Vingt-deux essais de Virginia Woolf sur la littérature, l’écriture et l’édition

Nous publions en cette rentrée littéraire Les livres tiennent tout seuls sur leurs pieds, un choix de vingt-deux textes de Virginia Woolf consacrés à l’art d’écrire, la critique littéraire, la place du lecteur et du livre au début du XXe siècle. Traduits et préfacés par Micha Venaille à qui l’on doit déjà, aux Belles Lettres, la traduction de Ma vie avec Virginia, de Leonard Woolf, ces essais sont accompagnés de notes éclairant chaque contexte, donnant de précieux éléments tirés du Journal de Virginia lorsqu’ils existent, ainsi que leurs sources détaillées.

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« Les livres tiennent tout seuls sur leurs pieds. S’ils ont besoin d’être soutenus par une préface ici, une introduction là, ils n’ont pas plus le droit d’exister qu’une table qui a besoin d’un morceau de carton pour être d’aplomb.
Cependant, Virginia Woolf a écrit des centaines de critiques et d’articles – beaucoup sont du niveau de l’essai – sur les écrivains et leurs livres.
Alors en quoi était-ce plus efficace et utile qu’une préface ou une introduction ?
Sans doute parce qu’elle a mis son génie de romancière au service des auteurs. Offrant des pistes de lecture, qui sont bien davantage qu’un bout de papier sous un pied de table, pour mieux faire comprendre leur travail.
Mais il y a plus que cela dans ces textes : un éloge de la littérature, de ses difficultés pour faire triompher l’écriture, de la liberté de l’écrivain qui se doit de pulvériser toutes les conventions. D’ailleurs, elle a souvent dit, et c’était important pour elle, qu’en parlant des livres, elle ne voulait surtout pas être identifiée à une critique, mais à une lectrice, car avec les livres nous avons l’impression de découvrir quelque chose qui n’avait jamais été dit, d’être enfin comblés… la vie – c’est un lieu commun – devient plus complexe. Nous sommes plus vigilants. Plus conscients de toutes les subtilités des relations. »
Micha Venaille, dans sa préface.

Voici le détail des textes recueillis, ainsi qu’un bref extrait pour chaque :

Les mots

(Craftmanship) Lu à la BBC le 29 avril 1937. Une partie de l’enregistrement est disponible, c’est le seul où l’on peut entendre la voix de Virginia Woolf.

« Cela prouve, s’il en était besoin, que les mots n’ont pas vraiment de disposition à se rendre utiles. Si nous insistons pour forcer leur nature, en leur demandant de l’être, nous payons cher le fait de nous être trompés, en découvrant comment ils se moquent de nous, comment ils nous blessent. Nous avons été si souvent trompés par les mots, ils nous ont si souvent prouvé qu’ils détestaient être utiles, que c’est dans leur nature même de ne pas exprimer un seul fait, mais un millier de possibilités – et ils l’ont fait tant de fois que, par chance, nous commençons à le comprendre. »

Robinson Crusoé

Première publication le 6 février 1926 dans Nation & Athenaeum.

« C’est le livre seul qui est là. Même si nous ondulons, serpentons, louvoyons dans notre approche des livres, à la fin c’est une bataille solitaire qui nous attend. Tout commence par une transaction, un contrat à signer entre l’écrivain et le lecteur, et à l’instant où cette affaire très privée se traite, l’idée que Defoe vendait des chaussettes, qu’il avait les cheveux bruns ou a été cloué au pilori est vécue comme une intrusion, une distraction dérangeante. Notre première tâche, et c’est déjà extraordinaire, est de comprendre le fond de sa pensée. Jusqu’à ce que nous sachions quelle est sa vision du monde, tous les à-côtés, ce que les critiques nous imposent, les aventures personnelles de l’auteur auxquelles les biographes s’intéressent, sont des objets encombrants dont nous n’avons que faire. C’est tout seuls que nous devons grimper sur les épaules du romancier, pour contempler le monde à travers son regard, jusqu’à ce que nous comprenions dans quel ordre il range ce qu’il est du devoir des romanciers d’observer : l’homme et les hommes ; derrière eux, la Nature ; et au-dessus d’eux, ce pouvoir que, par facilité et pour aller vite, nous allons appeler Dieu. »

David Copperfield

Paru dans The Nation le 12 septembre 1925. Édité dans Le Moment en 1947.

« Dickens est d’une dégoûtante sentimentalité, son style est très banal, dit la rumeur ; en le lisant, on ne trouve aucun raffinement, et la sensibilité est tenue sous cloche ; mais une fois émises ces réserves, on dit aussi qu’il est shakespearien ; comme Scott, un créateur né ; comme Balzac, d’une fécondité prodigieuse ; mais la rumeur ajoute qu’étrangement, alors qu’on lit Shakespeare, qu’on lit Scott, l’on ressent rarement que le moment est venu de lire Dickens. »

Lewis Carroll

Paru dans le supplément livres de Noël de Nation & Athenaeum, en décembre 1939.

« Pour une raison, et nous ne savons pas laquelle, son enfance a été d’une rigueur absolue. Elle l’a habité tout entier. Il ne pouvait s’en évader. Voilà pourquoi, à mesure qu’il grandissait, cet obstacle au cœur même de son être, ce bloc d’enfance pure, a privé l’adulte de nourriture. Alors il s’est glissé comme une ombre dans le monde des adultes, se solidifiant seulement avec des petites filles sur les plages d’Eastbourne, accrochant des épingles à nourrice sur leurs robes. Mais comme l’enfance était restée intacte en lui, il était capable de faire ce que personne n’avait pu faire – revenir dans ce monde ; il pouvait le recréer, afin que nous aussi, redevenions des enfants. »

Les questions de Tchekhov

(Tchehov’s Questions) Paru dans le TLS le 16 mai 1918.

« Aujourd’hui, tout le monde l’a lu ; on peut prédire que les cinquième et sixième volumes de ses récits auront un large public mais il n’est pas certain qu’il en résultera un verdict aussi définitif que celui qu’on a délivré en très peu de temps sur Dostoïevski. Cette hésitation pourrait être le signe qu’il n’est pas au même niveau que les grands écrivains russes qui vous font vous pencher dans le sens où souffle leur esprit. Mais en fait, s’il n’est pas au niveau des génies inspirés devant lesquels on s’incline, c’est parce qu’il est à notre niveau. Il n’est pas héroïque. Il est conscient que la vie d’aujourd’hui est habitée d’une mélancolie indéfinissable, d’un sentiment d’inconfort, d’étranges relations qui génèrent des émotions à la fois absurdes et douloureuses, et que toutes ces impulsions, ces bizarreries, se terminent presque toujours dans le flou, sans conclusion véritable. Il sait tout cela comme nous, et à première vue il n’a pas plus de solutions que nous. »

La moitié de Thomas Hardy

(The Half of Thomas Hardy) Publié dans Nation & Athenaeum le 24 novembre 1928.

« Tandis qu’une moitié de Hardy notait ce qu’un romancier connu se doit d’observer, l’autre moitié regardait obstinément à travers ces observations et les transformait en un mystère lunaire. Il aurait peut-être dû éliminer cette autre moitié ; écrire des romans agréables et cyniques sur la vie à Londres comme ses confrères. Mais cette intime conviction qui faisait de lui, malgré ses efforts, un outsider, cette faculté de porter le télescope à son œil et de voir d’étranges et sinistres spectacles – s’il se rendait à une conférence sur le secourisme, dans la rue, il voyait des squelettes plutôt que des enfants ; s’il se rendait au théâtre, il voyait un cimetière derrière la tête des acteurs –, toute cette fécondité et cette pression de l’imagination finissaient par être, non un compromis, mais une solution. Pourquoi courir partout avec un carnet pour observer les mœurs et les coutumes alors que son esprit était involontairement envahi d’étranges visions et se fredonnait de vieilles ballades ? »

Le manteau élimé de Keats

(Personalities) Pas de date. Publié dans Le Moment en 1947 par Leonard Woolf.

« La vie des écrivains est frêle, modeste, sans couleurs, comme un nuage de lait écrémé au fond d’une jarre. En fouillant dans leurs tiroirs, nous n’en saurons pas beaucoup plus sur eux. Tout a été distillé dans leurs livres.»

Les maisons des grands hommes

(Great Men’s Houses) Publié dans Good Housekeeping en mars 1932.

« Et ce n’est pas une curiosité frivole qui nous entraîne dans les demeures de Dickens, de Carlyle, de Keats. Nous les connaissons mieux grâce à leur demeure – il est évident que les écrivains impriment une marque indélébile sur leurs affaires personnelles, bien plus que d’autres gens. Peut-être qu’ils n’ont aucun goût ; mais on dirait qu’ils ont tous un don plus rare et bien plus intéressant – la faculté de s’inventer une maison qui leur ressemble, de se façonner une table, une chaise, des rideaux, un tapis à leur image. »

Comment doit-on lire un livre ?

(How Should One Read a Book ?) Publié dans Le Lecteur du commun en 1932, à partir d’une conférence donnée le 30 janvier 1926 à l’école privée de Hayes Court dans le Kent.

« Donner la permission à des autorités, si lourdement vêtues de fourrures et de toges soient-elles, de faire intrusion dans nos bibliothèques et les laisser nous dire comment lire, ce qu’il faut lire, détruit l’esprit de liberté qui est l’identité même de ces sanctuaires. Partout ailleurs, nous pouvons être liés par des lois et des conventions – là non. Mais, pour jouir de cette liberté, vous me pardonnerez cette platitude, nous devons bien sûr exercer un contrôle sur nous- mêmes. Ne pas gaspiller notre pouvoir, par impuissance, par ignorance, inondant la moitié d’une maison pour arroser un seul rosier ; et l’exercer avec efficacité, au bon endroit. Peut-être est-ce là l’une des premières difficultés qui se présentent à nous dans une bibliothèque. »

 Un roman freudien

(A Freudian Fiction) Paru dans le TLS le 25 mars 1920.

« Un patient qui n’a jamais entendu un canari chanter sans s’évanouir peut désormais traverser une rue remplie de cages sans ressentir la moindre émotion, depuis qu’il a fait le lien avec sa mère l’embrassant dans son berceau. Les triomphes de la science sont positifs. Mais pour les romanciers c’est beaucoup plus complexe. »

Prélude ou post-scriptum ?

(Prelude or Postcriptum) Sur D.H. Lawrence. Paru dans le TLS le 2 décembre 1920.

« Peut-être que les verdicts des critiques seraient mieux considérés et que leur avis aurait davantage de poids si, avant toute chose, ils s’obligeaient à préciser les critères qu’ils ont à l’esprit, et ensuite confessaient que, dans le cas d’un livre lu pour la première fois, leur parcours vers une décision finale avait été erratique. Donc, pour ce qui est de Mr. Lawrence, nous sommes convenus de standards de haut niveau. Prenant en compte le fait, que l’on oublie trop souvent, qu’il n’y aura plus jamais dans ce monde un deuxième Thomas Hardy pour la bonne raison qu’il y en a déjà eu un, pourquoi, nous sommes-nous parfois demandé, n’y aurait-il pas un D. H. Lawrence ? Par cela, nous voulons dire que, s’il y a un compliment à lui faire – et il n’y en a pas de plus grand –, c’est d’être un original ; car ce genre de livre qu’il met sur notre route est dérangeant, comme l’est toujours l’œuvre d’un écrivain contemporain. »

Un esprit terriblement sensible

(A Terribly Sensitive Mind) Sur Katherine Mansfield. Paru le 18 septembre 1927 dans le Herald Tribune.

« Ce n’est ni la qualité de son style ni son degré de célébrité qui nous intéresse mais le spectacle d’un esprit –  terriblement sensible – enregistrant, dans le désordre, les impressions de huit ans de vie. Son journal était son compagnon mystique. Viens, mon invisible, mon inconnu, parlons-nous, écrit-elle en entamant un nouveau cahier. Elle y a noté des faits – le temps, un rendez-vous ; elle a croqué des scènes ; elle a analysé son caractère ; elle a décrit un pigeon, ou un rêve, ou une conversation, rien n’aurait pu être plus fragmentaire, plus intime. »

La tour penchée

(The Leaning Tower) Lu à Brighton le 27 avril 1940 à la WEA, l’Association éducative ouvrière, fondée en 1904 pour promouvoir l’éducation de l’ouvrier au plus haut niveau, et que personne ne soit laissé pour compte.

« Voilà encore une des caractéristiques de ces écrivains de la tour penchée ; ils ne regardent aucune classe bien en face ; ils regardent soit vers le haut, soit par-dessous, soit de côté. Aucune classe n’est si bien établie qu’ils puissent l’explorer inconsciemment. C’est sans doute pour cela qu’ils ne créent pas de personnages. Et qu’allons-nous ressentir, ensuite ? D’abord de l’inconfort ; ensuite, nous nous apitoyons sur nous-mêmes à cause de ce malaise ; et la pitié se transforme bientôt en colère – contre le constructeur, contre la société, pour nous avoir déstabilisés. Et c’est ce qu’éprouvent les écrivains de la tour penchée. Malaise ; pitié pour eux-mêmes ; colère contre cette communauté ; mais pourquoi la dénigrer alors que vous en profitez, ne vous offre-t-elle pas une belle vue et une sorte de sécurité ? »

Le mentor et le crocus

(The Patron and the Crocus) Publié pour la première fois dans Nation & Athenaeum le 12 avril 1924, revu pour Le Lecteur du commun.

« En général, on donne aux jeunes gens et aux jeunes femmes qui se mettent à écrire le conseil, plausible, mais complètement irréalisable, d’écrire ce qu’ils ont à écrire, aussi brièvement que possible, aussi clairement que possible, avec comme seul et unique objectif, dire exactement ce qu’ils ont en eux. Mais personne n’ajoute la seule chose qui soit vraiment utile : « Et assurez-vous d’avoir choisi le bon mentor », alors que c’est le fond du problème. Car tout livre est écrit pour que quelqu’un le lise ; et comme ce mentor est non seulement le payeur, mais aussi, de manière très subtile et insidieuse, celui qui va vous inspirer, vous servir de déclic, il est donc de la plus haute importance que ce soit l’homme idéal.»

L’artiste et la politique

(Why Art To-Day Follows Politics ?) Paru dans le quotidien communiste Daily Worker le 14 décembre 1936.

« Donc il est établi que l’artiste est aussi affecté qu[e ses frères humains], même s’il est touché de manière différente, lorsque règne le chaos. Car alors son atelier est loin d’être le cloître où il peut contempler son modèle ou sa pomme en paix. Il est assailli de voix, toutes dérangeantes, sous un prétexte ou un autre. D’abord, il y a celle qui crie : « Je ne peux plus te protéger ; je ne peux plus te payer. Je suis tellement perturbée que je ne suis plus capable d’apprécier ton travail d’artiste. » Puis la voix qui demande de l’aide : « Descends de ta tour d’ivoire, abandonne ton atelier, crie-t-elle, ou, plus encore, utilise tes dons comme docteur, professeur, mais pas en tant qu’artiste. » Et une autre voix avertit l’artiste que, s’il ne peut pas prouver que son art est bénéfique à l’État, il devra l’aider en fabriquant autre chose – des aéroplanes, des fusils. Enfin, cette voix que de nombreux artistes ont déjà entendue et à laquelle ils ont dû obéir – celle qui proclame que l’art est le  serviteur du politique. « Vous devrez être un artiste à nos ordres. Nous peindre des images, nous bâtir des statues qui vont glorifier nos évangiles. Célébrer le fascisme, célébrer le communisme. Prêcher le message que l’on va vous demander de prêcher. Sinon, vous n’existerez plus. » »

Thoreau

Paru dans le TLS le 12 juillet 1917

« Walden et tous ses livres, en fait, sont chargés, animés, de ces découvertes subtiles, contradictoires, très fructueuses. Ils ne sont pas conçus pour prouver quelque chose à la fin. Ils sont écrits à la manière dont les Indiens cassent des brindilles pour marquer leur chemin dans la forêt. Thoreau trace son chemin dans la vie comme si personne n’avait jamais pris la même route avant lui, laissant quelques repères pour ceux qui viendront ensuite, s’ils ont envie de prendre le même chemin. Mais il n’avait pas envie de laisser des traces, et le suivre n’est pas très facile. En lisant Thoreau, on ne peut jamais baisser la garde en se disant qu’on a saisi ce qu’il voulait dire et qu’on peut faire confiance à notre guide. Nous devons toujours être prêts à tenter quelque chose de nouveau ; être préparés au choc de la rencontre avec l’original d’une de ces pensées dont nous n’avons toujours connu que la reproduction. »

Est-ce de la poésie ?

(Is This Poetry ?) Écrit à quatre mains par Virginia et Leonard Woolf et publié non signé dans Athenaeum le 20 juin 1918.

« Mais ici, l’on sent qu’on a gagné chaque mot qui nous est offert ; et à un bon prix ; rien de gratuit. Pourtant, comment se fait-il que ce poème s’impose à nous alors qu’il manque de grâce ? En partie, bien sûr, grâce à cette subtile logique anglaise qui nous emporte. Et au-delà il y a tout de même des passages et des phrases où apparaissent l’éclat et la chaleur que nous avons souhaité trouver, ne nous offrant pas seulement la beauté immédiate que nous avons l’habitude d’appeler inspiration, mais quelque chose de plus riche né de la question, difficile, que nous nous posons au plus profond de notre exaltation : « Est-ce de la poésie ? » »

La géographie de la littérature

(Literary Geography) Publiée dans le TLS le 10 mars 1905.

« Car le paysage d’un écrivain est un territoire à l’intérieur de son cerveau ; nous courons le risque d’être déçus si nous voulons que ces villes fantômes soient faites de brique et de mortier. Nous y faisons notre chemin sans avoir besoin de panneaux indicateurs ou de policiers et nous pouvons saluer les passants sans avoir été présentés. Aucune ville, aucun individu, ne sont plus réels que ceux que nous nous inventons ; chercher à leur trouver un équivalent dans la réalité leur enlève tout leur charme. De même que les morts célèbres viennent en nous s’ils le souhaitent et quand ils le souhaitent, et que leur image est plus palpable et réelle que n’importe quel corps fait de chair et de sang. »

La jeunesse de Mr. Conrad

(Mr Conrad “Youth”) Publié dans le TLS le 20 septembre 1917.

« Il y a une fraîcheur, un extraordinaire romantisme dans ces pages. Il n’est pas aussi subtil et psychologique que dans les œuvres ultérieures. Mais c’est parce que ses personnages sont bien plus exposés aux forces de la mer, de la forêt, des tempêtes et des naufrages, qu’à l’influence des autres êtres humains. Et ces forces si puissantes, agissant à leur manière, impénétrable et sans limites, mobilisent toutes les qualités humaines qui sont si chères à Mr. Conrad – le courage, la fidélité, la magnanimité face à la souffrance. Des qualités qui identifient ces hommes véritablement habités par la nature ; elles ont été étouffées par la civilisation et, à son contact, elles remontent à la surface ; mais elles existent, semble nous dire Mr. Conrad, jusque dans le plus misérable et le plus insignifiant des hommes. »

Jane Austen l’apprentie

(Jane Austen Practising) Publié dans le New Statesman le 15 juillet 1922.

« Elle est une jeune fille de dix-sept ans qui écrit dans un presbytère. Et à la page deux, elle lance sans broncher : « enfant illégitime ». Alors que sa mère pouvait entrer dans la pièce d’un instant à l’autre. »

Chronique/Critique

(Reviewing) Texte publié par la Hogarth Press en 1939, dans une collection présentée comme une série de pamphlets écrits par des auteurs et journalistes invités à exprimer leurs opinions avec une liberté totale.

« L’objectif de ce texte est de débattre de l’intérêt du travail du chroniqueur littéraire – par rapport à l’écrivain, au public, au critique lui-même et à la littérature. Mais d’abord une précision : le mot chroniqueur désigne la personne qui fait un commentaire sur la littérature issue de l’imagination – la poésie, le théâtre, le roman ; pas sur les livres d’histoire, de politique ou d’économie. Sa tâche est tout autre, et d’ailleurs il s’en acquitte admirablement. Alors, est-ce que, de nos jours, le chroniqueur de cette littérature sert encore à quelque chose ? Et si oui, à quoi ? »

Est-ce que l’on écrit et publie trop de livres ?

(Are Too Many Books Written and Published ?) Enregistrement de ce dialogue avec Leonard Woolf pour la BBC le 15 juillet 1927.

« Leonard Woolf. – La fabrication des livres est devenue un marché, ou plutôt une industrie. Et à mon avis elle n’est pas en très bonne santé – presque aussi mauvaise que celle de l’industrie minière. Car l’on écrit et publie bien trop de livres. Pendant des siècles, leur fabrication était un artisanat, c’était le temps où l’écrivain travaillait avec une plume et de l’encre pendant que l’imprimeur composait le livre à la main. Actuellement, nous en sommes à une industrie à grande échelle, les livres sont dictés à des sténos, tapés à la machine et, à la fn, des monotypes terminent le travail. On a changé d’époque, c’est le triomphe de la mécanique. Les livres étaient écrits par très peu de gens, qui écrivaient parce qu’ils avaient un don ; aujourd’hui, ils sont des milliers à s’y être mis, alors qu’ils n’ont aucun don, tout juste une technique qui relève de l’automatisme, consistant à assembler des mots et à les introduire dans une machine à écrire. Ce qui s’est passé pour les bottes est en train de se passer pour les livres. On fabriquait les chaussures à la main, en petites quantités ; aujourd’hui elles sont fabriquées en usine, en énormes quantités. Et de même que les bottes faites à la main nous allaient mieux et duraient plus longtemps, les livres fabriqués à la main se lisaient mieux et nous convenaient mieux que ceux qui sortent de l’usine.

Virginia Woolf. – Vous oubliez que nous sommes beaucoup plus nombreux. Aujourd’hui, des milliers de gens se lèvent de table leur journée finie pour lire un livre ou écrire une lettre, alors qu’il y a cent ans c’était pour s’asseoir dans un coin et filer la laine ou sommeiller dans un fauteuil. Pour ma part, je ne pense que du bien du développement des livres. Car, au XVIIIe siècle, seule la middle class bien éduquée en écrivait. L’aristocratie estimait que c’était au-dessous d’elle, la classe ouvrière, au-dessus d’elle. Conséquence, la littérature était devenue le monopole d’une seule classe, elle reflétait ses goûts, flattait ses opinions. À ce jour où tant de livres sont édités, la logique voudrait qu’en parallèle le nombre de bons livres augmente. Le filet est plus large, la pêche en eau plus profonde, cela devrait ramener de plus gros poissons vers le rivage. »


Woolfcouverture

Traduit par : Micha VENAILLE. En savoir plus >>

 


Profession : écrivain

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