Conspirateurs et tyrannicides : affinités et divergences

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Jean-Noël Tardy, L’Âge des ombres. Complots, conspirations et sociétés secrètes au XIXe siècle, 2015, 672 pages, index, bibliographie, 35 €. En librairie.


Extrait de L’Âge des ombres. Complots, conspirations et sociétés secrètes au XIXe siècle, de Jean-Noël Tardy, 2015
:

Jusqu’au Second Empire, les sociétés secrètes politiques de toutes tendances idéologiques entretiennent un rapport ambigu au meurtre du souverain. La radicalité du but à atteindre, la disparition du tyran, n’est pas désavouée. La rhétorique du tyrannicide est profondément ancrée dans la culture de l’époque. Les références aux précédents de l’Antiquité ou les débats du XVIe siècle font partie de l’éducation des élites. À cela s’ajoute le précédent du procès et de l’exécution de Louis XVI : la mort du roi distingue les Montagnards des autres républicains et constitue une part de l’héritage de tous ceux qui se réclament de cette culture politique.
Mais si elles peuvent admirer les tyrannicides, les sociétés secrètes réprouvent finalement le moyen. La raison principale de ce rejet ambigu tient dans la différence de buts politiques qui séparent les tyrannicides des appareils politiques des sociétés secrètes. Sous la monarchie de Juillet, ces sociétés se veulent des alternatives à l’appareil d’État. Elles aspirent à incarner un pays réel non consulté faute de suffrage universel. Le régicide ne garantit nullement la prise de pouvoir sur l’État des hommes des sociétés secrètes. Il élimine le tyran, mais ne change pas le système.
En 1837, un placard des sociétés secrètes en voie de reconstitution (en l’occurrence, les phalanges démocratiques, qui assurent la transition entre les Familles et les Saisons), condamne pour cela les régicides :

À part tout ce qu’avaient de louable leurs projets, il n’y avait pas de vrais succès à en espérer, car ce n’est pas tout de tuer le tyran, il faut encore anéantir la tyrannie ; on ne pouvait et l’on ne peut encore obtenir ce DOUBLE RÉSULTAT qu’au moyen de l’union de tous les républicains : plus que jamais l’union fait la force.
Aussi le comité, touché de l’insuffisance ou du danger des attaques isolées, se réserve-t-il, par l’article 9, expressément la direction des coups que la société doit porter pour atteindre le DOUBLE RÉSULTAT. Aucun sectionnaire […] ne pourra rien tenter contre la tyrannie ou contre les tyrans, sans son ordre formel… Couper une tête à l’hydre, c’est très-bien, mais ce serait mieux de l’écraser tout entière (1).

Par ailleurs, les leaders savent que l’attentat contre la personne du roi se rapproche trop de l’assassinat pour donner à ses auteurs une véritable popularité. Ils privilégient donc l’insurrection qui prend la forme d’un combat héroïque et apparaît comme une manifestation de souveraineté populaire conforme à l’idéologie démocratique des Montagnards du XIXe siècle. Toute tentative d’assassinat du monarque semble au contraire signaler que le peuple est incapable politiquement de se révolter, et donc qu’on ne saurait s’appuyer sur lui dans le régime futur. Alibaud a des mots très durs pour le peuple français dans le discours qu’il avait préparé pour son procès : « Peuple lâche, comme l’on te fait porter le bas, et tu baisses les oreilles ; tu mériterais des coups de bâton. On en viendra là et à quelque chose de pis encore si tu continues de supporter le joug (2). »
De fait, les régicides n’agissent pas sur les ordres des grandes sociétés politiques, publiques ou secrètes, du mouvement républicain. (Pages 540-541)

Notes:

(1) Cour des pairs, Affaire des 12 et 13 mai 1839. Rapport fait à la Cour les 11 et 12 juin 1839, par M. Mérilhou, comprenant les faits généraux et la première série de faits particuliers, Imprimerie royale, Paris, 1839, p. 33-34.
(2) Texte du discours d’Alibaud, AN CC 700.

>> Lire également l’introduction complète, 22 pages à feuilleter en ligne ici.

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