Extrait issu du Moyen Âge par ses images de Chiara Frugoni, paru aux Belles Lettres en octobre 2015 (coll. Histoire) dans une édition enrichie de plus de 200 illustrations. Traduit de l’italien par Lucien d’Azay :
Les hiérarchies angéliques, des séraphins aux anges
On doit la subdivision des hiérarchies angéliques à un auteur anonyme du début du VIe siècle, qui se présente comme Denys, du Ier siècle apr. J.-C., membre de l’Aréopage et nommé dans les Actes des Apôtres : le Pseudo-Denys, auteur, parmi tant d’oeuvres, de la De Coelesti hierarchia, qui connut un immense succès. Selon le Pseudo-Denys l’Aréopagite, neuf cercles concentriques, de plus en plus grands à mesure qu’ils s’élargissent vers l’extérieur, sont disposés autour de Dieu. Le cercle des séraphins, dotés de six ailes et rouges parce qu’ils reflètent l’amour de Dieu, est le plus petit de tous, suivi de celui des chérubins, dotés de quatre ailes (six exceptionnellement), de couleur bleue, qui représentent la parfaite connaissance de Dieu. À partir des trônes, les êtres célestes n’ont que deux ailes. Les neuf choeurs angéliques se divisent en trois groupes : Séraphins, Chérubins, Trônes ; Dominations, Vertus, Puissances ; Principauté, Archanges, Anges. Les Trônes ont pour mission de transporter au paradis le trône de Dieu. Des Dominations dépend l’ordre universel, les Vertus sont les dispensateurs de la grâce divine, les Puissances surveillent la distribution des pouvoirs à l’humanité. Les Principautés veillent sur les nations, les Archanges sont les grands conseillers envoyés par le ciel, les Anges sont les plus familiers aux hommes parce qu’ils ne perdent pas de vue leurs occupations. D’un point de vue iconographique, les neuf choeurs angéliques, à l’exception des Séraphins et des Chérubins, n’ont pas de caractéristiques fixes ni de particularités, et sont d’ordinaire représentés comme neuf anneaux couverts de plumes, circulaires et concentriques.
Dans la coupole en mosaïque du baptistère de Florence, on a fait un effort particulier pour diversifier les hiérarchies les plus abstraites : les Dominations empoignent un long sceptre, les Puissances portent une cuirasse et un casque à cimier, les Principautés tiennent une bannière blanche à croix rouge, les Vertus libèrent les possédés, les Trônes portent dans leurs mains une amande, symbole, dans l’art byzantin, du trône divin. Les critiques sont plutôt d’accord pour estimer que cette partie de la mosaïque a été réalisée vers la moitié du XIIIe siècle.

Les hiérarchies angéliques, mosaïque, vers la moitié du XIIIe siècle, Florence, baptistère
Parmi les Archanges, il en est trois qui ont un nom et une histoire : Gabriel, Raphaël et Michel. Nous avons rencontré plusieurs fois Gabriel, qui fut envoyé annoncer à Marie la conception divine. Raphaël, dont les attributs sont le poisson et la boîte de médicaments, guide et protège le jeune Tobie, dans le livre éponyme de la Bible. Le vieux père de Tobie, devenu aveugle après avoir été frappé par la fiente d’une hirondelle en vol, avait envoyé son fils dans une ville lointaine pour recouvrer une créance. À Tobie, qui ne connaît pas le chemin, se présente un homme qui lui propose de le guider, s’étant déclaré expert du territoire : il s’agit en réalité de l’archange Raphaël. Pendant le voyage, les deux personnages pêchent un énorme poisson dont l’accompagnateur veut conserver le coeur, le foie et le fiel. Avant même d’arriver à destination, Tobie épouse la belle Sarah, dont un démon jaloux avait toutefois fait mourir, l’un après l’autre, sept maris successifs la nuit même de leurs noces. Mais Tobie survit, lui, parce qu’il met en fuite son adversaire, sur le conseil de Raphaël, en brûlant le coeur et le foie du poisson. Puis, ayant recouvré la créance, Tobie rentre chez lui avec son épouse et la dot ; grâce au fiel, toujours sur le conseil de Raphaël, il redonne la vue à son vieux père. Au Moyen Âge, on trouve des sculptures et des miniatures qui illustrent ce récit que l’on peut lire comme un roman, mais c’est à la Renaissance que les peintres et les sculpteurs entreprirent sur ce thème des oeuvres de grandes dimensions, séduits par l’ange gardien et la confiance absolue, pareille à celle d’un enfant. De fait, ils abaissèrent délibérément l’âge de Tobie, comme dans un très beau groupe en bois attribué à Domenico Indivini (vers 1445-1502), conservé dans l’église de Sant’Antonio, mais provenant de l’église de Sant’Agostino, à Cascia, en Ombrie. Bien couvert pour faire face au long voyage, le petit Tobie tient le gros poisson accroché à un hameçon et lève ses yeux étonnés et émerveillés vers Raphaël qui, pieds nus, dans des vêtements vaporeux que font flotter ses grandes ailes, avance d’un pas léger mais sûr, le pot de médicaments à la main.
Des trois archanges, c’est toutefois Michel dont la personnalité est la plus définie : prince des milices célestes, adversaire résolu du diable, c’est lui qui, dans l’Apocalypse, fait tomber les anges rebelles et Lucifer en enfer où ils seront transformés en démons ; il a été désigné pour peser les actes des âmes au Jugement dernier. Dans un autel espagnol très coloré, réalisé entre 1220 et 1250 et dédié aux trois archanges, Michel est le protagoniste.
Le voici avec son bouclier et sa lance, qui transperce le dragon. On lit dans l’Apocalypse (12, 7-9) : “Et il y eut un combat dans le ciel. Michel et ses anges combattaient contre le dragon et le dragon combattait avec ses anges, mais ceux-ci ne furent pas les plus forts et il n’y eut plus de place pour eux dans le ciel. Et il fut précipité, le grand dragon, le serpent ancien, qu’on appelle le diable et Satan, celui qui séduit la terre tout entière, et ses anges furent précipités avec lui.” Puis nous voyons Michel en train de disputer une âme à un démon noir et enflammé, essayant de faire pencher de son côté le plateau où figure la tête de cette âme (sur l’autre se trouve la tête d’un démon), et enfin l’institution de son culte sur le mont Gargano, dans les Pouilles. D’après la légende, écrite vers le IXe siècle, un berger, Garganus, avait tiré une flèche sur un taureau qui avait échappé à son troupeau et s’était réfugié dans une grotte au sommet de la montagne. La flèche était cependant revenue en arrière et avait aveuglé Garganus. Alors l’évêque de Sipontum, suivant les instructions de l’archange, avait réussi à extraire la flèche et avait dédié à Michel le mont et un sanctuaire, à l’endroit où était arrivé le taureau.
Extrait des pages 207 à 212
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