André Pézard, Le Convivio de Dante, l’édition revue d’une étude classique. Extrait

André Pézard (1893-1984), professeur à l’Université de Lyon, puis au Collège de France, fut un italianiste exceptionnel. Son œuvre est considérable. Il n’a cessé de joindre à une érudition impressionnante une intelligence et une sensibilité dignes des plus grands esprits, et même un vrai talent de poète.

Publié en 1940 et devenu introuvable, son commentaire du Banquet de Dante se présente sous la forme de douze notes approfondies, regroupées thématiquement. Nous en publions aujourd’hui une nouvelle édition présentée et annotée par Jean-Louis Poirier (Ne plus ultra, Dante et le dernier voyage d’Ulysse, 2016, Bibliothèque idéale des philosophes antiques, 2017).

Le Convivio – Le Banquet – est sans doute l’ouvrage le plus direct dans lequel Dante expose la problématique philosophique générale qui l’anime. C’est ce qui fait l’intérêt exceptionnel du travail d’André Pézard, novateur encore aujourd’hui en ce sens qu’il contribue à la fois à l’établissement du texte, dont il affronte les difficultés, et à son interprétation philosophique, avec une rigueur et une liberté d’esprit sans précédent, mettant ainsi en évidence l’immense intérêt de cette oeuvre, même pour les lecteurs modernes.
En dépit de leur précision extrême, les notes sont étonnamment éclairantes : on se demande comment l’étude philologique la plus stricte peut faire surgir du texte les idées les plus lumineuses.

Dante et la guerre : la vie d’André Pézard (1893-1984)

Extrait de la présentation de Jean-Louis Poirier, pages 7-15.

Au lendemain de son succès au concours d’entrée à l’École normale supérieure, dès août 1914, André Pézard se trouva mobilisé, comme tant d’autres normaliens. En janvier 1915, jeune officier, il fit les campagnes de Vauquois en Argonne et de la Somme. Il fut blessé en septembre 1916. De son journal de guerre, il fera un livre, Nous autres à Vauquois, témoignage d’une insurpassable puissance en sa simplicité de récit direct. Un livre dur et clair qui fait voir la solidarité des hommes, perdus dans un monde qui s’effondre de toutes parts.
Après avoir repris ses études à l’École normale supérieure et à la Sorbonne, il enseigna à Avignon puis à Lyon pendant plus de dix‑sept ans. Il devint docteur ès lettres en 1945, avec une thèse sur Dante. Enfin, si l’on peut dire, après avoir été professeur à la faculté de Lyon, il fut élu au Collège de France en 1951 sur la chaire de littérature et civilisation italiennes.
Il nous plaît de rappeler qu’en marge d’une œuvre immensément savante consacrée à Dante et à la culture italienne nous devons à André Pézard un volume que beaucoup d’enfants auront apprécié, les Contes et légendes de Provence, parus en 1950. Cela aussi fait partie de sa vie.
Et certes, considérée dans la suite extérieure des événements qui l’ont marquée, la longue vie d’André Pézard semble caractérisée plus qu’une autre, par la traversée d’une série d’épreuves dont on se demande comment quelqu’un pourrait sortir intact : d’abord entraîné dans la plus terrible des guerres, ne devant sans doute sa survie qu’à une blessure invalidante, sans compter, plus tard, après un accident, la mutilation, le deuil et les épreuves personnelles. Certes vécu sans doute comme une compensation, le poids du travail immense auquel il voua ce que ces épreuves lui laissèrent d’existence vraie fut aussi peut‑être un poids supplémentaire. Toutes choses que ne sauront jamais effacer une carrière universitaire de premier plan et une œuvre d’une puissance peu commune, qui déborde largement le champ bien marqué des études italiennes. Il nous semble, si nous pouvons risquer une observation subjective, que ce qui fait d’André Pézard un esprit exceptionnel, c’est une étonnante lucidité faite indissociablement de son expérience de la guerre, du drame de l’histoire humaine et de sa culture dantesque. Ne nous y trompons pas  : ce que Pézard a retenu de Dante, ce n’est pas l’imagerie infernale, pas plus que ce qu’il a retenu de la guerre, ce ne sont seulement l’éternelle nuit, les cris des vaincus et les cris des mourants, dans la flamme étouffés, sous le fer expirants ; non, il a compris – comme Dante le philosophe, et avec lui  –, en faisant preuve d’un sens historique exceptionnel, qu’il était contemporain d’un immense tremblement de terre dont il n’était pas sûr que le monde, le monde humain, troublé jusqu’en sa substance élémentaire, pût un jour se remettre. C’est cela que nous apprend Pézard et qu’il nous appartient d’essayer de transmettre. On l’aura compris  : l’étude sur le Banquet n’est qu’en apparence œuvre de philologie et discussion érudite sur d’illisibles manuscrits. Cette apparence n’est là que pour tromper l’ennemi ; gardons‑nous d’empêcher celui‑ci de s’y tromper ! de cela nous ne voulons pour preuve que la vertigineuse conclusion de l’ouvrage, livrée au grand vent, à la tempête, de « l’irruption dans la pensée » d’un grand auteur.

L’Étude sur le Banquet de Dante

Parue en 1940 dans les Annales de l’université de Lyon et conjointement éditée par les Belles Lettres, cette étude est devenue pratiquement introuvable, ne subsistant que de rares exemplaires au hasard de quelques bibliothèques. Elle manque assurément à l’érudition dantesque, pourtant fournie au delà de la pléthore. La présente réédition vise cependant un objectif plus large et, croyons‑nous, utile. Certes, l’ouvrage est incontestablement pointu, difficile, volontiers inabordable, sauf pour un petit nombre de spécialistes. Pas la moindre concession n’en vient faciliter la lecture, aucune des nombreuses citations, en latin ou dans d’autres langues, n’est jamais traduite, bien des abréviations demeurent inexpliquées. Naturellement, l’importance scientifique du livre n’est pas à démontrer, et il trouvera aisément son public, un public savant. Il nous semble néanmoins présenter un intérêt qui ne se limite pas aux discussions érudites sur des virgules ou des points sur les i, et mériter une audience plus large. Pour cette raison, en dépit du scrupuleux respect qui a animé notre travail d’établissement du texte, nous avons pris la responsabilité de traduire la plupart des citations en langue étrangère et d’ajouter quelques notes explicatives. Pour la même raison, le premier objectif de cette introduction est de faire apparaître l’intérêt exceptionnel de cet ouvrage, digne de l’attention non des seuls spécialistes, mais du public éclairé. Tel est sans doute l’un des traits les plus marquants de l’œuvre, toute l’œuvre, si singulière soit‑elle, d’André Pézard : ne jamais dissocier l’exigence scientifique, aussi étroite qu’on le voudra en sa rigueur, d’une sorte de service de l’universel. L’appareil scientifique d’établissement du texte ne doit pas étouffer celui‑ci, mais au contraire lui donner accès à la parole. Nous voudrions modestement continuer cette exigence en essayant de conforter encore cet accès. […]

[…] Le présent livre n’est qu’en apparence œuvre de philologie, occupée à compter des jambages sur des parchemins jaunis  : le lecteur constatera directement, pourvu qu’il lise, pourvu qu’il se montre attentif au contenu, que se produit comme une transfiguration. Scandé par des choix textuels dûment construits et qui en disposent comme l’infrastructure, l’ouvrage dégage en fait quelques‑uns des moments de l’esprit.
Dès lors, l’intérêt d’un tel livre, qui rend pour ainsi dire visible l’armature du sens, est de permettre l’approche de ce qu’on pourrait appeler un texte complet, de nous donner à voir l’épaisseur du texte, ce qui le fait tenir, l’intrication des mots et du sens.
Il n’y a de sens que par la discussion. Pézard laisse ainsi entrevoir qu’il sait ce qu’il fait et en quoi, pourrait‑on dire, un livre de méthode enveloppe un livre de doctrine, au moins quand il s’agit de Dante, car nous savons, si nous en sommes un vrai lecteur, que « chez lui tout se tient ; qu’on n’y peut guère effleurer une petite chose sans bientôt en remuer plusieurs grandes » (p. 7).  […]

Notre travail d’édition a consisté pour l’essentiel :

  • dans l’établissement du texte, d’après l’édition de 1940 de l’ouvrage. Nous avons corrigé les rares fautes qui s’y trouvaient, sans toutefois le préciser lorsque la correction s’imposait avec évidence. Dans les autres cas, toutes les modifications que nous avons introduites dans le texte sont signalées comme telles par des crochets obliques < > ;
  • à compléter, ou à mettre à jour un certain nombre de références ;
  • à procurer en français la plupart des termes, expressions ou citations donnés en langue étrangère dans le texte, sauf lorsque, leur sens allant de soi, un tel alourdissement ne nous a pas paru s’imposer (Lorsque leur brièveté l’autorise, ces additions s’insèrent immédiatement après le texte traduit et sont signalées par des crochets droits [  ] ; dans tous les autres cas, elles apparaissent en notes de fin de chapitre, appelées par des lettres) ;
  • à insérer, en bas de page ou dans le texte courant, quelques parenthèses ou notes explicatives, lorsque cela a paru utile (ces insertions sont signalées par des crochets droits, et signées JLP, les notes sont appelées par des aster).

Ajoutons que les passages qui, dans les citations, apparaissent en petites capitales se trouvent dans le texte original et sont ainsi composés par le fait d’André Pézard, sans doute pour aider le lecteur à repérer, dans les textes analysés, les termes qui font l’objet précis de la discussion. Nous nous sommes efforcés, en règle générale, de respecter la ponctuation et les usages typographiques de la 1re édition.


L’arc de la vie (IV, XXIII, 7)

Nous sommes heureux de vous offrir le chapitre 8 en intégralité, à feuilleter au format avec les notes et les traductions de Jean-Louis Poirier en fin de chapitre :

Interieur pezard


Se procurer l’ouvrage

  • André Pézard, Le Convivio de Dante. Sa lettre et son esprit [1940], nouvelle édition de Jean-Louis Poirier, 2018
  • 224 pages. Index
  • Éditions Les Belles Lettres, hors collection
  • Livre broché. 15 x 21.5 cm
  • Parution : 09/02/2018
  • EAN13 : 9782251447827
  • 35 € en librairie ou sur notre site internet
  • 24,99 € au format epub à télécharger sur notre site internet

 

 

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