Extrait de Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, Tome V : Livre V (Livre des îles), Texte établi et traduit par Michel Casevitz, présenté et commenté par Anne Jacquemin, Les Belles Lettres (coll. CUF), octobre 2015 :
LXVI. Selon les légendes crétoises, ceux qu’on appelle les Titans vinrent au monde à l’époque des Courètes. Ils avaient leur résidence dans le territoire de Cnossos, juste là où on montre aujourd’hui les fondations de la maison de Rhéa ainsi qu’un bois de cyprès qui lui est consacré depuis l’Antiquité. Ils étaient six hommes et cinq femmes, issus d’Oursons et de Gé selon certains mythologues, d’un Courète et de Titaia leur mère selon d’autres, et c’était d’après celle-ci qu’ils auraient été nommés ainsi. Les mâles étaient, selon les légendes, Cronos, Hypérion et Coios, ainsi que Japet, Crios et enfin Océans ; leurs soeurs étaient Rhéa, Thémis, Mnémosyne, ainsi que Phoibé et Thètys. Chacun des Titans eut à son actif une invention profitant aux hommes et son activité utile à tous valut à chacun des honneurs et un souvenir éternels. Croyons donc, l’aîné, fut roi et fit passer ses contemporains d’un état sauvage à des moeurs civilisées ; ce qui lui valut une grande renommée, tandis qu’il se rendait en beaucoup de régions du monde habité. Il introduisit chez tous l’équité et la droiture de l’âme : aussi les hommes du règne de Cronos, comme la tradition l’a confié à la postérité, étaient-ils absolument honnêtes et sans aucune méchanceté, et vécurent-ils heureux. Son pouvoir s’exerça surtout sur les régions occidentales et il y fut jugé digne de l’honneur suprême ; voilà pourquoi, jusqu’en des temps assez récents, chez les Romains et les Carthaginois, du temps où cette ville existait encore, ainsi que dans l’ensemble des peuples voisins, il y eut des fêtes et des sacrifices illustres en l’honneur de ce dieu ; et beaucoup de lieux reçurent son nom. Du fait du niveau très élevé de bonne législation, aucun acte injuste n’était en général commis par personne ; tous ceux qui étaient placés sous l’autorité de ce roi, jouissant sans entraves de toute forme de plaisir, vécurent une vie de félicité. À ce propos, on dispose précisément du témoignage du poète Hésiode dans ces vers :
“Ils étaient du temps de Cronos, quand il régnait au Ciel,
Et ils vivaient comme des dieux, sans souci en leur coeur,
Bien loin des maux, bien loin du pénible labeur,
Sans maladies affreuses, sans douleur, et leurs membres
Ne connaissaient pas l’atteinte de la vieillesse ; toujours égaux
À eux-mêmes dans leurs bras et leurs jambes,
Ils goûtaient aux délices des festins en restant à l’écart des maux,
Quand ils mouraient, c’était comme si le sommeil les domptait,
Et ils avaient bien d’autres trésors ; la terre féconde
Leur apportait ses fruits d’elle-même, en abondance, à satiété,
Eux, joyeux sur terre, vivaient de leurs travaux parmi
De nobles êtres innombrables, regorgeant de troupeaux,
Chéris des dieux bienheureux.”
Telles sont les légendes à propos de Cronos.
LXVII. C’est Hypérion, dit-on, qui a le premier compris, par l’attention qu’il y porta et par l’observation, le mouvement du soleil, de la lune et des autres astres, et aussi les saisons qu’ils déterminent et il a permis aux autres d’accéder à cette connaissance ; voilà pourquoi il a été nommé père des astres, comme s’il les avait donnés à voir et fait exister. De Coios et de Phoibé naquit Lèto, de Japet Prométhée qui, comme le transmettent certains mythographes, déroba le feu aux dieux et le donna aux hommes, mais la vérité est qu’il fut l’inventeur des matières à feu qui permettent d’allumer le feu. Parmi les Titanides, c’est Mnémosyne, dit-on, qui inventa les opérations de calcul et assura l’assise d’un nom fixe à chaque réalité, moyen qui nous permet de les désigner chacune et de communiquer les uns avec les autres ; ces inventions, selon certains, c’est Hermès qui les introduisit. On attribue aussi à cette déesse ce dont les hommes disposent pour retrouver et fixer le souvenir et c’est justement là l’origine de son nom. Quant à Thémis, content les légendes, elle fut la première à introduire les prédictions, les sacrifices, le rituel des cultes et à indiquer comment avoir de bonnes lois et la paix. Aussi les gardiens des devoirs de piété et des lois humaines portent-ils les noms de thesmophylaques et de thesmothètes ; et Apollon, quand il doit rendre des oracles, fait preuve de théiste, ainsi dit-on, du fait que c’est Thémis qui fut l’inventrice des oracles. Ces dieux, auteurs de tant de bienfaits pour la condition humaine, n’ont ainsi pas seulement mérité des honneurs immortels, mais ils passent aussi pour avoir les premiers habité l’Olympe après leur séparation d’avec les hommes.
LXVIII. De Cronos et de Rhéa naquirent, à ce qu’on dit, Hestia, Déméter et Héra, ainsi que Zeus, Poséidon et Hadès. Parmi eux, Hestia inventa, dit-on, la construction des maisons et, grâce à cette action bienfaisante, elle s’est aussi installée chez presque tout le monde, dans toutes les maisons, y obtenant honneurs et sacrifices. Quant à Déméter, au temps où le blé poussait au hasard avec les autres plantes, mais où les hommes l’ignoraient, elle fut la première à montrer comment le récolter, le transformer, le conserver et le semer. Elle découvrit le blé avant d’avoir mis au monde sa fille Perséphone et c’est après la naissance de celle-ci et son enlèvement par Pluton qu’elle incendia toute la récolte, parce qu’elle haïssait Zeus et qu’elle était en deuil de sa fille. Après avoir retrouvé sa fille, elle se réconcilia avec Zeus et rendit la semence du blé à Triptolème avec l’ordre de donner une part de ce présent à tous les hommes et de leur enseigner la transformation de la semence.
Extrait des pages 87 à 90
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