Le paganisme grec vu par Reynal Sorel

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Reynal Sorel, Dictionnaire du paganisme grec. Notions et débats autour de l’époque classique, préface de Jean-François Mattéi, coll. Vérité des mythes, 2015, 528 pages, 35 €

Extrait de l’avant-propos du Dictionnaire du paganisme grec de Reynal Sorel, 2015 :

La singularité du paganisme est de baigner dans le pluriel. Pluriel des commencements de l’humanité, pluriel des mises en ordre du monde, pluriel des panthéons civiques, pluriel des cultes sur une même terre… Certes on égorge ici comme ailleurs, mais pour des panthéons différents les uns des autres. Les panthéons réfléchissent la citoyenneté d’une cité, car un panthéon est citoyen.
Il ne correspond qu’à lui-même.
Ainsi tout voyageur grec est-il nécessairement étranger en terres hellènes.
C’est encore cela, le paganisme.
La mécanique païenne a broyé, certes différemment de la mécanique monothéiste. Elle a broyé femmes, nouveau-nés, esclaves, citoyens ostracisés, impies, philosophes, et encore prisonniers de guerre et vierges immolés avec les animaux domestiques… Ainsi le paganisme a-t-il pris acte de la transformation du troupeau humain en bétail… : de l’effacement du pasteur d’un âge d’or, qui n’a pourtant rien de véritablement paradisiaque, au profit du maître incarné par un Zeus dont la conscience hellène n’oubliera jamais, sans trop le dire, qu’il a usurpé le trône de son pasteur de père, Kronos. Le règne de Zeus est infernal : c’est le nôtre, pensent les païens, celui de la race de fer. Ces deux règnes, du père puis du fils, ont la particularité de ne pas souhaiter une descendance masculine.

Raté pour Kronos ; maîtrisé par Zeus. C’est le thème du « fils jamais né »…, du point de vue divin, inverse de celui des hommes dont la naissance d’un fils assure que ses devoirs d’inhumation seront remplis… au bénéfice d’Hadès.
Le paganisme grec a aussi tendu l’esprit à deux thèmes chers à Jacqueline de Romilly : la douceur et la dignité de l’homme. La douceur de son absence de prosélytisme. Pas de guerre de religion dans la tête des prêtres-stratèges. Et la dignité dans son effort de respect des lois non écrites. Lois lointaines, peut-être divines, mais cette fois audibles par un paganisme capable de se passer
de l’aphonie des dieux (qui ne disent rien) pour tendre l’oreille à ces règles du « premier droit des gens ».
Le paganisme grec c’est encore une attention à un doute qui n’a rien de rationnel : à un doute surpris par les odeurs des autels, à une interrogation sur la nature de l’offrande à rendre : effusion ou effluves ? Sang ou parfums ? La posture du contestataire se dessine. C’est une oeuvre du paganisme.
Pour le dire enfin crûment, la mécanique païenne n’avait cure de savoir si elle avait une religion. Les dialectes grecs sont sans mot pour dire la « religion », mais en possèdent plusieurs pour exprimer l’effrayante ambivalence de la présence du sacré. Et l’ambivalence balance entre la puissance et l’inconsistance des dieux.
Le paganisme fut obligé, par essence, d’en faire le tour. (Pages 16-17)


Docteur en philosophie (Paris IV-Sorbonne), conseiller scientifique des volumes III et IV de l’Encyclopédie philosophique universelle, Reynal Sorel est l’auteur d’ouvrages sur la pensée grecque dont, aux Belles Lettres, Chaos et éternité. Mythologie et philosophie grecques de l’Origine (2006).


Voir également :

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Jacqueline de Romilly, La douceur dans la pensée grecque, coll. Etudes anciennes, 1979, 2e tirage 2011, 348 pages, 45,70 €

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