Extrait de L’Islande médiévale, de Régis Boyer, Guides Belles Lettres des civilisations, 2001 :
Autant que l’on sache, il semble bien que l’Islande ait été inconnue de l’Antiquité et même de presque tout le premier millénaire de notre ère. On ne croit plus aujourd’hui que l’Ultima Thule qu’aurait découverte le grand navigateur Massaliote Pytheas ait été cette île : il s’est sans doute agi des Lofoten, ou des Féroé. L’archéologie, en dépit de fracassantes thèses soutenues à intervalles, n’a rien découvert de convaincant avant le VIIIe siècle. Au demeurant, sa colonisation s’inscrit admirablement dans le cadre des voyages vikings, elle se situe exactement dans la seconde phase de ce mouvement, celle des établissements et colonisations.
En revanche, tout — et une fois encore, l’archéologie qui a fait d’intéressantes trouvailles depuis une ou deux décennies — donne à penser que ce pays n’était pas inconnu des Irlandais. Il entrait, on le sait, dans les règles de l’érémitisme, tel que pratiqué en Irlande, de se livrer à la merci des flots pour aller vivre loin (navigatio dont le célèbre voyage de saint Brendan fut la meilleure illustration), et ce n’est certainement pas un hasard si le moine irlandais géographe Dicuil, écrivant son De Mensura Orbis Terræ vers 825, y parle d’une île, qu’il assimile à l’Ultima Thule des Anciens, où brille le soleil de minuit, ce qui fait que l’on peut voir ses poux dans sa chemise à des heures très avancées ! Que des ermites de ce genre, des papar— un mot dont l’étymologie est claire —, se soient fixés pour un temps en Islande, cela ressort non seulement des témoignages d’Ari þorgilsson le Savant (dans son Livre des Islandais) et du Livre de la colonisation de l’Islande, mais aussi de la toponymie, témoin sûr, qui connaît des Papey (île des papar), Pap/b/ y´li (demeure des papar), Papóss (embouchure des papar), etc. Il nous est dit que, lorsque les premiers Scandinaves mirent le pied dans l’île, ils s’empressèrent de chasser ces ermites qui laissèrent sur place des croix, des livres et des crosses… Il faudra conserver en mémoire cette familiarité qu’avaient les Celtes de ce territoire.
Il n’empêche que la véritable découverte et colonisation de l’île fut le fait des Scandinaves, Norvégiens du sud-ouest en l’occurrence, auxquels s’adjoignirent quelques Danois, quelques Suédois et très peu de Flamands ou d’Anglo-Saxons. Sur les raisons de cet exode, on a trop écrit. Nous ne retenons plus à présent les théories de Snorri Sturluson (XIIIe siècle) et de ses émules spécifiant que ce fut pour fuir la tyrannie du roi Haraldr inn hárfagri (à la belle chevelure), qui entendait se soumettre toute la Norvège et donc rompre avec les habitudes immémoriales des roitelets locaux, qu’eut lieu le départ des futurs Islandais : ils s’embarquaient avec femmes, enfants et « biens meubles » comme disent nos textes, sans négliger quelques têtes de bétail, ce que pouvait contenir leur fameux bateau, knörr, skeid ou langskip (mais surtout pas le monstre français *drakkar !), c’est-à-dire, en somme, assez peu de monde ou de choses. Nous pensons que c’est le démon de l’aventure et la soif de l’ailleurs qui sont responsables de ce mouvement, conjugués à la possession et aux incroyables prestations du bateau en question. Aller de Bergen à Reykjavík représentait une sorte d’exploit, il y fallait des navigateurs de premier ordre dotés d’un navire hors pair ; mais c’était, nous venons de le dire, le moment où, partout, les Vikings sillonnaient le monde en en reculant les limites connues. Au demeurant, il convient de dire qu’une traversée comme celle qui vient d’être évoquée n’est rien en comparaison d’une autre qui allait du cap Nord à Mourmansk et Arkhangelsk en passant par la mer de Barents et la mer Blanche : or ce dernier fait est parfaitement établi et n’a jamais suscité de débat !
Nous disposons d’un document de tout premier ordre avec le Livre de la colonisation de l’Islande (Landnámabók Íslands), un travail d’une parfaite originalité et qui nous est parvenu en un assez grand nombre de versions dues à des auteurs différents : son but correspond exactement à son titre, il est notre source obligée sur la question.
Il établit que l’Islande fut d’abord visitée par un Norvégien, Naddodr, qui appela ce pays Snæland, Pays de la neige, puis par un Suédois, Gardarr Svávarsson, qui le baptisa modestement Gardarshólmr, îlot de Gardarr, enfin par un autre Norvégien, Floki Vilgerdarson qui est responsable du nom d’Island, Pays de la glace. Que ce pays ait été abondamment boisé comme le veut une manière de légende accréditée par des textes anciens mais qui se souviennent très fort d’une lecture attentive de la Bible et de la découverte du pays de Chanaan, ce n’est pas impossible encore que le vent, qui règne en maître là-bas, n’ait pas dû favoriser la croissance de grands bois. En revanche, il importe de noter que ce pays n’est pas froid et ne correspond absolument pas à son nom. L’Islande est entourée d’une boucle du Gulf Stream, ce qui fait que les hivers n’y sont pas rigoureux du tout, les étés n’étant certes pas torrides, sans pour autant être froids. Le sol n’est pas particulièrement fertile, mais il est propice à l’élevage, notamment du mouton et des bovins, et la pêche, qui demeure aujourd’hui la ressource majeure, et de très loin, du pays, y est souvent quasi miraculeuse. Évidemment, l’activité volcanique intense peut y décourager les bonnes volontés, mais au total il fait plutôt bon vivre, en particulier dans l’ouest et le sud du pays. (Pages 23 à 25)
Source :

Régis Boyer, L’Islande médiévale, Guide Belles Lettres des civilisations, 2001, 2e tirage 2002, 272 pages, 15,30 €
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