Extrait de l’Esquisse de la kabbale chrétienne, parue en 1684 en conclusion de la Kabbala denudata, faisant dialoguer un kabbaliste et un philosophe chrétien. Nouvelle traduction seule introduite et annotée par Jérôme Rousse-Lacordaire, en librairie le 16 janvier 2018.
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Chapitre VII – De la préexistence des âmes en particulier
Les notes présentes en fin de volume ont été ici retirées pour plus de lisibilité.
1. Le kabbaliste. Mais, j’entends dire que notre hypothèse à propos de la préexistence des âmes, avant qu’elles descendent dans un corps, n’est pas acceptée par certains de vos docteurs. Aussi, est-il dans notre intérêt de voir si, dans une certaine mesure, elle pourrait être éclairée.
2. Le philosophe chrétien. J’examinerai cela comme un problème. Et pour confirmer cette hypothèse, je reprendrai les arguments suivants. Premièrement, toute hypothèse à propos de l’origine de l’âme qui est davantage conforme à une raison saine que n’importe quelle autre approche davantage de la vérité. Or, celle-là, à propos de la préexistence des âmes, est bien telle ; donc, etc. La mineure est prouvée, parce qu’il n’y a pas plus de deux opinions contraires. L’une est celle de ceux qui disent que l’âme est propagée par transmission ; l’autre, celle de ceux qui jugent que l’âme est créée à une occasion donnée. Mais, dans la première opinion, se présente une contradiction évidente : en effet, puisque l’Âme est esprit, son essence est indivisible, c’est-à-dire non partageable. L’autre manière de voir énonce certaines choses qui sont indignes de la majesté divine (puisqu’elle fait de Dieu le producteur et le premier auteur, à parler proprement et spécialement, des crimes évidents de débauche, adultère, inceste, et, pire, de sodomie, en accomplissant ces commerces impurs par la création des nouvelles âmes), et qui insulte aussi cette âme elle-même, en ce que, créée par Dieu dans une pureté de tout genre, elle aurait été précipitée dans une prison très impure en raison de sa dépravation, qui n’est pas petite, en sorte qu’elles ont été corrompues, au point qu’enfin elles furent condamnées à ce malheur extrême de toutes celles qui demeurent infidèles . Comme, donc, ces deux opinions sont tellement absurdes, qu’est-ce qui pourra être plus plausible que la préexistence des âmes ?
Ici, certes, un Ami répond : 1. La raison ne peut‑être juge dans les mystères de la foi, etc. Je réplique : Si on examine soigneusement la chose, la doctrine de l’origine de l’âme ne doit pas être comptée parmi les mystères de la foi, mais parmi les dogmes simplement philosophiques (or, j’établis la même analogie entre la théologie et la philosophie que vous, les Hébreux, entre la Loi écrite et la Loi orale), car, parce que l’âme est au nombre des objets de la pneumatique, quoique ce soit qu’il nous faille examiner à son propos est d’ordre spéculatif. De là, ensuite, la théologie, comme elle est d’un genre pratique, aborde ces mêmes mystères de la foi pour son salut. De là aussi, tous les philosophes les plus anciens, d’accord avec les plus récents, traitèrent ainsi de l’âme. Or, jusqu’alors, la raison avait été établie comme règle de la philosophie, raison qui, quoique, à cause de la chute, elle a pris la place de l’intellect, si, cependant, on lui apporte un véritable remède, peut, à sa manière, devenir exactement semblable au Verbe très divin, ce de quoi parle l’Épître aux Hébreux, chapitre 4, verset 12 , etc.
Il répond : 2. L’âme est un esprit, mais incarné. Je réplique : L’âme est un esprit incarné soit par soi soit par accident ; si c’est par soi, alors, soit il ne peut sortir hors de la chair proprement dite, soit, s’il en sort, il est dans un état plus imparfait que lors- qu’il vit dans la chair, car cette appellation établit ce qui lui est naturel. La première proposition est athée ; la théologie réfute l’autre, car elle établit que l’état asarkanon, ou hors de la chair, est bien plus heureux, et retire entièrement la nature de la chair de l’état bienheureux de l’âme (Première Épître aux Corinthiens, chapitre 15, verset 50 ). Si l’état ensarkos est accidentel, c’est cela même que l’opinion des Hébreux avance avec insistance. Mais il continue :
Et, lorsqu’elle est transmise, elle n’est ni divisée ni partagée, mais multipliée, comme la flamme de la chandelle qui allume n’est ni divisée ni partagée. Je réplique : Ce qui transmet, soit communique quelque chose de sa substance, soit tire au moins de la matière une substance produite, soit crée à partir de rien ; il n’y a pas davantage de manières. La dernière manière n’est pas acceptée ; la deuxième suppose une âme matérielle ; donc la première a sa place. Et maintenant, si quoi que ce soit communique quelque chose de sa substance, soit il conserve la partie communiquée soit il la perd. Or, il est connu que le père et la mère ne conservent pas ces parties de leur âme communiquées à l’enfant, donc, ils les perdent. Or, quelle que soit la part de son âme qu’il perd, son âme est partagée et divisée. Comme pour les rameaux du saule, qui, de manière appropriée, sont appelés du nom de sarment, qui lorsqu’ils sont transplantés, sont, à strictement parler, partagés et divisés de l’arbre ; ou mieux, la flamme de la chandelle qui introduit proprement et physiquement dans la chandelle à allumer des particules ignées et couvertes de suie, qui sont réellement séparées de la première chandelle, et qui, alors, éveillent dans la mèche, en raison d’un nouveau mouvement, une flamme qui lui est propre. L’expérience aussi le confirme. En effet, si des flammes sont composées de différentes couleurs, brûlant vert comme l’airain, bleu comme le soufre, etc., alors les premiers rayons de la chandelle allumée reproduiront la même couleur que celle de la flamme qui transmet, jusqu’à ce qu’ensuite, du fait de son suif propre, elle exige sa couleur particulière. Ainsi, les rayons du soleil sont partagés et incorporés dans des liquides, le poids étant aussi augmenté, de là aussi la génération du soufre, ce qui n’est pas ignoré de la chimie. Mais que rien ne soit perdu de la chandelle qui transmet la matière enflammée, résulte de la matière enflammée qui fournit continuellement en abondance une nouvelle matière, comme la source de la fontaine fournit toujours de nouvelles eaux, bien que celles qui y ont été puisées soient, à proprement parler, séparées de la fontaine. Par conséquent, ces exemples matériels ne donnent rien quant à la nature de l’âme, qui est esprit, à moins que nous voulions établir que l’âme serait naturelle, ce qu’à Dieu ne plaise ! À supposer que la flamme de la chandelle, en allumant, ne laisse rien aller d’elle et ne soit pas non plus divisée, cependant, elle introduit au moins un mouvement dans la chandelle à allumer, et, ainsi, parce qu’elle est matérielle, la forme d’une nouvelle flamme est tirée de la puissance de la matière. Par conséquent, si nous jugeons que la nature de l’âme est ainsi, nous ne faisons certainement rien d’autre que l’éloigner complètement de la nature de l’esprit. Que je ne dise rien de cette absurde composition de l’âme de l’enfant à partir des particules des âmes du père et de la mère (qui ne peut, certes, être exclue pour l’âme du Christ, laquelle est dite avoir été reçue de Marie).
3. Deuxièmement , si la matière indivisible de chacun des hommes existait déjà depuis la fondation du monde, il faut assurément qu’elle ait subi bien des myriades de changements et de modifications avant de parvenir à l’état de corps humain il est beaucoup plus probable que les âmes de chaque homme aient déjà existé depuis cette époque. […]
Pages 80-82.
Un mot sur l’édition

Esquisse de la kabbale chrétienne, texte introduit, traduit et annoté par Jérôme Rousse-Lacordaire, Les Belles Lettres, collection Roue à Livres, 2018, 276 pages, notes, bibliographie, index, 35 € – Résumé et Sommaire
Encore une traduction ?
” Une nouvelle traduction française s’imposait-elle, alors qu’il existe déjà trois traductions en langues européennes contemporaines ? Force est cependant de constater que la traduction de Grillot de Givry est non seulement datée, n’hésitant pas à gloser le texte, plutôt que de l’annoter, et à l’infléchir dans un sens quelque peu occultisant, mais aussi souvent défectueuse, comme faite au fil de la plume, omettant parfois des phrases entières et négligeant les fréquents renvois, tant implicites qu’explicites, au reste de la Kabbala denudata, notamment aux Loci communes kabbalistici. Il est vrai que le latin de l’Adumbratio n’est pas des plus aisés, truffé qu’il est, notamment, de conjonctions de toutes sortes, et, dans une moindre mesure, de barbarisme, avec des phrases volontiers labyrinthiques. Quant aux traductions anglaise (laquelle a l’avantage de reproduire le texte latin de l’édition originale) et espagnole, qui semblent parfois assez dépendantes de celle de Grillot de Givry, elles n’échappent pas, elles non plus, à plusieurs de ces défauts. […] C’est pourquoi, dans la traduction qui suit, j’ai cherché à rendre, autant que possible, au plus près le texte latin, en indiquant les quelques corrections que j’y apportais et, surtout, en renvoyant aux autres éléments de la Kabbala denudata qui pourraient permettre au lecteur une meilleure compréhension du sens. J’ai transcrit les caractères hébraïques (en précisant en note leur vocalisation), mais je n’ai ni transcrit ni reproduit les citations néotestamentaires de la Peshitta, que l’Adumbratio donne presque systématiquement avant leur traduction latine J’ai enfin cherché à harmoniser l’usage, plutôt erratique, des capitales initiales, le réservant aux noms propres et aux termes kabbalistiques significatifs (par exemple, le nom des sephiroth). De même, j’ai systématiquement rendu les graphies kabbala et cabbala (et leurs dérivés) par « kabbale » (et ses dérivés).”
Jérôme Rousse-Lacordaire, dans l’introduction.
Un mot sur l’auteur
Jérôme Rousse-Lacordaire est producteur délégué à France Culture et rédacteur de plusieurs revues. Spécialiste des rapports entre ésotérisme et christianisme, il a publié de nombreux ouvrages et traductions de textes renaissants, dont Ésotérisme et Christianisme : histoire et enjeux théologiques d’une expatriation ; Une controverse sur la magie et la kabbale à la Renaissance et Une fraternité à l’honneur du Saint-Esprit : le Liber articulorum des prêtres de Lodève.
Bibliographie
Ésotérisme et religion aux Belles Lettres, une sélection d’ouvrage à consulter dans notre galerie dédiée :