Extrait de La Perse antique, de Philip Huyse, coll. Guides Belles Lettres des civilisations, 2005 :
Pendant près d’un millénaire, du début de l’époque achéménide (VIe siècle av. J.-C.) jusqu’au dernier tiers de l’époque sassanide (VIe siècle ap. J.-C.), la Perse antique fut essentiellement une société orale. Les mythes des anciens Iraniens trahissent même une certaine méfiance par rapport à la parole écrite, car l’écriture n’est pas considérée comme un don des dieux, mais comme une chose arrachée aux démons. L’écriture resta longtemps le privilège des scribes au service du roi et de la classe dominante ou des prêtres. Les tablettes élamites pour l’époque achéménide, comme les textes arabo-persans pour l’époque sassanide, laissent par ailleurs entendre qu’il existait une riche palette de scribes diversement spécialisés. La littérature écrite est alors peu développée, et rares sont les noms d’auteurs qui ont été préservés dans les colophons des manuscrits. Avant toute autre chose, l’écriture est utilisée à des fins administratives et économiques (y compris par le clergé) : les archives retrouvées par les archéologues ou dont parlent les textes sont quasiment toutes de ce genre. Au fil du temps, les religions découvrent à leur tour la puissance de la parole écrite. Au IIIe siècle ap. J.-C., en d’autres mots bien avant les mazdéens (les zoroastriens de l’époque sassanide), Mānī a été le premier à reconnaître l’importance d’une mise par écrit de sa doctrine.
Dans une culture où l’écriture est le privilège d’une minorité, l’art de l’aède, appelé gōsān en Iran dès l’époque parthe, prospère. Les gōsān semblent avoir été à la fois des animateurs, musiciens et chantres ambulants qui racontèrent les exploits des rois et héros d’antan. Après l’arrivée des Arabes, ce genre de littérature orale répondit de moins en moins aux goûts et attentes des gens, et le métier d’aède disparut peu à peu pour céder la place aux poètes-écrivains qui ont tant contribué à la renommée de la littérature persane classique. Mais, au VIe siècle ap. J.-C. déjà, les choses avaient commencé à changer : l’écriture était désormais partout, et même les prêtres mazdéens s’adonnèrent enfin à la mise par écrit de l’Avesta, transmis oralement pendant plus d’un millénaire et demi. Un indice significatif de la nouvelle place qu’occupait l’écriture dans la société iranienne et dans l’esprit des prêtres se trouve dans les nombreux ouvrages mazdéens datant pour la plupart de l’époque post-sassanide. Ils attribuent l’introduction de l’écriture et la mise par écrit de l’Avesta rétrospectivement à Zoroastre ou à ses disciples. L’arrivée de l’islam, une autre religion du Livre, a sans nul doute encore précipité l’évolution dans ce sens. Vers la fin de l’époque sassanide, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture fait clairement partie de l’éducation des prêtres et des jeunes aristocrates (non seulement de ceux qui appartiennent à la haute noblesse et qui sont éduqués à la cour, mais aussi des dehkāns issus de la petite noblesse).
Le premier texte datable écrit dans une langue iranienne est la version vieux-perse (réalisée vers 520 av. J.-C.) de la grande inscription de Darius Ier. Darius éprouva dès le début le besoin d’écrire ce document de légitimation en vieux-perse, alors qu’il avait été rédigé dans un premier temps uniquement en néo-élamite et néo-babylonien (en quelque sorte les langues des « prédécesseurs » des Achéménides à Suse et à Babylone). Il voulait s’adresser à ses sujets dans sa propre langue. Il existe certes quelques brèves inscriptions au nom du fondateur de l’empire Cyrus, mais il y a de fortes raisons de croire que Darius en est également l’auteur. Tout cela ne veut évidemment pas dire que les Achéménides furent les premiers Iraniens à utiliser l’écriture, puisque le verbe vieux-perse nipaištanaiy « écrire » est lui-même d’origine mède, comme l’indique le groupe consonantique –št-, mais ils ont certes été les premiers à utiliser l’écriture pour rendre leur propre langue. (Pages 159-160)
Source :
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