Ils sont hommes politiques, savants, professeurs, écrivains.
Ils partagent une conviction simple : leur vie eût été bien différente s’ils n’avaient pas été nourris par le monde antique.
Ils ne pensent pas que c’était mieux avant ; ils sont convaincus que, riches de ce passé, il est possible que ce soit mieux demain.
Et, chacun à sa manière, ils témoignent de la chance culturelle que sont nos Anciens, pour, au fond, apprendre à vivre debout.
Trente contributions sous la direction de Jacques Bouineau :
Marianne Bastid-Bruguière : De quelques vertus de l’Antiquité, de l’Europe à la Chine
Nicolas Baverez : Antiquité, mon présent
Frédéric Boyer : Ce lointain-près
Françoise Briquel Chatonnet : Entre identité et histoire
Pierre Brunel : Témoignage
Jean Canavaggio : L’héritage latin des lettres hispaniques
Jean-Pierre Chevènement : Le latin, le grec et la République
Xavier Darcos : La double méprise
Michel Deguy : Il s’agit bien de l’Antiquité !
Paul Demont : De Paris à Changchun
Jean-Paul Demoule : C’était mieux avant ?
Pierre Ducrey : L’Antiquité et son avenir
Michael Edwards : L’Antiquité vécue
Maha El-Khalil Chalabi : Antiquité et avenir
Thierry Grillet : Contre la barbarie
Francis Joannès : L’Antiquité, un patrimoine universel
Pierre Judet de la Combe : Comme quoi…
Denis Knoepfler : Avec Strabon, d’abord réfractaire, puis très coopératif
Pierre Laurens : D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?
Bernard Legras : Méditer Alexandrie
Dario Mantovani : Je me tiens au milieu : repenser des idées bien pensées
Yves Meyer : L’enseignement du grec au lycée Carnot de Tunis
Claudia Moatti : La langue latine du politique
Thomas Pavel : L’avenir, anciens conseils
Christian Prigent : L’Antiquité c’est l’avant-garde
Maurice Sartre : Construire une mémoire commune
Pauline Schmitt-pantel : Les femmes migrantes et la cité
Alain Schnapp : À quoi servent les ruines ?
Monique Trédé : De la légitimité des humanités
Arnaud Zucker : L’Antiquité et ses antonymes
Ce volume est né à l’initiative d’Antiquité-Avenir, réseau regroupant 38 associations, dont la mission est de promouvoir et de valoriser la connaissance de l’Antiquité.
Les états généraux de l’Antiquité 2018
Extrait de la préface de Jacques Bouineau
À l’heure où paraît ce volume que les Belles Lettres nous font l’honneur de publier, les deuxièmes états généraux de l’Antiquité s’ouvrent en Sorbonne, cette fois-ci pour deux jours, les 8 et 9 juin 2018, avec des participants encore plus nombreux que la première fois. Leur thème interpelle la société civile : « Pourquoi transmettre l’Antiquité à l’heure de la mondialisation ? » À lui seul, ce titre annonce des travaux à venir dans la droite ligne de ceux qui ont été accomplis depuis deux ans. Notre objectif est tout entier contenu dans le sous-titre de la rencontre, « Sciences de l’Antiquité et humanisme ».
Seule dans sa catégorie, l’Antiquité est à même d’offrir un but commun, un totem partagé. Elle irrigue toutes nos manières de penser, que nous soyons scientifiques, littéraires, juristes… Elle nous rassemble, parce que nous sommes tous citoyens, quel que soit notre secteur d’activité. Elle nous unit parce que nous sommes tous ses enfants, que nous soyons de la rive nord ou de la rive sud de la Méditerranée. Elle nous donne des raisons de croire et d’espérer, parce qu’elle offre aussi des exemples détestables de tyrannie, d’oppression des femmes et d’arbitraire.
L’Antiquité balise le chemin dans lequel nous pouvons nous engager tous ensemble, quels que soient nos croyances, nos générations et nos status, car elle met à notre portée ce que l’homme est capable de concevoir de meilleur et signale les écueils dont, grâce à ses enseignements, il appartient à tous de triompher, en particulier à ceux dont l’âge incarne l’espoir du futur. C’est ce que proclament les textes de ce volume, selon la musique que chaque voix a choisie pour nous, pour vous embarquer dans la nef commune, à destination de l’avenir de l’Antiquité.
Je me tiens au milieu : repenser des idées bien pensées
Extrait, page 157
Par Dario Mantovani. Correspondant étranger de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, professeur de droit romain à l’université de Pavie, directeur du Centro di studi e ricerche sui diritti antichi (CEDANT), il publie également le 8 juin Les juristes écrivains de la Rome antique. Les œuvres des juristes comme littérature (Les Belles Lettres, collection Docet Omnia)
Chacun de nous, comme moi, se tient au milieu, entre l’Antiquité et l’avenir. L’Antiquité se tient ante, avant ; l’avenir doit encore advenir. C’est au milieu que je me trouve. Si nous pensons à ce qui pourrait arriver, nous le pensons parce que nous savons ce qui s’est déjà produit. Nous avons appris le chemin, et nous pouvons le répéter ou bien désirer le changer, en choisir un nouveau. Mais pour l’imaginer, nous userons d’images déjà vues et nous les assemblerons dans un ordre différent ou nous les mélangerons pour en extraire quelque chose d’autre, déjà vu et à la fois encore jamais vu.
Ce que j’ai déjà vécu et appris, par des gestes des plus simples aux plus complexes, dessine la carte grâce à laquelle j’évolue sur le terrain encore à explorer : si demain je me rends au travail, ce sera en parcourant la route que j’ai empruntée hier et aujourd’hui ; si j’écris, je taperai sur les touches du clavier et je combinerai les lettres que j’ai appris à reconnaître il y a longtemps. L’espérance aussi de te rencontrer encore, visage et âme qui m’ont séduit il y a trente ans, est un avenir que j’ai déjà vécu et, pour cela, je désire qu’il se répète.
Mais nous n’avons pas vécu le passé tout entier. Il est un temps plus lointain que celui qui remonte à notre enfance et à nos premiers souvenirs. Pour entrer dans ce temps, pour le faire nôtre, la voie est pavée par les traces laissées par ceux qui l’ont vécu : les reliefs d’un repas non consommé qui montrent ce que furent les habitudes alimentaires à un moment donné et en un lieu de la vie de nos ancêtres ; les vestiges d’habitations, des monuments, des voies, des ponts et des aqueducs jusqu’aux œuvres d’art, qui expriment les besoins matériels et spirituels de leurs créateurs ; les pensées traduites en mots, de ceux d’un soldat exprimant la nostalgie due à l’éloignement de son pays jusqu’au traité d’un philosophe ; ou encore les lois gravées sur du bronze pour arriver aux documents écrits avec l’intention explicite de nous joindre et nous parler, c’est à-dire les histoires, les chroniques, les mémoires racontant des événements grands et petits afin qu’ils restent vivants pour les générations à venir.
C’est vers ce genre de passé, celui vers lequel nous conduisent toutes ces traces, que nous nous tournons, quand nous parlons d’Antiquité, en la liant avec notre avenir. C’est un passé dont nous n’avons pas été les protagonistes, même pas dans le rôle de spectateurs ou de consommateurs, souvent l’unique qui nous soit concédé aussi dans le présent. L’Antiquité est donc un passé que nous élisons, et qui, grâce au choix, a déjà un bon goût, le plus doux, celui de la liberté. Certains préfèrent le XVIIIe siècle, d’autres la Renaissance, d’autres encore sont attirés par le monde des Égyptiens, des Grecs, ou, comme moi, des Romains. Une liberté de choix, précisons-le, qui n’est pas totale, parce qu’elle dépend en grande partie du monde dans lequel nous évoluons. Les vestiges d’une civilisation antique qui s’enracinent au cœur de notre paysage quotidien, comme la façade du théâtre d’Orange, peuvent capturer l’attention, l’imagination, susciter le désir de connaître, et combien d’anecdotes, de Gibbon à Goethe, montrent des esprits ensorcelés par le temps passé alors qu’ils méditaient devant un panorama de ruines bouleversantes. Mais plus encore que l’aube sur le Parthénon ou le coucher de soleil sur le Forum romain, c’est le système scolaire qui peut ouvrir les portes de l’Antiquité, en l’insérant dans des programmes d’enseignement, en prenant des formes intelligentes, et surtout en transmettant la clé indispensable à tout voyageur qui se respecte, la connaissance de la langue de la population qu’il visite.
La rencontre avec l’Antiquité a été pour moi la rencontre avec le grec et le latin au lycée classique, qui, en Italie, maintient ces deux langues au cœur des études, à côté de l’approfondissement de la littérature italienne, avec l’histoire et la philosophie en appui. Certes, pour qui aime résoudre des problèmes, apprendre à traduire représente un jeu stimulant. Et sans aucun doute, s’apercevoir qu’on améliore sa maîtrise de sa propre langue grâce à l’étude historique et comparée de la langue dont elle dérive (comme c’est le cas pour l’italien et les autres langues romanes relativement au latin) fait comprendre l’utilité de ce type d’études. Mais le vrai tournant, pour moi, a été lorsque je me suis rendu compte, à la faculté de droit, de l’influence qu’un produit intellectuel de l’Antiquité romaine, le droit, a eu sur le développement et la façon d’être du droit aujourd’hui. Disposer de la connaissance du latin m’a permis d’avoir accès aux textes du droit romain, en premier lieu les Institutiones de Gaius et le Corpus iuris civilis de Justinien, et d’entrer ainsi, sans intermédiaire, dans l’univers d’une pensée extraordinairement riche et complexe, où les problèmes difficiles sont résolus par un cheminement simple et où, inversement, des cas qui ne semblent pas poser problème montrent tout le travail nécessaire pour les résoudre et combien le drame de la justice est profond.
Voilà l’Antiquité que j’ai choisie, celle dans laquelle s’affrontent avec rigueur et passion des questions telles que : jusqu’à quel point le vendeur doit révéler à l’acheteur les vices de ce qu’il lui vend ? Doit-on punir pour homicide les deux personnes qui, à des moments différents, ont blessé mortellement une même personne ? Est-ce plus la forme ou la substance d’un contrat qui compte ? Ou encore quel sens concret, sans le laisser dans le vague, donner à des termes tels que fides, aequitas, utilitas ? Surtout : comment faut-il développer une argumentation que d’autres aussi peuvent comprendre et discuter ?
C’est une Antiquité qui pour moi – d’autres adopteront bien d’autres prismes pour regarder cet infini monde passé – est avant tout un raisonnement développé à partir de raisonnements élaborés par des générations s’interrogeant sur la solution la plus équitable d’un conflit d’intérêts.
Donc mon passé, mon expérience, celle qui me permet chaque jour de retourner au travail par la route que j’ai prise hier, ou d’écrire avec les touches dont j’ai appris la disposition sur le clavier, peuvent se dilater en un passé plus grand, que je peux choisir, mais dans lequel entrer demande un investissement sérieux. Pour certains – les spécialistes – cela peut être l’engagement de toute une vie, pour d’autres, l’un des éléments qui enrichissent leur quotidien, comme par la lecture d’un classique, la méditation sur ce qui a déjà été bien pensé. « Déjà pensé. » Que quelque chose ait déjà été pensé ne signifie pas que cela ait été « déjà résolu » : cela signifie l’effort d’un autre esprit qui a déjà été aux prises avec un problème qui nous touche, et qui nous aide à résoudre les problèmes nouveaux et vertigineux qui viennent frapper à chaque instant à notre porte.
Voilà pourquoi mon Antiquité s’accorde bien avec le mot « avenir » : ce qui sera n’est pas encore écrit, nous sommes au milieu, entre ce qui a été et ce qui est à venir, mais méditer sur ce qui a été déjà bien pensé peut aider à rendre meilleur notre futur ou, du moins, à l’accepter avec sérénité.
Se procurer l’ouvrage
- L’Avenir se prépare de loin, sous la direction de Jacques Bouineau, Les Belles Lettres, 2018
- 240 pages. 5 illustrations N&B
- Livre broché – 12 x 19 cm
- Parution : 08/06/2018
- EAN13 : 9782251448206
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