Chères lectrices, chers lecteurs,
En cette rentrée, Les Belles Lettres font le point sur les dernières découvertes du monde de la recherche. Fréquemment, des manuscrits latins, grecs, chinois, syriaques et bien d’autres sont retrouvés, déchiffrés ou redécouverts à la lumière des nouvelles technologies qui permettent de les restaurer ou d’en percevoir les écritures cachées.
Ce sont ces textes qui enrichissent le patrimoine littéraire que Les Belles Lettres souhaitent partager au plus grand nombre, ces textes qui sont les piliers de nos bien aimés Budé et qui font que nos collections accueillent toujours de nouveaux fragments à dévorer.
Cette semaine, intéressons-nous au syriaque, cette forme d’araméen parlée à Édesse au IIᵉ siècle et qui, après la christianisation, s’est répandue dans tout le Proche-Orient et au-delà pour devenir une grande langue de culture.
C’est à travers la découverte d’une traduction en syriaque d’un texte de Galien effacée au Moyen Âge pour réutiliser le parchemin que nous nous penchons aujourd’hui sur l’importance de cette langue et de cette culture pour la transmission du savoir antique entre les mondes gréco-romain, islamique puis latin.
Le traité pharmaceutique de Galien transmis par le syriaque
Galien, à la fois médecin, philosophe, commentateur de l’œuvre d’Hippocrate et auteur de la plus vaste œuvre médicale qui nous soit parvenue, a rédigé au IIᵉ siècle un traité pharmaceutique intitulé Sur les pouvoirs et les mélanges des drogues simples. Alors que seuls les livres 6-8 de ce traité semblaient nous être parvenus, une traduction en syriaque du texte de Galien a été identifiée il y a une dizaine d’années dans un parchemin palimpseste du IXᵉ siècle. Cette traduction syriaque a été effacée, probablement au XIᵉ siècle, pour recycler le parchemin et y écrire des hymnes liturgiques.
Durant la dernière décennie, en utilisant la spectrométrie de fluorescence des rayons X, c’est à dire en bombardant le parchemin de rayon X, faisant ainsi apparaître les différentes couches d’encres qui contiennent certains métaux, les feuillets de ce manuscrit ont pu être numérisés. Puis, des chercheurs dirigés par le professeur Peter E. Pormann de l’université de Manchester et le professeur Siam Bhayro de l’université d’Exeter se sont affairés à déchiffrer le traité de Galien traduit par Sergius de Reshaina, grand traducteur syrien de textes grecs. Il s’agit d’une découverte extrêmement importante et enrichissante, non seulement parce qu’elle permet de mieux connaître l’œuvre de Galien, mais aussi parce qu’elle fait prendre conscience de l’importance du syriaque comme langue-lien entre les civilisations antiques.
C’est en effet dans l’étude de la transmission des connaissance que cette découverte est la plus passionnante. Comme l’explique Peter E. Pormann : « Si vous voulez comprendre la médecine au Moyen-Orient, vous devez regarder la traduction et la transmission des connaissances » (d’après Actualitté). Cette traduction de Sur les pouvoirs et les mélanges des drogues simples avait permis la diffusion du nom et l’œuvre de Galien dans le monde islamique. Le syriaque faisait ainsi office de langue de passage entre le grec et l’arabe.
Ce manuscrit est considéré par les chercheurs comme une preuve de l’importance du syriaque dans la diffusion des connaissances antiques en général, et représente, toujours selon Peter E. Pormann, « un énorme morceau d’histoire [qui] aidera à comprendre comment ils ont géré et traité la maladie historiquement dans cette partie du monde. »
La tradition syriaque d’Alexandre le Grand

Les éditions Les Belles Lettres sont très engagées dans la diffusion des textes du monde syriaque, notamment grâce à la collection « Bibliothèque de l’Orient Chrétien », qui apporte un éclairage essentiel sur l’histoire de régions s’étendant de l’Éthiopie au Caucase et à l’Iran, depuis l’Antiquité tardive jusqu’au Moyen Âge, et présente en traduction française une littérature rédigée non seulement en syriaque, mais également dans des langues aussi variées que l’arménien, l’arabe, le copte, l’éthiopien, le géorgien ou le grec.
C’est notamment dans cette collection que sera publié dans les mois à venir un ouvrage intitulé Alexandre le grand en syriaque, présentant la figure d’Alexandre le Grand à partir des textes syriaques rédigés depuis l’Antiquité et de recherches inédites. Vous y découvrirez un Alexandre roi – bien sûr –, mais aussi un Alexandre philosophe, prophète et maître du temps à travers les traductions et adaptations syriaques des sources grecques comme le fameux Roman d’Alexandre, ainsi qu’à travers les textes originaux composés en syriaque et parfois repris jusque dans le Coran.
Nos titres en lien avec ces recherches



Parlons philologie
La philologie, cette discipline consistant à étudier une langue et sa littérature à partir des documents écrits, manuscrits anciens et autres fragments de textes, est à la source du travail d’édition des Belles Lettres. Comparer les différentes éditions d’un même texte, altérées par les réécritures et toutes les erreurs qui en découlent, afin d’établir une version la plus proche possible de l’originale, voilà le travail des philologues qui établissent les textes que vous retrouvez dans nos collections. Afin de vous présenter ce formidable travail, voici deux ouvrages qui traitent du sujet :

Sebastiano Timpanaro reconstruit ici l’histoire des méthodes employées par les philologues depuis la Renaissance, et montre que la « méthode de Lachmann », ensemble de règles que les éditeurs des textes classiques et médiévaux pourraient appliquer de façon systématique, est en réalité le fruit d’un travail collectif qui s’est échelonné sur plusieurs siècles.

Cet ouvrage classique détaille dans une langue simple et vivante la façon dont les manuscrits grecs et latins ont été copiés (par qui, dans quel contexte, en utilisant quelles écritures). Il analyse les erreurs récurrentes apparues dans les textes au cours de ce processus, présente les jalons essentiels de toute tradition manuscrite (originaux, archétypes, prototypes) et les principes devant guider le travail d’édition critique d’un texte.
