Les alliances dans le Proche-Orient ancien, par Dominique Charpin

Quatrième volume de notre récente collection Docet Omnia en co-édition avec le Collège de France, « Tu es de mon sang » de Dominique Charpin s’intéresse aux alliances dans le Proche-Orient ancien, essentielles pour comprendre la naissance de l’État ou encore la façon dont les auteurs de la Bible concevaient celle entre Dieu et son peuple.



Il y a 130 ans, des paysans égyptiens découvraient par hasard des lettres adressées au pharaon Akhenaton à la fin du XIVe siècle av. J.-C. Ces tablettes en écriture cunéiforme, envoyées par les rois des régions alentours, ont ouvert une perspective passionnante sur les origines de la diplomatie dans le Proche-Orient ancien. Dans la lignée de cette trouvaille déterminante, de nombreuses fouilles menées depuis la fin du XIXe siècle en Syrie, Turquie ou Irak, ont dévoilé l’incroyable diversité des alliances conclues entre le IIIe et le Ier millénaire…

Avant-propos, extrait

Le livre que voici est issu de mon enseignement au Collège de France au premier semestre 2016 [1]. Mon intérêt pour ce sujet remonte au milieu des années 1980, lorsque je préparais l’édition de lettres pour ce qui est devenu le volume 26/1 de la série des Archives royales de Mari ; j’ai ensuite eu la chance de pouvoir publier en 1991 la seule « grande tablette » de traité de Mari raisonnablement conservée. J’ai continué à écrire de nombreux travaux sur ce thème, portant sur la première moitié du IIe millénaire, soit l’époque dite paléo-babylonienne. En 2006, j’ai eu l’occasion d’élargir mes recherches par une comparaison avec les siècles suivants, lors de la Rencontre assyriologique internationale de Münster [2]. À l’occasion de mon cours, il m’a semblé nécessaire de prendre une vue d’ensemble, qui commence au milieu du IIIe millénaire et aille jusqu’à l’entrée des Perses achéménides à Babylone en 539 av. J.-C. J’ai choisi de publier le contenu de mon enseignement en le transformant de la même manière que je l’avais fait pour La Vie méconnue des temples mésopotamiens, selon une formule qui essaie de rendre le texte lisible par des non-spécialistes, tout en permettant à ceux qui veulent aller plus loin de trouver à la fin du volume davantage de détails sur les sources citées et les études antérieures. […]

J’ai souhaité dédier ce livre à la  mémoire de l’abbé François-Xavier Challamel : alors que j’avais achevé ma classe de première, j’ai pu découvrir grâce à lui dans l’été 1970 la Turquie, et après mon baccalauréat, l’été 1971, la Syrie et le Liban. Ces voyages merveilleux – et qui étaient, à une époque dépourvue de GPS et de téléphones portables, une véritable aventure – ont été décisifs dans l’orientation que prirent par la suite mes études et je tenais, près de cinquante ans plus tard, à lui rendre ce témoignage de gratitude.

Paris, juillet 2018

Dominique Charpin

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Notes :

[1] J’en ai annoncé la préparation dans mon étude sur « Les débuts des relations diplomatiques au Proche-Orient ancien », Revue d’assyriologie 110, 2016, p. 127-186. On trouvera la captation vidéo de ces cours sur https://www.college-de-france.fr/site/dominique-charpin/ course-2016-05-04-14h30.htm et un résumé dans l’Annuaire du Collège de France, 116, Paris, 2015-2016, p. 229-238 (en ligne : https://journals.openedition.org/annuaire-cdf/12850). Je dois signaler que la poursuite de mes recherches, après que j’ai donné ces cours, m’a parfois conduit à modifier mon point de vue.

[2] D. Charpin, « Guerre et paix dans le monde amorrite et post-amorrite », dans H. Neumann et al. (éd.), Krieg und Frieden im Alten Vorderasien. 52e Rencontre assyriologique internationale, Münster, 17.-21. Juli 2006, AOAT 401, Münster, 2014, p. 189-214.




Les mariages dynastiques, le statut d’épouse et le statut de reine : extraits

Lorsque les rois concluaient une alliance, celle-ci était souvent prolongée par un mariage dynastique, un des rois donnant à l’autre une de ses filles – généralement pour qu’elle l’épouse ou épouse un de ses fils. Ces mariages dynastiques sont connus pendant les trois millénaires de l’histoire mésopotamienne, et les pratiques semblent avoir peu changé pendant cette longue durée. Lire la suite en PDF

Le statut d’épouse et le statut de reine

Les  rois de l’Orient ancien n’étaient pas monogames. À l’époque paléo-babylonienne, il semble que les hommes pouvaient avoir deux épouses principales, ainsi que des concubines. Lors d’un mariage dynastique, il fallait donc fixer le statut de la nouvelle épouse. Celui de reine (šarratûtum) était convoité : certaines filles de Zimri-Lim, mariées à des vassaux de leur père, découvraient en arrivant dans le palais de leur époux qu’elles n’avaient pas la place de premier plan qu’elles escomptaient. Ce fut le cas de la pauvre Inibšina à Ašlakka :

Maintenant, je suis entrée à Ašlakka et j’ai encore plus de sujets de mécontentement. L’épouse d’Ibal-Addu, elle seule, est reine ; et les envois de la ville d’Ašlakka et des différentes cités, c’est toujours cette femme qui les reçoit ! Quant à moi, il m’a placée à résidence dans le harem (tubqum), et il me fait tenir les joues dans mes mains comme une simplette. C’est toujours devant la femme, son épouse, qu’il prend sa nourriture et sa boisson. Constamment mes yeux [sont remplis de larmes] et je ne peux desserrer mes lèvres. Il vient de renforcer sa garde sur moi.
Autre chose : le renom de mon seigneur est très fort, mais moi, ici, je ne vois que sujets de mécontentement. Je n’ai pas reçu le récipient ni les 2 vases de luxe en or que mon seigneur m’a envoyés en retour chez Ibal-Addu ; il ne m’a pas donné le récipient ni ces vases de luxe. S’il aimait la personne de mon seigneur, alors il me désirerait, moi, ta servante !
(ARM 10 74 : 10-37)

On voit le lien très fort qui est fait dans cette lettre entre l’attitude politique et le statut réservé à la fille de son allié : si Ibal-Addu méprise Inibšina, c’est parce qu’il ne se soucie guère du roi de Mari. La suite devait confirmer l’intuition de la malheureuse…

Cela explique la réprimande que Samsi-Addu avait adressée une vingtaine d’années plus tôt à son fils Yasmah-Addu :

Tu m’as envoyé une lettre au sujet de la fille d’Išhi-Addu,…, la femme qui t’est arrivée. Il ne faut pas que tu mettes à exécution cette histoire de mise à l’écart, que tu lui fasses l’injure de la mettre au harem, que son père ne l’apprenne et que son cœur ne s’en irrite. Elle doit habiter dans ton palais, à Mari. Des rations, de quoi s’oindre et de la nourriture doivent lui être assignés ; il faut qu’on la voie partout de sorte que son père, l’ayant appris, s’en réjouisse. (A.4471 : 4-13)

(Extraits des pages 216-228)

Dominique Charpin

Dominique Charpin est professeur au Collège de France. Après avoir été épigraphiste de terrain à Mari (Syrie) et Larsa (Irak), il travaille depuis 2015 avec la mission américaine qui a repris la fouille d’Ur. Il est notamment l’auteur de Hammu-rabi de Babylone (2003) et Lire et écrire à Babylone (2008) ; il est co-éditeur des Archives Royales de Mari, directeur de la Revue d’assyriologie et d’archéologie orientale et responsable du site Internet www.archibab.fr.

Il a déjà publié aux Belles Lettres La vie méconnue des temples mésopotamiens

Rencontrez Dominique Charpin

Jeudi 28 février 2019 à 18h30 à la Librairie Picard & Epona (Paris, 6e)

Le livre

En librairie -21 €
  • Dominique Charpin, « Tu es de mon sang ». Les alliances dans le Proche-Orient ancien, Les Belles Lettres / Collège de France, 2019
  • 338 pages. Index, 3 cartes, 60 illustrations N&B
  • Livre broché, à rabats – 13.7 x 21.1 cm
  • Docet omnia N°4
  • Parution : 15/02/2019
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