La chasse, la pêche, Rome et le Christ

Extrait d’un livre captivant et insolite consacré à l’histoire politique et symbolique du pouvoir papal : Le Bestiaire de Pape, d’Agostino Paravicini Bagliani.

L’ouvrage a peu d’équivalents. […] La manière de procéder, systématique et érudite, laisse bouche bée. Paravicini Bagliani effectue un travail d’« archéologue » hors pair en remontant l’ordre chronologique pour dénicher les associations entre animaux et papauté, et donc en identifiant et en explorant toutes les sources iconiques et textuelles possibles.

Libération

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L’éloge que Pétrarque fait de la chasse, comme expérience de solitude intellectuelle, intervient sous le pontificat de Clément VI, le pape qui fit décorer son studium dans le palais d’Avignon de fresques qui constituent un vrai traité cynégétique. Déjà au cours de la première année de son pontificat (1342), Clément avait fait agrandir les appartements pontificaux qui occupent la tour du Pape, située à l’angle sud‑est du palais avignonnais, par la construction d’une seconde tour qui prit le nom de tour de la Garderobe. Depuis la chambre de Benoît XII, située dans la tour du Pape, on entrait dans celle de Clément VI, son studium personnel avec bibliothèque annexée : lieu « secret », c’est‑ à‑dire « réservé », dans lequel le pape se retirait pour lire, travailler, se reposer. Un lit est mentionné dans les comptes de la Chambre apostolique depuis 1344.

La chambre de Clément VI fut entièrement décorée par Matteo Giovannetti et son atelier, tant sur les parois que sur le plafond ; ignorées pendant des siècles, les fresques a giornate furent redécouvertes en 1906. Différentes typologies de chasse apparaissent sur chaque paroi : chasse au furet (sud), au faucon (est, pl. 11), avec la technique du miroir (est), avec arbalète (ouest), au cerf (ouest) et par rappel (nord). Ce dernier type se pratiquait à la fin de l’année, depuis la fête de saint Michel, si l’on en croit le Livre de chasse du roy Modus et de la Royne Ratio d’Henri de Ferrières, principal traité de cynégétique de l’époque ; sa présence est donc peut‑être un hommage au saint patron de la chapelle privée du pape.

Fresque chasse bestiaire du pape

Illustration issue du cahier hors-texte de reproductions en couleurs présent dans le livre

Des scènes de chasse sont représentées aussi sur les poutres : celle au sanglier, sur des poutres au centre, et à l’entrée, de front ; les chasses à l’arbalète et à l’arc, sur la poutre la plus éloignée de la porte principale ; les chasses au lapin et celles avec filets et trappes sont visibles sur les frises, en haut, sur les deux autres parois. La seule chasse qui est représentée sur une poutre du plafond ainsi que sur une paroi est celle au cerf, présente sur la troisième poutre longitudinale, la plus visible en entrant de la porte principale.

Une dizaine d’années après, sous Urbain V, cette chambre fut décrite comme étant celle « où des cerfs sont peints » et finit par prendre le nom de chambre du Cerf. Il est vrai que la chasse au cerf – dont on entrevoit aujourd’hui seulement la croupe – occupe une place centrale sur la paroi est et n’est pas éloignée de la scène sur la paroi nord où quatre pécheurs entourent une poissonnerie. À côté du cerf on aperçoit justement un pécheur, et plus en avant, vers le centre de la poutre, en position d’honneur, figurent la louve et les jumeaux (dont seulement les têtes sont visibles) et la poule accompagnée par sept poussins. Louve et jumeaux renvoient à Rome ; la poule représente l’Église mère, selon une ancienne tradition iconographique – qu’on pense à la splendide composition en argent doré, conservée à Monza, qui est dite avoir été donnée par Grégoire le Grand à la reine lombarde Théodolinde – bien attestée en France entre le XIIIe et le XIVe siècle. Sur le plafond on distingue le blason de Clément VI, à côté des clefs de l’Église romaine, ainsi que celui du roi de France : d’azur à quatre fleurs de lys. Sur les parois, un ciel azur se mêle à une sorte de forêt d’« un vert profond qui sert de toile de fond ». Les feuillages des arbres sont emplis d’oiseaux, et les fleurs forment une sorte de champ sur lequel s’étalent les protagonistes de la chasse et de la pêche.

Sur les parois et sur la poutre principale du plafond, chasse et pêche sont donc accompagnées par deux références symboliques qui, comme nous l’avons déjà vu, renvoient à Rome et à l’Église. La chasse au cerf, avec son indubitable référence christologique, confirme la fonction de guide de la société chrétienne de la papauté, qui rayonne depuis Rome (la louve) sur toute l’Église universelle (la poule avec ses poussins). Sur l’arrière de cette poutre, entre plusieurs animaux apparaît une licorne, symbole de pureté et emblème du Christ. En outre, et il s’agit d’un élément important, la position de l’animal est ici en correspondance évidente avec celle des symboles de Rome et de l’Église.

Extrait des pages 122 à 124. Les notes présentes en fin de volume ont été ici retirées.

Le Bestiaire du Pape

bestiaire intérieur

Agostino Paravicini Bagliani, Le Bestiaire du Pape, Les Belles Lettres, collection Histoire n° 145, livre broché sous jaquette, 480 pages avec bibliographie, index et un cahier central de plus de 30 illustrations en couleurs, 26,90 € en librairie ou sur notre site internet.

Pour en savoir plus, et découvrir d’autres extraits, nous vous proposons de lire notre lettre d’information consacrée à cet ouvrage. Si elle vous a plu, n’hésitez pas à vous inscrire pour recevoir les prochaines !


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