence personnelle, non la prévalence d’une doctrine sur une autre. Dans tous les domaines, les uns et les autres ont composé des traités en fonction des débats, des disputatio, qu’ils menaient oralement et devaient mener au sein des écoles et aussi comme champions de leur école. J’ai présenté cela dans « L’art du débat » et (cf. Angot 2009 : 68-128). Dans le même ouvrage, (p. 217-242), j’ai édité le chapitre VIII du Vimānasthāna de la Caraka-Samhitā car celui-ci est un court-traité de dialectique appliquée au domaine médical. Ces pages montrent bien la place centrale du débat dans la vie intellectuelle des brahmanes.

Suite  du chapitre de 15 pages à feuilleter ici >>

L’Inde : son histoire, ses sources et sa culture

Une galerie bibliographique à parcourir à ce lien >>

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