Tous les discours de l’orateur Démosthène dans une édition unique au monde

Le 7 avril paraît l’intégralité des discours de Démosthène restitués au plus proche de leur ordre chronologique de composition, dans une nouvelle traduction plus audible. Une édition colossale et inédite.

Notre édition

Sous la direction de Pierre Chiron. Avec la collaboration de Vincent Azoulay, Matthieu Fernandez, Camille Rambourg et Frédérique Woerther

L’ensemble des textes que nous proposons en traduction dans ce volume est d’une grande diversité, sinon d’une grande hétérogénéité, tant par les genres oratoires illustrés (discours politiques, plaidoyers, discours de cérémonie, lettres ouvertes), les moments du temps (un demi-siècle au moins sépare les plus anciens des plus récents), que par les auteurs – même si Démosthène est l’auteur principal – et, par conséquent, le niveau et l’intérêt.

En effet, le corpus dont nous avons hérité de la tradition a été constitué sans doute peu après la mort de Démosthène, dans des conditions qui nous échappent en partie et qui défient parfois la reconstitution. Certains discours ont été écrits et prononcés par Démosthène dans des circonstances précises et connues, d’autres ont été écrits mais n’ont pas été prononcés, d’autres encore soigneusement revus pour une véritable « édition », initiant le mouvement de construction d’un mythe qui n’a cessé ensuite de croître et d’embellir. Certains textes ont été écrits par Démosthène en tant que « logographe » ou ghost writer, et leur authentification est compliquée par le fait que le logographe, s’il est compétent, tâche de pasticher la manière de son client. D’autres textes ont été ajoutés au corpus et qui ne sont pas de Démosthène, mais abordent des sujets connexes à ceux qu’il traite ou émanent de personnes de son entourage personnel (comme Apollodore) ou partisan (Hégésippe de Sounion).

D’autres enfin figurent là sans doute pour compléter la représentativité générique d’un orateur connu et célébré pour avoir pratiqué avec succès tous les genres et tous les styles. Ces ajouts posent des problèmes d’authenticité parfois insolubles, que nous discutons dans les notices qui précèdent les discours, et ils donnent à l’ensemble une variété qui peut surprendre. Mais ils offrent toujours au minimum le double intérêt, d’abord et surtout, de servir de faire-valoir aux « grands » textes de la maturité de l’Orateur – le Contre Midias, par exemple, les Philippiques, le discours Sur l’ambassade ou le Sur la Couronne – dont la puissance exceptionnelle est toujours sensible, mais également de donner accès au discours politique tel qu’il était plus couramment, plus banalement, pratiqué dans les derniers temps de la période démocratique à Athènes, et qui – aussi bien, sinon mieux que des chefsd’oeuvre – peut servir à d’utiles comparaisons avec nos pratiques actuelles dans ce domaine.

Face à cette diversité, nous avons fait le choix tout à fait inédit à la fois de ne rien expurger et de présenter cet ensemble dans l’ordre le plus proche possible de l’ordre chronologique. Les arguments qui plaident pour cette présentation sont développés dans l’Introduction générale ci-après. Le présent volume entend porter aussi une conception cohérente de la traduction, qui prend pour modèle lointain Cicéron et peut se résumer en trois principes simples : tout d’abord, la traduction d’un orateur politique doit être, le plus possible, intelligible, ce qui oblige à employer un lexique et une syntaxe actuels et à dégager nettement les lignes de force du propos. Il n’est ni possible, ni souhaitable d’abolir l’étrangeté des institutions, des modes de pensée, etc. des Athéniens du ive siècle av. J.-C., mais on peut, on doit essayer d’éliminer le « français de version » et toutes les afféteries qui voudraient faire de Démosthène un objet culturel rétrograde. Car moderniser, c’est aussi et surtout restituer l’énergie d’une parole vivante et présente, avec une large gamme de niveaux de langue et de jeux sur la norme linguistique. Nous nous sommes astreints dans la mesure du possible à tenir présente à la conscience et à l’oreille du lecteur une éventuelle oralisation du texte, que ses sonorités soient euphoniques ou au contraire brutales et volontairement déplaisantes, que son mouvement soit ample et périodique ou au contraire haché et heurté, qu’il vise à galvaniser l’auditoire par son élan ou à l’impressionner par son austérité.

Le perdant magnifique

En 322 av. J.-C., Démosthène se suicide sur l’île de Calaurie, dans le sanctuaire de Poséidon où il a trouvé refuge, alors qu’il est traqué par les agents du Macédonien Antipatros. À Athènes, sa mort coïncide avec l’abolition du régime démocratique – incontesté depuis plus de quatre-vingts ans – et vient entériner la perte d’influence de la cité dans le monde grec. Cette fin tragique achève de métamorphoser Démosthène en grand perdant de l’histoire, poignante incarnation de la lutte de la cité athénienne contre son irrémédiable déclassement. Comment le plus célèbre orateur de son temps s’est-il trouvé acculé au suicide, pris au piège de sa propre histoire ? Encore faut-il commencer par poser quelques jalons d’une trajectoire biographique qui, à bien des égards, épouse les grandes scansions de l’histoire d’Athènes au IVe siècle… Lire la suite

Ecouter un extrait lu de cette traduction, Première philippique :

Contre Midias, extrait

Un sommet de l’éloquence de combat, une énigme

Ce plaidoyer compte parmi les plus célèbres de Démosthène. Son titre s’est quasiment mué en nom commun: on parle de «la Midienne», et il représente l’un des sommets de la parole polémique – on pourrait dire aussi l’un des sommets de la polémique démocratique dressée contre l’arrogance des riches. Selon Pierre Carlier, «Aucun autre discours de Démosthène n’attise de cette manière la haine de classe ». Ce qui augmente encore son pouvoir d’attraction est qu’il comporte une énigme: on se demande depuis longtemps s’il fut réellement prononcé ou si Démosthène préféra «reléguer dans l’ombre le brûlot dont il n’alluma pas la mèche » – qu’il ait été soudoyé par Midias comme semble le dire Eschine (Contre Ctésiphon, § 52), ou, comme le pensent certains modernes, parce que le climat politique avait changé et qu’il souhaitait désormais ménager le parti de la paix avec Philippe. […]

La violence, juges, la brutalité dont Midias fait preuve sans arrêt avec tout le monde, je pense que personne parmi vous ni parmi le reste des citoyens ne les ignore. Pour ce qui me concerne, le parti que chacun de vous aurait choisi s’il avait été victime d’un tel outrage est celui-là même que j’ai adopté moi aussi: j’ai déposé contre lui une plainte préalable pour crime envers la fête, en raison non seulement des coups reçus de lui aux Dionysies, mais de bien d’autres violences que j’ai subies tout au long de ma chorégie. 2 Après que, dans un bel et juste élan, le peuple tout entier s’est tellement irrité, indigné, insurgé passionnément contre des injustices dont il se sentait victime avec moi, que – bien que cet individu et les quelques personnes qui prenaient sa défense n’aient épargné aucun effort – il a refusé de se laisser fléchir et de prendre en considération leur fortune et leurs promesses et l’a condamné par un vote unanime, après cela bien des gens sont venus me trouver, juges, tant parmi vous qui siégez maintenant au tribunal que parmi les autres citoyens, pour me presser de le poursuivre et de vous le livrer, et cela pour deux raisons, à ce qu’il me semble, Athéniens, par les dieux : ils considéraient que j’avais subi un traitement indigne, mais ils voulaient en même temps châtier d’autres actes qu’ils avaient vu commettre par cet insolent, ce répugnant personnage, que plus rien ne peut plus arrêter. 3 Dans une telle situation, les mesures de protection qu’il me revenait de prendre ont toutes été prises loyalement envers vous et puisque quelqu’un introduit l’action, me voici donc ici, comme vous le voyez, pour porter l’accusation, moi qui aurais pu toucher beaucoup d’argent, Athéniens, pour ne pas accuser, mais qui n’ai rien touché et qui ai enduré au contraire une foule de sollicitations, de cajoleries et même, par Zeus, de menaces. 4 Pour ce qui, désormais, reste entre vos mains, plus nombreux sont ceux que cet individu a importunés de ses admonestations – j’ai encore vu tout à l’heure, en face du tribunal, comment il s’y prend – plus augmente mon espoir d’obtenir justice. Car je ne saurais mettre en doute, de la part d’aucun de vous, ni que vous ne persistiez dans les efforts que vous avez faits vous-mêmes en ma faveur, ni – pour empêcher que Midias ne continue ses violences impunément – qu’un seul d’entre vous ne vote, après avoir prêté serment, autre chose que ce qu’il considérera comme juste. 5 Si donc, citoyens d’Athènes, je m’apprêtais à l’accuser de proposition illégale, ou d’ambassade infidèle ou de tout autre chef du même genre, il ne me paraîtrait nullement justifié de vous faire une requête 1, considérant que dans ces affaires le rôle de l’accusateur se borne à démontrer le fait, alors que l’accusé, lui, peut ajouter une supplique. Mais puisque cet individu a corrompu les juges et que pour cette raison ma tribu n’a pas eu le trépied* qui lui revenait, 6 puisque j’ai moi-même pris des coups et subi des violences telles que je ne sais pas si un autre chorège, jamais, n’en a subi de pareilles, puisque je comparais pour défendre la condamnation que le peuple, indigné par ces agissements et partageant ma colère, a prononcée par son vote, je n’hésiterai donc pas à faire aussi une requête. S’il est possible de s’exprimer ainsi, c’est moi, maintenant, qui suis le défendeur, si l’on admet que le fait d’avoir été brutalisé et de n’obtenir aucune justice est une forme de malheur. 7 Je vous demande donc à vous tous, juges, et je vous en supplie, d’abord de m’écouter avec bienveillance quand je parle, et ensuite – si je démontre que Midias que voici s’est rendu coupable d’outrages non seulement contre moi, mais aussi contre vous et contre les lois et tous les autres citoyens –, d’apporter votre secours et à moi et à vous-mêmes. Car voici la situation, Athéniens: si à ce moment-là j’ai été outragé, si j’ai été physiquement couvert de boue, la question qui va être débattue et jugée maintenant est de savoir s’il faut autoriser de tels agissements et si l’on pourra ou non outrager impunément n’importe lequel d’entre vous. 8 Si l’un de vous, par conséquent, s’est imaginé par le passé que le présent procès tenait à un différend d’ordre privé, qu’il se mette maintenant dans l’esprit qu’il y va de l’intérêt public qu’aucun acte pareil ne soit permis à quiconque, et –  convaincu que l’affaire engage la communauté  – qu’il écoute attentivement et vote dans le sens qui lui apparaîtra le plus juste. On va d’abord vous lire la loi qui régit les plaintes préalables. Après cela, je m’efforcerai de vous instruire aussi de tous les autres aspects de l’affaire. (Au greffier.) Lis la loi.

Extraits de l’introduction et de la traduction de Pierre Chiron.

Lire tout Démosthène, c’est entendre la voix du plus grand orateur de tous les temps, rendue audible à nouveau grâce à cette talentueuse traduction.

Série Editio Minor

En librairie le 07/04/2023
Livre relié sous jaquette
158 x 218 mm, XCVIII + 1246 pages, Index, Bibliographie, Glossaire
978-2-251-45335-4

  • L’intégrale des œuvres de Démosthène
  • Une traduction entièrement nouvelle, conçue sur un principe de
    lisibilité et d’audibilité, pour tout public
  • 63 discours, soit l’équivalent de 13 volumes de la collection Budé
    en un ouvrage
  • Une entreprise éditoriale inédite dans le monde
  • Un classement des textes par ordre chronologique, donnant une
    vision inédite de Démosthène
  • Des introductions essentielles et contextualisantes pour
    comprendre toute l’importance et la portée de l’œuvre
  • Des échos flagrants avec notre société
  • Par le Robert Badinter de l’Antiquité, l’orateur le plus influent
    dans sa discipline
Tout afficher