L’Orateur parfait, par Quintilien
Extrait du chapitre “Comment devenir un chef ? Les grandes écoles de rhétorique”, pages 66-68.
Dans la préface de son Institution oratoire, écrite à la fin du Ier siècle après Jésus-Christ et qui reste à ce jour la meilleure synthèse existante de la rhétorique antique, Quintilien dresse, après Cicéron, le portrait de l’orateur idéal, qui se doit d’être à la fois un sage et un homme de bien ; la rhétorique est pour lui comme une formation complète de l’homme comme du citoyen. Pour lui, cet objectif reste atteignable : il affiche un bel optimisme dans les capacités de développement de l’esprit humain, qui exerça une grande influence, bien des siècles plus tard, sur l’humanisme de la Renaissance.
L’ORATEUR PARFAIT
Mais mon but est de former l’orateur parfait, lequel ne peut exister s’il n’est un homme de bien ; aussi exigeons-nous de lui à la fois une aptitude exceptionnelle à la parole et toutes les qualités de l’âme. En effet, je n’admettrais pas qu’il faille réserver aux philosophes, comme certains l’ont pensé, le soin d’exposer les règles d’une vie droite et honnête, car l’homme qui peut vraiment jouer son rôle de citoyen et qui est capable d’administrer les affaires publiques et privées, l’homme qui est apte à diriger des villes par ses conseils, à leur donner une assise par des lois, à les réformer par ses décisions de justice, cet homme ne saurait être autre assurément que l’orateur. Aussi, tout en avouant que j’userai de certains principes contenus dans les traités des philosophes, je soutiendrais volontiers que ces principes sont en toute justice et en toute vérité de mon domaine et qu’ils ressortissent en propre à l’art oratoire. Lorsqu’on a si souvent à disserter de justice, de courage, de maîtrise de soi, et d’autres vertus du même ordre, et qu’on a de la peine à trouver un cas, où l’une de ces questions ne se trouve impliquée et ne demande, pour être développée, des qualités d’invention et d’élocution, doutera-t-on alors que, partout où sont requises la vigueur du talent et l’abondance de la parole, l’orateur n’ait pas un rôle principal ? Au surplus, comme Cicéron le démontre très clairement, la sagesse et l’éloquence, unies dans leur nature, sont tellement liées aussi dans leur exercice que le sage et l’orateur étaient tenus pour identiques. Par la suite, on en vint à voir multiplier les disciplines ; en effet, du moment où la parole devint une source de gain et que l’on se mit à faire mauvais usage des bienfaits de l’éloquence, ceux qui étaient tenus pour habiles à parler cessèrent de se soucier de morale. […]
Que l’orateur soit donc un homme tel qu’il puisse être appelé vraiment un sage et qu’il soit parfait, non seulement dans ses mœurs (car, à mon sens, cela ne suffit pas, bien qu’il y ait des gens pour être d’un avis contraire), mais aussi par sa science et par l’ensemble de ses aptitudes oratoires : un tel homme ne s’est peut-être jamais encore rencontré ; il n’en faut pas moins tendre vers la perfection : c’est ce qu’ont fait la plupart des Anciens, qui, tout en pensant qu’on n’avait pas encore trouvé le Sage, n’en ont pas moins transmis des préceptes de sagesse. Car, assurément, l’éloquence consommée est une réalité, et la nature de l’esprit humain n’est pas un obstacle pour y parvenir. Si l’on n’a pas cette chance, ceux qui s’efforceront vers les sommets iront cependant plus haut que ceux qui, désespérant d’emblée d’atteindre leur but, se seront arrêtés tout de suite vers le bas de la montée. […]
Il faut cependant affirmer, avant tout, que les préceptes et les traités ne peuvent rien sans les dons naturels. Aussi, l’ouvrage que j’écris n’est-il pas plus fait pour l’homme dépourvu de talent qu’un traité d’agriculture pour des terres stériles. Il y a aussi pour chaque homme d’autres auxiliaires naturels, la voix, des poumons qui résistent à la fatigue, la santé, l’assurance, la prestance ; si l’on en est doté moyennement, on peut les améliorer méthodiquement, mais parfois, ces dons manquent à un tel point que leur défaut gâte même les qualités qui procèdent de la nature ou de l’étude : inversement, sans un maître expérimenté, une étude persévérante, une pratique prolongée et assidue de l’écriture, de la lecture, de la parole, ces avantages ne servent à rien par eux-mêmes.
Institution oratoire, t. I, livre I, Prologue, 9-13, 18-20, 26.
Imperator. Diriger en Grèce et à Rome
Nouveauté dans la collection “Signets” dont l’ambition est de vous offrir une sélection complète, variée et unique de textes de l’Antiquité, classiques ou méconnus, sur une question :
Comment diriger ? D’où vient la capacité de certains hommes à enthousiasmer ceux qui les suivent, tandis que d’autres semblent dépourvus d’autorité ? Mus par le sens du service ou une ambition personnelle dévorante, au prix d’un travail acharné et de mille peines, les grands chefs de l’Antiquité – César, Cléopâtre, Périclès, Alexandre, mais aussi Cyrus, Zénobie ou encore Attila et Didon… – ont poussé leurs hommes à se dépasser et les ont menés jusqu’aux confins du monde connu.
Ils s’appuyaient sur leur intelligence exceptionnelle, leur capacité à décider et à organiser, mais aussi leur maîtrise de l’art de la parole, qui apaise ou qui galvanise. Autant de talents précieux sur un champ de bataille ou face à une assemblée tumultueuse, pour le souverain qui règne sur un empire immense comme pour le propriétaire d’un domaine agricole. Composé de plus de cent textes issus des traductions des Belles Lettres, ce livre nous invite à mieux connaître les grands leaders antiques et à repenser l’art de commander.
Ces textes, réunis et présentés par Charles Senard (docteur en études latines et diplômé de l’Essec, consultant en management) sont précédés d’un entretien avec Pierre-André de Chalendar, PDG du groupe Saint-Gobain.
- 352 pages
- Livre broché
- 12.5 x 19 cm
- Signets Belles Lettres n°27
- Parution : 13/02/2017
- 9782251446417