Le Vieil Oligarque et son pamphlet majeur contre la démocratie athénienne, maintenant en budé

La Constitution des Athéniens est un pamphlet contre la démocratie athénienne, rédigé à la fin du Ve siècle av. J.-C., à l’époque où Périclès faisait au contraire l’éloge de ce régime. Longtemps attribuée à tort à Xénophon, elle est due à un Athénien anonyme de la classe supérieure, partisan d’un régime oligarchique, que les modernes surnomment parfois « le Vieil Oligarque ». L’auteur dénonce la démocratie comme un régime injuste, dont les victimes sont les riches, les bien nés, ceux qu’il appelle « les honnêtes gens » et qui sont les mieux qualifiés pour gouverner, tandis que les « fripons », les pauvres, la masse profitent d’un système qui vise à leur seul profit. L’opuscule détaille les spécificités du régime et ses conséquences pour les uns et les autres. Il présente la démocratie athénienne comme un régime immoral, mais très cohérent. Considéré par les historiens actuels comme une œuvre majeure, il est une mine d’informations sur la démocratie athénienne, son fonctionnement et les attaques dont elle a fait l’objet.

La présente édition s’appuie sur un nouvel examen des manuscrits grecs et sur les travaux des philologues modernes. Elle cherche à comprendre le texte tel qu’il a été transmis, sans améliorer son style par des corrections inutiles. La traduction rend écriture et raisonnement avec fidélité et cohérence. Un commentaire linéaire détaillé justifie l’établissement du texte et apporte des éclairages linguistiques, littéraires et historiques, tant sur les idées avancées et sur leur place dans l’histoire de la pensée politique que sur les événements et pratiques dont témoigne le texte. Un glossaire recense un large choix de termes en grec et en transcription, avec leur traduction et leurs occurrences significatives. Un index uerborum complet est également proposé. L’ensemble est précédé d’une introduction de 160 pages qui traite non seulement de la tradition du texte, mais aussi de l’histoire de l’opuscule et de son interprétation : sa date et son arrière-plan historique, son auteur, le genre dont il relève, sa composition, sa représentation orientée des Athéniens et des autres, ses cibles, ses procédés polémiques, sa valeur documentaire, l’idéal politique qu’il traduit et sa place dans les débats antiques sur la démocratie.

Texte établi, traduit et commenté par Dominique Lenfant, professeure à l’Université de Strasbourg, qui a déjà établi et traduit en 2004 La Perse – L’Inde et autres fragments de Ctésias de Cnide pour la Collection des Universités de France et traduit Sauvages origines. Mythes et rites sacrificiels en Grèce ancienne de Walter Burkert pour la collection Vérité des mythes.

Structure de la Constitution des Athéniens

Extrait de la notice de Dominique Lenfant. Les notes présentes en bas de page dans l’ouvrage ont été ici retirées.

1. Une composition déroutante

La Constitution des Athéniens commence par une introduction claire, qui indique le genre dont elle relève (une démonstration), l’esprit qui la traverse (une hostilité radicale au régime athénien) et la teneur du développement (la cohérence des pratiques démocratiques). Mais, dans la suite de l’opuscule, la structure du raisonnement est loin d’être nette et donne parfois l’impression de juxtaposer des unités thématiques sans qu’il y ait toujours entre elles de transition ou de lien logique. Le passage d’une assertion à l’autre repose en plus d’un cas sur une simple association d’idées. Ainsi, après avoir affirmé que, si la cité adoptait un bon régime, le peuple tomberait en esclavage (I, 9), l’auteur enchaîne sur les esclaves dans la cité telle qu’elle est (I, 10). Ces associations d’idées sont d’autant plus déconcertantes qu’elles n’excluent pas des glissements de sens importants, comme dans cet exemple de la notion d’esclavage, qui se réfère successivement à l’absence de liberté politique et au statut servile. Elles contribuent à faire perdre de vue la ligne directrice. Parfois même, on ne trouve ni lien logique ni association d’idée avec l’affirmation qui précède. D’une manière générale, les commentateurs modernes ont souligné le désordre et la pauvreté des principes de composition de l’opuscule, qu’ils ont attribués tour à tour à l’origine orale ou au caractère inachevé de l’écrit, à l’incapacité de son auteur, ou encore à des incidents de parcours dans la transmission d’un texte initialement cohérent. Comme certains thèmes sont abordés plusieurs fois, des savants ont parfois déplacé des paragraphes en pensant ainsi leur restituer la place qu’ils avaient initialement dans l’opuscule.

Il est indéniable que cet écrit paraît de prime abord trahir ses promesses initiales : il s’affiche comme une démonstration (I, 1 ; III, 1) et, s’il présente une introduction qui annonce sans ambages l’objet de cette dernière, il ne se déroule pas de manière progressive pour aboutir à une conclusion en forme. Rien ne permet cependant d’affirmer que l’ordre original ait été modifié. N’oublions pas que l’opuscule est antérieur aux développements majeurs de la rhétorique, aux règles de laquelle il ne pouvait donc pas se plier. Rappelons que, dans un autre genre, mais à la même époque, Hérodote achevait un récit dont la composition a souvent dérouté toute une partie de la postérité. De même, notre opuscule est parfois jugé selon des attentes anachroniques. Du reste, on a justement noté que la lecture à voix haute de cet écrit tel qu’il est donnait une impression de vie et d’unité. Il est possible que l’auteur n’y ait pas mis la dernière main et qu’il faille y voir plutôt le brouillon d’un ouvrage : Chambry souligne avec raison que, dans ce cas, « ce n’est pas à nous à nous substituer à lui ». Mais il est tout aussi possible que le texte n’ait pas été destiné à une publication. Quoi qu’il en soit, il nous appartient, pensons-nous, de rendre compte de sa structure telle qu’elle se présente aujourd’hui.

2. Un ensemble bipartite

Précisons au préalable que la division du texte en trois chapitres totalisant 53 paragraphes est due aux éditeurs modernes. Les paragraphes ainsi définis correspondent le plus souvent à des unités thématiques ou argumentatives réelles. C’est surtout le découpage entre les chapitres I et II qui manque de netteté. La coupure qui marque le début du chapitre III trouve au contraire des fondements dans le texte même, puisque l’auteur déclare avoir fait la démonstration qu’il avait annoncée dans son introduction : que la constitution des Athéniens est condamnable, mais que les Athéniens savent parfaitement la sauvegarder.

De fait, on peut distinguer deux grandes parties :

–  Les chapitres I-II montrent que toutes les singularités du régime athénien s’expliquent par le fait qu’elles servent les intérêts du peuple — ce qui fait à la fois l’injustice et la force du régime démocratique selon l’auteur.

– Le chapitre III s’éloigne de la thématique des calculs populaires pour mettre en avant les dysfonctionnements consubstantiels au régime athénien (III, 1-9), avant de nier que certaines menaces pèsent sur lui (III, 10-13). L’auteur n’introduit ni ne conclut cette seconde démonstration, mais il semble vouloir établir de manière implicite l’impossibilité d’un changement, que ce soit par la voie de la réforme (III, 8-9) ou par celle de la révolution (III, 10-13).

En passant de la première à la seconde partie, l’auteur est resté dans la critique, mais il a glissé des dysfonctionnements apparents, qui servaient en fait les intérêts du peuple, aux dysfonctionnements inévitablement liés à la constitution athénienne et qui présentent des inconvénients pour tous. Mais la conclusion donnée à ce développement (l’impossibilité d’améliorer véritablement la démocratie, III, 8-9) conduit à en réinterpréter le contenu et donne un indice pour comprendre la suite et fin de l’opuscule (l’absence de menace pour le régime). Selon cette optique, alors que les deux premiers chapitres soutiennent que la constitution est certes condamnable, mais que, dans tous ses détails, son fonctionnement est cohérent en ce qu’il travaille systématiquement à l’intérêt du peuple, le troisième présente le régime comme difficile à attaquer.

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