Lucien d’Azay, Le pagure et l’anémone (d’après Ésope)

22510100529090LExtrait d’Ode à un bernard-l’ermite. Avis à ceux qui déménagent, de Lucien d’Azay, collection Tibi, en librairie le 24 août 2015 :

Un pagure tomba un jour sur un miroir qu’un mortel avait vraisemblablement abandonné ou égaré au fond de la mer, et il se trouva pour la première fois pinces à pinces avec son reflet. Ignorant sa propre apparence, il constate aussitôt qu’il transporte une superbe anémone sur sa coquille. Ravie de se voir elle-même, l’anémone déploie la belle corolle de tentacules pourpres qui entoure sa bouche comme la crinière de serpents de Méduse. Elle entrouvre les lèvres. Le pagure, que le reflet de l’anémone n’a cessé d’éblouir entre-temps, croit qu’elle lui sourit et en pince aussitôt pour elle. Il quitte alors sa coquille et l’escalade de son pas oblique pour rejoindre l’anémone, mais celle-ci, n’ayant pas compris qu’il s’agissait de son chauffeur, ou peut-être l’ayant compris, lui envoie une décharge fulgurante et le paralyse. Ainsi transformé en fossile-vivant, le pagure coule et assiste à son propre naufrage sans rien pouvoir faire, jusqu’à ce qu’un gros mérou le gobe tout rond. Sans chauffeur, avant d’avoir le temps d’en réclamer un à Poséidon, l’anémone coule à son tour, assujettie à la coquille, ayant beau s’évertuer à s’en arracher, à grand renfort de tentacules.

Pareillement, les couples humains se séparent à leurs dépens, et souvent pour des motifs divergents, lorsqu’ils entrent en relation d’une manière incompatible avec leur propre nature, croyant l’avoir enfin découverte, alors qu’ils vivaient naturellement et pacifiquement ensemble sans s’en rendre compte. (Pages 67-68)

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