L’Héra de Zeus : Nouvelle enquête dans la collection Mondes Anciens

Dans les dictionnaires de mythologie, la déesse Héra est une épouse irascible et une mère imparfaite face à un Zeus frivole, peuplant le monde grec de ses « bâtards ». Et, de fait, depuis l’Iliade, l’Olympe retentit des colères d’Héra : bien des traditions narratives mettent en scène la fureur de la déesse, les infidélités de son royal époux et les persécutions auxquelles elle soumet ses rejetons illégitimes comme Héraclès ou Dionysos. Mais comment rapporter cette image à la dimension cultuelle de la déesse souveraine en ses sanctuaires d’Argos, de Samos ou d’ailleurs ?

Vinciane Pirenne-Delforge, directrice de recherche du Fonds de la recherche scientifique, enseignante à l’Université de Liège et Gabriella Pironti, directrice d’études à l’École Pratique des Hautes Études mènent une enquête minutieuse pour la récente collection Mondes Anciens.

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À la recherche de la déesse épouse et souveraine

Extrait de l’introduction, pages 17,18

« Ce livre n’est [..] pas une monographie sur Héra. L’enquête menée ici n’a pas l’ambition de constituer un dossier de type encyclopédique sur la déesse. Le lecteur n’y trouvera pas le relevé exhaustif des cultes d’Héra ni la collecte de toutes les occurrences littéraires qui la concernent ou qui la voient agir. Quel que soit l’intérêt potentiel de cette investigation à large spectre documentaire, nous avons délibérément privilégié une démarche « qualitative » qui opère des choix. Mais ces choix ne sont pas arbitraires car ils reposent sur une analyse préliminaire du dossier dans toute son étendue, et sur le relevé d’indicateurs et de mises en série signifiants qui nous sont apparus comme des vecteurs d’interprétation fiables. Il s’avère en outre que ces lignes de force nous permettent d’affronter des problématiques que la recherche sur cette déesse a laissées ouvertes ou qu’elle a résolues de manière partielle, voire insatisfaisante […].

L’Hymne homérique à Héra et le pilier de la porte thasienne […] attestent le lien étroit entre l’image de l’épouse et celle de la souveraine. Cet indicateur réapparaît, sur le plan de la nomenclature divine, dans l’exclusivité des épiclèses féminines de Teleia, « l’accomplie », et de Basileia, « la reine », que porte Héra dans les cités grecques et ce, sur la longue durée. Or, le dieu Teleios et Basileus par excellence, tout au long de l’histoire grecque, est Zeus. C’est donc à la relation d’Héra avec le roi des dieux, son époux, et le pouvoir souverain qu’il représente, que nous avons prêté toute l’attention requise. Car si l’on sait, depuis les travaux de Georges Dumézil au moins, qu’un dieu ne peut être étudié de manière isolée, la mise en panthéon d’Héra illustre particulièrement bien cette nécessité : la documentation antique nous enjoint de partir de la composante essentielle de son profil que constitue sa relation avec Zeus. Or, certains savants se sont acharnés à la dissocier du couple qu’elle forme pourtant déjà avec lui dès la documentation mycénienne, pour l’ériger en divinité originellement indépendante et puis hostile à une pleine intégration. Au lieu de nous perdre dans des spéculations sur la manière dont le couple s’est constitué, nous avons enquêté sur les modalités de son fonctionnement, et ce dès la période archaïque.

Parmi les modalités de ce fonctionnement se dessine la figure d’Héra en colère que nous avons appelée « l’ennemie intime ». Plutôt que de justifier ce motif par la référence prétendument historique à un pouvoir déchu ou de le réduire au stéréotype de l’épouse jalouse et querelleuse projeté sur le plan divin, nous avons cherché à prendre au sérieux le conflit qui agite le couple et à cerner au plus près les mobiles de la colère d’Héra. Il est clair que tous les dieux se mettent en colère, surtout quand leur honneur et leurs prérogatives (timai) sont bafoués, mais l’ampleur et la récurrence de ce thème dans les traditions narratives qui évoquent Héra et dans le vocabulaire qui est alors activé font qu’il s’agit d’un indice majeur pour en cerner la spécificité. La colère (cholos) est tout aussi essentielle à la compréhension de la déesse que ses figures d’épouse et de souveraine, et ce n’est qu’en interrogeant l’interaction entre ces trois aspects, sans en négliger aucun ni les hiérarchiser, que nous pouvons espérer rendre compte de la représentation grecque d’Héra. »

Sommaire de l’ouvrage


La collection « Mondes anciens »

Dirigée par Jean-Michel David et François de Polignac.

L’histoire de l’Antiquité est fondatrice. Les grands moments que l’on en retient, l’Égypte, les empires de Mésopotamie, les cités grecques et les monarchies hellénistiques, la République romaine et l’Empire, sont ceux au cours desquels se sont structurés des modes de représentation du monde qui nous inspirent encore aujourd’hui : la Bible, la Démocratie, le Droit pour ne citer qu’eux. L’étude en requiert de la rigueur et de la précision, tant les sources sont rares et sujettes à interprétation. L’érudition pourtant ne peut suffire. Il faut aussi donner un sens aux événements que l’on reconstitue.
La collection « Mondes anciens » de monographies d’histoire et d’anthropologie de l’Antiquité s’inscrit dans une perspective à la fois savante et réfléchie qui permet, sans oublier non plus les questions d’historiographie, d’analyser les mécanismes qui régulaient les sociétés et en déterminaient les représentations.

Déja parus dans la collection « Mondes anciens »

Charles Guérin
La Voix de la vérité
Témoin et témoignage dans les tribunaux romains du Ier siècle avant J.-C. >> En savoir plus

Yann Berthelet
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