Guerre et humanisme : récit de la naissance de l’Association Guillaume Budé au cœur de la Première Guerre mondiale

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Le « Mur Budé », ou l’intégralité des volumes de la collection en un endroit unique au monde, la Librairie Guillaume Budé, Paris, 6e.

Athéna, déesse de la sagesse, est sortie du front de Zeus, brandissant une lance et un bouclier, poussant un puissant cri de guerre. L’idée de la collection Guillaume Budé, dont l’emblème est la chouette d’Athéna, est elle aussi née en armes, sur le front de la Première Guerre mondiale. Lorsque le grand linguiste Joseph Vendryès (1875-1960) est appelé au combat, il souhaite emporter avec lui l’Iliade, texte matriciel de notre civilisation, compagnon d’armes tout désigné puisque le poème est consacré à la dixième année de la guerre qui opposa les Troyens à la coalition achéenne. Malheureusement de l’épopée d’Homère il n’existait plus à cette époque parmi les éditions savantes que des éditions allemandes, fort honorables, mais fort peu patriotiques sur les lignes françaises. Vendryès se serait alors promis, s’il survivait, de créer une collection d’édition savante française. C’est ainsi que l’idée de la collection des universités de France jaillit des affres de 1914-1918.

En juillet 1917, un cénacle composé d’hommes de lettres, de professeurs, de savants et de politiques, fondent « l’Association Guillaume Budé », se plaçant sous l’égide de l’un des plus grands philologues du XVIe siècle, Guillaume Budé (1467-1540) que ses travaux d’helléniste, de juriste et d’éditeur avaient distingué, au point que sur son conseil, François Ier institua des « lecteurs royaux », chargés d’enseigner les langues et les sciences dans le tout nouveau Collège de France. En pleine époque du machinisme et de l’industrialisation, il s’agit de remettre à l’honneur les valeurs de l’humanisme. La France aussi aurait des éditions savantes des auteurs grecs et latins. Cette association eut pour premier président Maurice Croiset, et pour vice-présidents Louis-Havet et Paul Girard. Leur ambition n’est pas sans démesure (hybris, en grec) puisqu’ils entendent livrer une collection complète des textes de l’Antiquité, jusqu’au VIe siècle de notre ère.

Voici la circulaire de présentation du « Projet Budé », pour la première fois en ligne:

Paris, le 24 février 1917.

Monsieur, L’idée de créer en France une collection d’auteurs grecs et latins, plus ou moins analogue à des collections étrangères bien connues, s’était déjà fait jour chez nous avant la guerre actuelle. Elle s’est imposée par l’effet des événements. Ce qui n’était qu’un désir est devenu presque une obligation nationale.

Un certain nombre de membres de l’enseignement supérieur et de l’enseignement secondaire, réunis au Collège de France le 19 novembre 1916 pour s’entretenir de cette question, ont été unanimes à en reconnaître l’urgence. Après une discussion de propositions diverses, ils se sont trouvés d’accord pour reconnaître que le besoin le plus général et le plus pressant était celui de textes accompagnés d’un apparat critique très simple, de courtes notices, d’une annotation réduite au strict nécessaire, et de bons index. On a pensé toutefois qu’une traduction française était désirable pour accroître le nombre des acheteurs et répandre ces éditions dans le public. Le travail du traducteur est d’ailleurs par lui-même la meilleure préparation à celui qu’exige une édition critique, le plus sûr moyen de ne rien laisser échapper des difficultés du texte. Les ouvrages publiés paraîtraient donc d’abord avec la traduction, mais le texte pourrait ensuite être détaché et publié isolément. Il importerait naturellement que le prix relativement modique de ces éditions les mît à la portée de tous.

Une commission avait été constituée dans cette réunion préliminaire en vue d’étudier les moyens d’exécution. Elle a pensé qu’il était indispensable de créer pour cela une société, qui, par l’intermédiaire de ses représentants élus, traiterait avec une maison d’édition et assurerait ensuite la direction de l’entreprise. C’est ainsi seulement que la valeur et la continuité de l’œuvre semblent pouvoir être vraiment garanties.

Bien entendu, un projet de ce genre ne peut réussir qu’à la condition de réunir un grand nombre d’adhésions. Nous espérons que la vôtre ne nous manquera pas. Il s’agit non pas seulement de faire face à une difficulté sérieuse, mais surtout de montrer au dehors ce que vaut la science française et, par là, de lui offrir à elle-même l’occasion de prendre conscience de ses ressources, et d’en provoquer le développement.

Alfred Croiset. René Cagnat. Maurice Croiset. Philippe Fabia. Georges Dalmeyda. Louis Havet. Paul Girard. Camille Jullian. Paul Masqueray. Georges Lafaye. Salomon Reinach. Jules Martha. Théodore Reinach. Paul Monceaux.

Retrouvez l’histoire populaire d’une collection mythique, la C.U.F. en intégralité à ce lien.

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