Ménandre, prince de la comédie nouvelle : un nouveau tome rejoint la C.U.F.

« On peut se le représenter comme un élégant d’Athènes, un mondain spirituel et curieux, très conscient de son talent… qui enrichissait ses comédies des observations qu’il avait glanées dans le commerce d’une société polie… De Ménandre ou de la vie, demandait spirituellement Aristophane de Byzance, lequel des deux a imité l’autre ?… Il semble avoir eu le don de peindre sans forcer le trait, dans un style qui reproduisait par son aisance et sa justesse le ton même de la conversation… Il lui manque sans doute d’avoir créé des types tels qu’un Alceste ou un Tartuffe ; mais, dans la peinture vivante des mœurs de l’humanité, il a été un initiateur. »

Jules Humbert et Henri Berguin, Histoire de la littérature grecque (Didier, 1947) *

Ménandre (342/340 – 292), fils de riche bourgeoisie athénienne, a reçu les leçons d’Épicure et de Théophraste avant d’écrire lui-même un théâtre plein de vie et d’imprévu au style naturel et spontané. Sa première pièce écrite en 322 fut primée huit fois, et il en écrira 108 qui nous sont parvenues de façon fragmentaire, à l’exception du Dyscolos, la seule intégrale et datée avec précision.

Imitée par Plaute et Térence, inspiration pour le théâtre classique, son oeuvre est pourtant restée longtemps inaccessible. La publication du tome III établi et traduit par Alain Blanchard,  le 525e de la C.U.F. série grecque, permet de faire le point sur les recherches. Voici un extrait de l’introduction d’Alain Blanchard :

« Après deux tomes consacrés essentiellement aux deux grands témoins de Ménandre que sont le papyrus Bodmer et le papyrus du Caire – l’un et l’autre relevant sans doute du Choix byzantin – ce tome III marque une large ouverture. Certaines des comédies de Ménandre dont il nous reste un ou plusieurs fragments papyrologiques et qui sont éditées ici dans l’ordre alphabétique des titres grecs (soit en français : le Laboureur, la Double Tromperie, le Poignard, l’Eunuque, l’Inspirée, le Thrasyléon, le Carthaginois, le Cithariste, le Flatteur, les Femmes qui boivent la ciguë, la Leucadienne, le Haï, la Périnthienne, la comédie suivante, celle des Sicyoniens étant déjà publiée dans le tome IV) ont certes pu faire partie du Choix byzantin : le Haï, le Thrasyléon (complétant la triade commencée par la Tondue ?) et le Laboureur. Mais, semble-t-il, à aucune des autres comédies il n’a été donné de franchir le cap fatidique du IVe siècle de notre ère. Elles ne sont cependant pas sans intérêt. Certaines d’entre elles ont retenu l’attention des poètes comiques latins dont l’œuvre nous a été transmise : la Périnthienne (comme le montre l’Andria de Térence), l’Eunuque (adapté par le même Térence), et surtout la Double Tromperie, pour nous premier exemple un peu étendu d’un original grec adapté par Plaute (en l’occurrence dans ses Bacchides). Quant aux autres comédies, leurs minces fragments ont toujours le mérite de nous faire mieux percevoir la diversité de l’art de Ménandre, même si ce ne sont parfois que des « textes d’attente » dont on peut seulement espérer qu’ils seront un jour éclairés par de nouveaux papyrus. Si l’editio princeps du Laboureur par J. Nicole renvoie aux temps héroïques qui furent aussi ceux de l’édition du papyrus du Caire, l’apparition de la Double Tromperie et des multiples fragments du Haï appartient pour l’essentiel à une autre époque, celle qui a suivi l’effervescence créée par les travaux sur le Dyscolos du cahier Bodmer (et, dans une moindre mesure, sur les Sicyoniens) et qui a révélé l’autorité de deux grands maîtres, Eric G.Turner et Eric W.Handley, au sein comme à l’extérieur de leurs séminaires. Leur souvenir, je pourrais dire leur présence, m’a accompagné tout au long de la rédaction de ce tome, tant j’avais pu bénéficier de leur constante bienveillance et admirer l’ampleur et la valeur de leur travail critique. Ce travail est maintenant poursuivi par d’autres chercheurs, souvent stimulés par l’apparition de nouveaux papyrus. Parmi les multiples problèmes laissés en suspens, certains peuvent être ainsi résolus, mais d’autres difficultés apparaissent tout aussi bien. On prendra vite conscience à la lecture de ce volume, en particulier de l’importante partie consacrée au Haï, que tout ce qui est ici imprimé ne peut être que provisoire et que des mises à jour seront nécessaires dans l’avenir. C’était déjà un peu le cas dans les volumes précédents (surtout le volume II, avec l’Arbitrage, et plus récemment encore, essentiellement grâce à l’activité si fructueuse de William Furley, avec la Tondue, comme le montrent les addenda et corrigenda placés à la fin de ce volume). Ménandre mérite qu’on fasse pour lui un tel effort.  »

Ménandre Tome III

Ménandre, Tome III, établi et traduit par Alain Blanchard, Les Belles Lettres, 2016, XXXVI – 677 p., notes, bilingue grec-français, 978-2-251-00610-9, 55 €. En librairie.


* Mention prise dans le Dictionnaire de la littérature grecque et latine de Jean Laloup
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