Les Mayas : la dimension cosmique du roi

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Extrait de Claude-François Baudez, Les Mayas, 2004 :

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Piedras Negras, stèle 11. Le roi est assis dans une niche profonde, encadrée par le monstre céleste bicéphale, dont le corps est une bande géométrique divisée en panneaux. L’oiseau au sommet du monument représente le soleil diurne. Les deux têtes du monstre pendent sous la niche: à gauche, elle est vivante et crache de l’eau ; à droite, elle est morte et présentée à l’envers. Une échelle, placée devant la niche porte des traces de pas dirigées vers le haut qui témoignent du mouvement ascendant du roi. Au pied de l’échelle, une victime humaine sacrifiée, miniaturisée, est offerte à l’occasion de l’intronisation / Copán, stèle B. Le roi Dix-Huit Lapin, comme le soleil levant auquel il s’identifie, sort de la gueule du monstre terrestre. Le museau du monstre, vu de face, est encadré par deux têtes de perroquet et à demi- recouvert de figures d’ancêtres. La mâchoire inférieure du monstre est signalée par une rangée de dents au-dessus des pieds du roi. Celui-ci, coiffé d’un turban, presse sur sa poitrine, la barre cérémonielle, un sceptre rigide dont les extrémités sont faites de gueules béantes de serpent.

Sur les stèles, le roi est seul ou accompagné de captifs assis à ses pieds ou d’un seul prisonnier couché sous lui ; ou encore de la reine ou d’un dignitaire qui l’accompagne dans un rituel. Le souverain paraît avoir le monopole des images sculptées sur pierre : si d’autres individus se tiennent à ses côtés, il apparaît toujours sur un monument comme le personnage principal. Pour montrer sa puissance dans l’univers, il est volontiers présenté dans un cadre cosmologique qui lui donne une « dimension cosmique ». Déjà, sur les stèles anciennes de Tikal, la personne royale est encadrée en haut et en bas par deux images : la supérieure est une créature surnaturelle, une force naturelle, un esprit tutélaire ou un ancêtre ; l’inférieure est un masque de monstre, de profil. La zone supérieure représente le ciel, l’inférieure la terre. Placer le roi ou un autre être humain au cœur d’un cosmogramme vertical (c’est-à-dire d’une image en élévation de l’univers) n’est pas une invention des Mayas des Basses Terres. On trouve des constructions comparables plus anciennes sur les monuments du préclassique récent de la côte Pacifique (Izapa) et des Hautes Terres du Guatemala (Kaminaljuyú). Au classique, la voûte céleste est souvent (et notamment sur les stèles de Piedras Negras, cf. Organisation sociale, chap. IV) représentée comme un monstre bicéphale au corps arqué et aux têtes soit identiques, soit contrastées (l’une vivante, l’autre décharnée). Pour indiquer que le monstre représente le ciel et non la terre, on remplace son corps par une frise rectangulaire divisée en panneaux qui contiennent des signes représentant des astres et des attributs du firmament. Un oiseau aux plumes longues et abondantes (sans doute un quetzal) est perché, au sommet de la composition, sur le « corps » du monstre céleste. Cet oiseau, remplacé dans des contextes structurellement analogues par le perroquet, un autre volatile aux vives couleurs, figure le soleil diurne au zénith. Si, dans ces compositions, le souverain est surmonté d’une image reptilienne qui représente le ciel, dominé à son tour par un oiseau qui représente le soleil au zénith, il s’ensuit que l’image conventionnelle placée sous ses pieds désigne la terre. Les cosmogrammes verticaux complets dont le roi fait partie sont rares par rapport aux représentations très nombreuses du souverain qui se tient simplement sur une image de la terre ; ce sont cependant les premiers qui permettent d’établir avec un haut degré de probabilité la nature terrestre du piédestal sur lequel se tient le roi. Le plus souvent c’est un masque d’une créature reptilienne où dominent les traits du crocodile ; généralement privé de mandibule, il a un museau pendant, un nez à double volute avec deux tubes de jade ou d’os issus des naseaux, des yeux à lourde paupière et des sourcils importants aux extrémités en volute. Le masque et le monstre qu’il incarne sont qualifiés de monstre cauac, à cause des éléments de ce glyphe, qui désigne le dix-neuvième jour du calendrier rituel, qui ornent la créature. Le roi se tient debout ou assis sur une image de la terre (un animal emblématique, le monstre cauac ou un signe conventionnel) et peut avoir au-dessus de lui une image de la voûte céleste, le plus souvent sous la forme d’un reptile bicéphale.
Interviennent parfois des créatures de l’au-delà, esprits (qui appartiennent aux deux grandes catégories : terrestres/reptiliens ou solaires/félins), et ancêtres (cf. Le monde mythique, chap. VII).
La présence de ces derniers confirme la légitimité royale et rappelle au roi les devoirs rituels de sa charge. La dimension cosmique du souverain lui est donnée également par son costume et ses attributs ou accessoires. Son costume fait de son corps une image verticale de l’univers : la coiffure en est peut-être la pièce la plus importante et la plus personnelle. Elle comprend des masques et d’autres éléments symboliques qui définissent certains aspects de la fonction royale (guerrier, grand prêtre, garant de la fertilité, etc.), parfois le nom du souverain sous forme imagée ou glyphique, et une profusion de plumes qui, en évoquant l’oiseau, se rapporte au niveau céleste. Plus bas, les bijoux d’oreille, les colliers et autres pectoraux sont faits de jade, matériau qui représente l’eau ou la pluie. La ceinture, décorée des symboles (soleil, lune, étoile, nuit, etc.) dont l’ensemble représente le ciel, est encore du domaine céleste. La moitié inférieure du corps se rapporte à la terre et à l’inframonde : le souverain porte souvent une jupe courte en peau de jaguar, et le pagne est orné d’une tête de jaguar, animal emblème du soleil nocturne ; il est encadré par deux mâchoires stylisées de serpent qui peut-être représentent la terre comme demeure du soleil de nuit. Le roi maya porte dans les bras un sceptre (dit « barre cérémonielle ») dont les extrémités sont deux têtes de serpent ; cet objet représente le ciel comme le confirme le corps de la barre, souvent orné d’une bande céleste. Le souverain apparaît donc alors comme porteur du ciel, analogue aux bacabs, atlantes de la mythologie maya qui supportent la voûte céleste aux quatre coins de l’univers. Le roi peut aussi brandir la foudre personnifiée. Très souvent également, il est montré comme guerrier porteur d’une lance et d’un bouclier, comme prêtre avec une bourse à encens, ou, en mélangeant les genres, il cumule les deux fonctions. Sur d’autres sculptures, telles que linteaux ou panneaux, la figure royale est représentée généralement avec plus de liberté et en compagnie d’autres personnages (par exemple les scènes de capture ou les rituels sur les linteaux de Yaxchilan, la reddition de vaincus sur le panneau 12 de Piedras Negras). De nombreuses céramiques, surtout à décor polychrome, sont de véritables scènes de cour où le nom d’un roi figure dans l’inscription. (Pages 84 à 86)

Source :

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Claude-François Baudez, Les Mayas, Guide Belles Lettres des civilisations, 3e tirage (2004), 2009. 272 pages, illustrations, 19 €

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