Extrait de Le Sel dans l’Antiquité, de Bernard Moinier et Olivier Weller, dans la collection “Realia”, en librairie depuis le 21 septembre 2015 :
Homère affirme le caractère divin du sel, ce que reconnaissent, au fil des siècles, poètes et philosophes. Platon, dans le Timée, affirme que le sel est la substance la plus appréciée des dieux. Et quand Plutarque et ses amis se demandent pourquoi le sel a été appelé divin, la première explication est que, d’une nourriture nécessaire, il fait une nourriture agréable. “Sans le sel, rien n’est pour ainsi dire mangeable” car, selon Symmachos, un des convives, “les saveurs ont besoin de sel pour exciter la sensation”. Il est donc bénéfique. Plutarque développe ce constat. Les hommes attribuent un caractère divin à tout ce qui est universel et sert à la satisfaction de la majorité de leurs besoins… Or rien ne dépasse en utilité cette substance qui est l’indispensable appoint de la nourriture du corps et lui permet d’atteindre la satiété. Outre qu’il prévient la putréfaction, et c’est pour cette raison qu’on en répand sur la viande en vue de sa conservation, c’est plus encore le pouvoir générateur du sel qui traduit son caractère divin. Se référant aux observations sur le comportement des animaux déjà faites par Aristote en son temps, Philinos souligne que le sel stimule les fonctions génitales et que le mythe de la naissance d’Aphrodite, née de l’écume salée de la mer, est une allusion directe au pouvoir générateur du sel. Il résulte de la cristallisation du sperme d’Ouranos.
Hésiode l’a conté avec réalisme. Cronos “saisit l’énorme serpe (que Gaïa lui avait tendue), la grande serpe aux dents aiguës, et, du sexe de son propre père, avec élan, il fit moisson, avant de le rejeter, d’un geste inverse, pour qu’il fût entraîné au loin, derrière lui. […] Lancé dans le flot marin, il était emporté au large. […] Une blanche écume souriait de la chair immortelle et en elle une fille prit corps. En premier lieu, ce fut de la divine Cythère qu’elle approcha. De là, elle parvint à Chypre, au milieu des flots. Puis, elle sortit de l’eau, la belle déesse vénérée.” Celle-là, c’est Aphrodite, née de l’écume salée (aphros), “haligénée” parce que du sel elle prit corps ; ou encore “cythérée” parce qu’elle toucha à Cythère, “cyprogénée” parce qu’elle sortit de l’onde à Chypre, et encore “philomédée”, amie du sexe, parce que du sexe elle fut issue. Voilà la version la plus classique de la naissance d’Aphrodite, née de l’écume salée, après que celle-ci a été fécondée par le sperme d’Ouranos. Telle est l’origine de la formation toujours renouvelée des cristaux de sel sans la récolte desquels la vie cesserait bientôt.
Extrait des pages 263 à 265.