Hagiographie mérovingienne : extrait du dossier saint Léger

Comment Léger, évêque franc déposé pour haute trahison dans les années 670, a-t-il mérité de parvenir à la sainteté ? Et pourquoi ce prélat controversé a-t-il donné son nom à près de 55 communes françaises ? >> présentation de l’éditeur

Sainteté et littérature hagiographique

Extrait de l’introduction, page XVIII-XXI (les notes de bas de pages ont été supprimées)

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Les fidèles considèrent le saint comme un patron capable d’intercéder pour eux auprès de Dieu. Ce culte attache le sacré à des corps morts : alors que le cadavre était généralement rejeté hors des murailles de la ville antique, il devient le point de focalisation du sacré médiéval. Le saint, intermédiaire entre Dieu et les hommes, apparaît d’autant plus accessible qu’il a laissé des traces de sa vie terrestre. Ces reliques peuvent être des ossements, des vêtements, des objets lui ayant appartenu ou ayant accompagné sa mort, mais aussi les tissus ou liquides entrés en contact avec les reliques primaires. La puissance (virtus) du saint se manifeste autour de ces restes, procurant la santé aux vivants et le salut aux morts (salus). À terme, ce culte implique des constructions de sanctuaires liés à la vénération des reliques, ce qui transforme le paysage monumental. La multiplication des fêtes en l’honneur de reliques ou de la dédicace des églises contribue également à la christianisation du temps.

Dès la fin du IVe siècle, le culte des saints était devenu un élément fondamental de la piété occidentale. Les martyrs des premiers temps du christianisme étaient vénérés comme les plus prestigieux et les plus efficaces intercesseurs – leurs Passions, riches en détails atroces, démontrant que le saint détenait le plus haut degré de virtus. Mais en raison de la fin des persécutions païennes, d’autres types de saintetés se développèrent. Tel était le cas de l’ascète qui, comme le martyr, constituait un athlète du Christ. On observe surtout une forme de sainteté particulière associée à la fonction de l’évêque.

Comme l’a montré Brigitte Beaujard, les martyrs ont été rares en Gaule et les saints vénérés peu nombreux avant le milieu du Ve siècle . La production hagiographique qui leur est associée est d’abord attestée en Provence, dans la vallée du Rhône et à Tours, puis en Bourgogne et à Brioude, et enfin dans le Centre-Ouest. Au VIe siècle la floraison de la littérature hagiographique, suscitée pour des raisons pastorales et liturgiques mais aussi afin de servir une politique épiscopale, transforma la Gaule en « pays des saints ».

L’évêque représentait le principal modèle de la sainteté dans un espace où les fidèles recherchaient les protecteurs les plus efficaces . En effet, l’évêque dominait le paysage religieux de la Gaule : pasteur, défenseur du dogme, il monopolisait la vie intellectuelle et spirituelle. Dans la cité, il affirmait sa présence par des fondations et par le culte rendu à ses saints prédécesseurs ; bien souvent, le rassemblement de leurs reliques en quelques lieux choisis (cathédrale, basilique funéraire) soulignait la continuité épiscopale dans la ville. L’évêque était en outre un homme public : il disposait d’un temporel inaliénable, gérait l’administration politique et économique du diocèse, distribuait des aumônes et luttait contre les désordres. Assez puissant pour éventuellement contrer le roi, il en était le plus souvent l’agent, tel Didier de Cahors. En somme, il constituait l’image idéale de l’intercesseur auprès des pouvoirs supérieurs, que ceux-ci soient humains ou célestes. En outre, malgré leurs charges séculières, certains évêques gaulois menèrent une vie ascétique. À la fin du VIe siècle, Venance Fortunat, reprenant Sulpice Sévère, écrivit plusieurs Vies d’évêques considérés comme martyrs par l’ascèse. Grégoire de Tours leur consacra également six biographies dans ses Vitae patrum.

Au VIIe siècle, la Vie épiscopale restait un « genre à succès » qui s’adaptait à l’évolution politique du moment. La Neustrie était en effet devenue le cœur du monde franc, dirigé par des rois forts – Clotaire II et Dagobert († 639) – mais l’on assistait parallèlement à la montée en puissance des maires du palais, représentants d’une aristocratie au pouvoir grandissant. Les évêques faisaient partie de cette noblesse dirigeante, et l’hagiographie contribua à la légitimation de leur nouveau pouvoir.
À partir des années 640, une nouveauté se fait pourtant jour avec la multiplication des monastères qui remettent en cause le pouvoir de l’évêque ; l’hagiographie monastique se fait parfois concurrente de l’hagiographie épiscopale.

Les hommes morts pour leur foi restent naturellement des figures de choix. L’hagiographie mérovingienne, qui s’était jusque-là intéressée aux martyrs de l’Antiquité, se tourne à partir du VIIe siècle vers les martyrs contemporains. Les abbés assassinés bénéficient d’un intérêt réel comme le montre le culte de Louvent de Javols, de l’Irlandais Feuillen ou de Germain de Moutiers-Grandval. Mais l’attention va surtout aux évêques exécutés par le pouvoir central puis réhabilités à l’issue d’un retournement politique. Le prototype en est Didier de Vienne, mis à mort en 606/607, bientôt suivi d’Ennemond de Lyon et de Léger d’Autun. Des évêques assassinés peuvent également prétendre au martyre, tel Praejectus de Clermont ou Lambert de Tongres-Maastricht. Exceptionnellement, un aristocrate mis à mort par un « persécuteur » peut parvenir à la sainteté, tel Ram- bert dans le Bugey, victime comme Léger du maire du palais Ébroïn . Martin Heinzelmann note que la Vita vel Passio d’un martyr contemporain devient dès lors un élément caractéristique de l’hagiographie mérovingienne bien que, comme le souligne la Passion de Léger, chacun fût conscient que le temps des martyrs était désormais passé. Cette floraison de textes s’explique en partie par leur dimension politique et le caractère controversé de personnages qui ont trouvé des opposants au sein même de leur clergé. Bien souvent, ces Passions sont toutefois composées dans un esprit de réconciliation des partis, invitant la cité ou le groupe à se retrouver autour du culte de l’évêque éliminé. Cette volonté est manifeste dans le cas de la première Passion de Léger. Bien que le commanditaire en soit son successeur sur le siège d’Autun, Hermenarius, le texte ne fait pas mystère de l’hostilité éprouvée à l’égard de Léger par celui qui était alors abbé du monastère Saint-Symphorien d’Autun.

Un dossier rassemblé, introduit et traduit par l’équipe HagHis

Bruno Dumézil, Stéphane Gioanni, Cécile Gomez,  Monique Hincker, Monique Janoir, Sylvie Joye, Klaus Krönert, Charles Mériaux, Nathalie Verpeaux et Anne Wagner.

Constituée depuis 2008, l’équipe HagHis (Hagiographie & Histoire) réunit des historiens, des littéraires et des philologues, autour de l’étude des textes hagiographiques du haut Moyen Âge occidental et est animée par Bruno Dumézil, maître de conférences à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense.

Constitution du Dossier saint Léger

Une introduction de 39 pages :

Le royaume franc dans la seconde moitié du VIIe siècle
Rois, reines et maires du palais
Les grands du royaume
L’épiscopat
Sainteté et littérature hagiographique

Le dossier hagiographique de saint Léger d’Autun
Les trois premières Passions de saint Léger
La Passion anonyme d’Autun (BLH 4849b)
La Passion d’Ursin (BLH 4851)
Les ajouts de la Passion mixte
Le culte de saint Léger

Le dossier hagiographique de saint Praejectus de Clermont
La Passion et les premiers développements du culte de Praejectus
Un contexte auvergnat
Praejectus, ou le « ramasseur de sycomore »

La traduction de :

Passion de Saint Léger par l’anonyme d’Autun
Passion de Saint Léger par Ursin
Les ajouts de la Passion mixte
La Passion de Saint Praejectus

Plusieurs annexes, des notes et une bibliographie sélective.

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À consulter également

Grégoire de Tours, La Vie des Pères traduit par Luce Pietri en 2016.

La Geste des rois des Francs, traduit par Stéphane Lebecq en 2015.

 

 

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