Hommage à Patrick Reumaux, 1942-2024

Patrick Reumaux nous a quittés le 17 janvier dernier, à l’âge de 82 ans. L’amour inconditionnel qu’il porta sa vie durant pour la littérature et la parole poétique, sa défense d’une langue riche, authentique et volontiers joueuse, l’audace, la précision, la fantaisie, dont ses traductions n’étaient jamais avares, en firent un acteur incontournable du paysage intellectuel de ces soixante dernières années.

Qu’il s’agisse de tracer un sillon intime à travers l’écriture de plus d’une quinzaine de romans et de plusieurs recueils de vers, ou de mettre son temps, son talent et son énergie au service de l’œuvre de ses auteurs favoris (Dylan Thomas, Llewelyn Powys, Emily Dickinson, Mervyn Peake, W.H. Hudson, Sheridan Le Fanu…), Patrick Reumaux est demeuré, jusqu’à la toute fin, un passeur infatigable et un compagnon fidèle de tous les amoureux de littérature britannique ou naturaliste. Sa carrière l’a ainsi mené à offrir ses services à une grande partie des maisons les plus prestigieuses de l’édition française. Sa riche collaboration avec Les Belles Lettres débuta sous le signe de la littérature irlandaise du XXe siècle avec la publication, de 2011 à 2018, d’œuvres de Flann O’Brien, Lord Dunsany, Daniel Corkery ou encore Sean O’Faolain, avant de se poursuivre avec l’édition et la traduction de plusieurs volumes de notre estimée série Poésie magique, dont il était particulièrement fier.
Nous lui rendons ci-dessous hommage, bien qu’aucun mot ne puisse toutefois rendre toute la mesure de ce que nous lui devons.

Pour Patrick

Par Camille Pech de Laclause

Patrick m’a envoyé ce poème de William Blake, son « préféré » écrit-il, à la fin d’un des documents fourre-tout que je recevais régulièrement, avec une joie de matin de Noël. Lui, l’artiste « en petites choses », ensorcelait les frelons et les taons plutôt que les félins. Mais n’est-ce pas la même chose ?

            Il y avait toujours des subrécots comme des comètes attachés à la fin de ses messages. Quand on lui demandait un résumé, il y joignait un autre livre, un livre entier, traduit par ses soins comme on va chercher le pain : rapidement, l’air de rien, avec appétit. Dans son sillage providentiel, parfois chaotique, j’ai découvert des auteurs qui rendent plus vivant : Salvatore Quasimodo, les frères Powys, Edward Lear, Dylan Thomas, Christina Rossetti, et leur Grâce troublante, joueuse, crépusculaire. C’est grâce à lui, encore, que j’ai redécouvert les deux Emily. Les lire à travers la langue de Patrick, c’était comme fuguer dans les ombres folles, mordre dans une terre de bruyère, hurler dans le vent d’hiver : c’était doux-amer.

            Lorsque j’ai rencontré Patrick, j’avais 22 ans à peine, je débarquais fraîchement aux (si) Belles Lettres. Naïve comme tout, une vraie « agnelle » aurait dit Patrick. Sans hésiter, il m’a ouvert sa bibliothèque et ses souterrains. Grâce à lui, je renouais avec la poésie, pas celle que j’avais apprise à l’école puis étudiée à l’université. Celle chère à Patrick était d’une autre trempe. Elle faisait battre les tempes d’un afflux prodigieux, mélange de sang, de terre et de larmes. Si bien qu’on ne fanait pas à ses côtés, on ne s’enracinait pas non plus. On se démultipliait en jungle insolente. Au fond de ses yeux bruns et agiles : la forêt tapie, faussement endormie attendait comme seuls attendent les enfants et les poèmes, « Brûlant clair dans les bois noirs de la terre ».

            Parfois, Patrick signait ses mails par une sorte de pseudonyme : « le vieil olibrius », un nom latin, magique, qui m’évoquait à la fois un grimoire, un empereur et un champignon rare, jusqu’au jour où j’ai cherché la définition exacte du mot dans le dictionnaire : « individu ridicule, qui se donne des airs avantageux, qui donne de l’embarras ». En apparence, il n’y a donc rien de plus éloigné de Patrick que cet « olibrius ». Rien de plus proche de lui, en revanche, le goût de la dérision et des farces. Lui qui ne s’embarrassait jamais, justement, de faux-semblants. Il avait l’esprit trop vif pour ça, il était trop observateur aussi. S’attabler en « Compagnie » de Patrick, c’était être sûr qu’on irait droit au vivant, en naturaliste. Quand il parlait, il épinglait souvent ses fins de phrase d’un rire de gorge et d’épaules. Un rire-papillon ou chenille, selon l’humeur.

            Patrick appartenait aux espèces sans âge, vous savez de celles qui poussent dans de drôles de pays, les pays où l’on n’arrive jamais. Des pays de détours, de contes et de chasses fragiles. De vallées ardentes. Les Ardennes peut-être ? Tel que nous le connaissons, à l’heure qu’il est, le vieil olibrius doit être penché avec André Dhôtel sur quelques jolis spécimens, à robes pourpres, chapeaux pointus et mousses fondantes à souhait.

             L’Impératrice et toute sa suite vous saluent avec une infinie tendresse et reconnaissance, cher Patrick. Elles vous liront, je vous le promets.

            Nous vous lisons déjà.

Camille Pech de Laclause est éditrice aux Belles Lettres.

La Série Poésie Magique, élaborée par Patrick Reumaux.

Emily Brontë, Les Hauts de Hurtebise

Wuthering Heights

La dernière traduction de Patrick Reumaux, le 19 avril 2024 en librairie.

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