Le terme de recueil, plus encore que celui d’anthologie, est certainement le plus juste pour approcher d’un côté Les Lettres grecques, monumental ensemble en grec ancien unilingue de plus de 1600 pages, et de l’autre les Coryciana, qui embrassent quelques 372 épigrammes romaines, dans leur première édition bilingue française. Ces deux livres, dont l’éclosion a mobilisé une vaste équipée de philologues, traducteurs, et autres passionnés, sont parus peu avant le solstice d’été. La lumineuse abondance qu’ont des textes variés lorsqu’ils sont donnés tels quels, dans l’étrangeté de leur langue, nous est rendue ici fidèlement. Mais pas seulement. On y trouvera aussi retracée une navigation des écrits littéraires : les circonstances qui ont présidé à leur création et permis, souvent de manière impartiale et arbitraire, de les transmettre, sont présentées le long d’introductions, de commentaires et de notes. Il n’est ainsi pas nécessaire de maîtriser parfaitement le grec ancien ou de connaître sur le bout des doigts la poésie néo-latine de la Renaissance italienne pour ouvrir ces deux recueils : l’envie de se lancer dans des eaux inconnues, avec un solide amarrage historique, suffit amplement.
Nous détaillons ici les choix de procédés d’édition certes audacieux mais aussi terriblement optimistes et vous en présentons quelques extraits.
« Grecque, sans laquelle c’est honte que une personne se die sçavant. »
Les Lettres grecques. Anthologie de la littérature grecque d’Homère à Justinien, 1632 pages, livre relié, glossaire, tableau chronologique.
PRIX DE LANCEMENT À 45 € JUSQU’AU 30 JUIN 2020
Sous la direction de Luigi-Alberto Sanchi, avec la contribution d’Emmanuèle Blanc et Odile Mortier-Waldschmidt. Préface de Monique Trédé-Boulmer
« Les Lettres grecques » : le titre même du volume traduit son ambition. Il ne
s’agit pas ici de retenir quelques-unes des grandes pages des textes dits « classiques » – ceux que l’on étudiait jadis dans les classes, d’Homère à Lucien et Plutarque, en se risquant quelquefois jusqu’à Basile de Césarée. Il s’agit bien plutôt de faire découvrir au lecteur le plus large choix de ce qu’a produit la langue grecque, de l’épopée archaïque (VIIIe s. av. J.-C.) jusqu’à la fermeture de l’École d’Athènes par Justinien en 529 apr. J.-C. C’est donc plus de treize siècles de « littérature » – poésie épique, lyrique ou dramatique, exposés philosophiques et scientifiques, épigrammes et discours d’orateurs… – que Luigi-Alberto Sanchi, l’initiateur du projet, et ses deux collaboratrices, Emmanuèle Blanc et Odile Mortier-Waldschmidt, les maîtres d’œuvre de ce grand livre qui n’ont pas ménagé leur peine pour en harmoniser l’ensemble, nous présentent aujourd’hui. Une telle entreprise, dont il faut saluer la nouveauté, impliquait un travail considérable auquel plus de soixante-dix hellénistes ont accepté de collaborer. Pour faciliter l’accès au texte, les divers collaborateurs de l’ouvrage ont tenu à faire précéder chaque période, chaque genre, chaque auteur, chaque œuvre, de notices plus ou moins longues. Ainsi à travers ces pages de grec toujours soigneusement assorties de notes destinées à faciliter la traduction, c’est l’ensemble du monde grec dans son infinie diversité qui reprend vie sous nos yeux, d’Homère au monde byzantin. Le parti pris consistant à associer histoire de la pensée et anthologie annotée conduit sans doute inévitablement à des répétitions, mais aussi à des raccourcis. Il appartiendra au lecteur, s’il veut en savoir davantage, de chercher ailleurs une plus ample documentation. Mais n’est-ce pas le propre d’une anthologie que d’ouvrir à la connaissance d’œuvres parfois méconnues ? Nous formons donc des vœux sincères pour que ce livre, non content de trouver son public au fil des ans et des rééditions successives, incite son lecteur à aller plus loin et à explorer par lui-même l’immense bibliothèque qu’il lui aura fait découvrir. Puissent Les Lettres grecques contribuer ainsi à l’essor de nouvelles générations d’hellénistes dans les années à venir ! C’est là notre souhait le plus ardent.
Préface de Monique TRÉDÉ
Avenir(s) de l’Antiquité
Ce volume, où se succèdent époque après époque des auteurs dont les textes illustrent la diversité, la richesse et la pérennité de la littérature en grec ancien, a été parrainé par le réseau d’associations « Antiquité Avenir » et a reçu le soutien du Département des Sciences de l’Antiquité de l’École normale supérieure de Paris. Conçu par Luigi-Alberto Sanchi (vous pouvez retrouver son entretien avec La Vie des classiques ici), qui en a été le maître d’œuvre et qui a rédigé les introductions à l’ouvrage et à ses sept sections, il a été réalisé par plus de soixante-dix rédacteurs, enseignant dans l’enseignement secondaire français ou européen, dans les classes préparatoires aux Grandes Écoles ou à l’université.
Avec la participation de Julien Alibert, Magali Année, Guillaume Bady, Marie-Laure Bellard, Marion Bellissime, Michèle Biraud, Emmanuèle Blanc, Julien Bocholier, Julien du Bouchet, Mathilde Brémond, Catherine Broc, Catherine Bry, Emmanuèle Caire, Jean-Claude Carrière, Florent Cistac, Eleonora Colangelo, Franck Colotte, Antoine Contensou, Laurence Daniel, Bénédicte Daniel-Muller, Micheline Decorps-Foulquier, Saulo Delle Donne, Guillaume Diana, Isabelle Dumont-Dayot, Cécile Durvye, Maud Étienne-Duplessis, Frédéric Fauquier, Luigi Ferreri, Hélène Frangoulis, Danièle Gaillard-Goukowsky, Benoît Gain, Anne-Laure Gallon-Sauvage, Xavier Gheerbrant, Emmanuel Golfin, Laurent Gourmelen, Thierry Grandjean, Marie-Rose Guelfucci, Laurence Houdu, Emmanuelle Jouët-Pastré, Christine Kossaifi, Sarah Lagrou, Jean Lallot, Patricia Lambert, Denis Lamour, Benoît Laudenbach, Antoine Lavaux, Nadine Le Meur, Isabelle Lejault, Marie-Françoise Marein, Rocco Marseglia, François Martin, Marie-Hélène Menaut, Odile Mortier-Waldschmidt, Béatrice Nicolas, Anne-Sophie Noël, Sylvie Perceau, Brigitte Pérez-Jean, Sylvain Perrot, Jérémie Pinguet, Marie Platon, Claire Poulle, Juliette Prudhomme, Catherine Psilakis, Fabrice Robert, Yannick Scolan, Francesca Scrofani, Patrice Soler, Cécilia Suzzoni, Sophie Van der Meeren-Ferreri, Delphine Viellard, Guy Vottéro, Emmanuel Weiss, Sabine Willem-Auverlot et Anne-Lise Worms.
« Rédigées par de grands hellénistes, qui font état des dernières recherches connues, les présentations de ces textes sont aussi aisées à lire que passionnantes, permettant à chacun d’en faire son miel, même s’il ne connaît rien de l’alpha et de l’omega. »
Le Point Références
13 siècles de littérature grecque en 7 sections
Cette anthologie est organisée en sept sections chronologiques regroupant des chapitres consacrés à un ou plusieurs auteurs, réunis par matière ou par genre littéraire. Chaque auteur fait l’objet d’une brève présentation associée à des précisions sur le contexte historique, sur son œuvre et sur le genre ou les genres littéraires auxquels elle se rattache. Sauf exception, les extraits proposés suivent leur ordre d’apparition dans l’œuvre. Ils portent un titre et sont précédés d’une courte introduction. Les notes sont destinées à faciliter la compréhension littérale et grammaticale et à fournir les éclairages contextuels nécessaires. Les références se trouvent placées à la fin de chaque extrait. La seule bibliographie fournie concerne les éditions critiques des extraits présentés. Les Annexes en fin de volume offrent les éléments utiles à la scansion des vers et à l’identification
des particularités dialectales. On y trouve également une chronologie et un glossaire rhétorique.
I. LES DÉBUTS DE LA LITTÉRATURE GRECQUE
CHAPITRE PREMIER. LA POÉSIE HOMÉRIQUE
CHAPITRE 2. HÉSIODE
II. L’ÉPOQUE ARCHAÏQUE
CHAPITRE 3. LA POÉSIE ARCHAÏQUE
CHAPITRE 4. LA PHILOSOPHIE PRÉSOCRATIQUE
CHAPITRE 5. ÉSOPE
CHAPITRE 6. HÉCATÉE DE MILET ET LES LOGOGRAPHES
CHAPITRE 7. LES PREMIERS POÈTES TRAGIQUES
III. L’ÂGE CLASSIQUE : LE Ve SIÈCLE
CHAPITRE 8. ENTRE DEUX ÂGES
CHAPITRE 9. HÉRODOTE
CHAPITRE 10. LE THÉÂTRE ATTIQUE CLASSIQUE
CHAPITRE 11. LA POÉSIE ÉPIQUE : PANYASSIS ET CHOERILOS
CHAPITRE 12. LA PHILOSOPHIE
CHAPITRE 13. HIPPOCRATE ET LA MÉDECINE
CHAPITRE 14. THUCYDIDE
IV. L’ÂGE CLASSIQUE : LE IVe SIÈCLE
CHAPITRE 15. LES DÉBUTS DE L’ART ORATOIRE
CHAPITRE 16. LES ORATEURS POLITIQUES
CHAPITRE 17. LES HISTORIENS
CHAPITRE 18. PLATON ET L’ACADÉMIE
CHAPITRE 19. LES ÉCOLES SOCRATIQUES
CHAPITRE 20. ARISTOTE ET LE LYCÉE
CHAPITRE 21. LA COMÉDIE MOYENNE
CHAPITRE 22. LA POÉSIE
V. L’ÉPOQUE HELLÉNISTIQUE
CHAPITRE 23. LA COMÉDIE NOUVELLE
CHAPITRE 24. LA POÉSIE HELLÉNISTIQUE
CHAPITRE 25. LA PHILOSOPHIE HELLÉNISTIQUE
CHAPITRE 26. DES HISTORIENS D’ALEXANDRE À POLYBE
CHAPITRE 27. SCIENCES ET PHILOLOGIE
CHAPITRE 28. LA LITTÉRATURE JUIVE
VI. L’HÉGÉMONIE ROMAINE (Ier S. AV. J.-C. – FIN DU IIIe S. APR. J.-C.)
CHAPITRE 29. LES LETTRES : RHÉTORIQUE, PHILOLOGIE ET CRITIQUE LITTÉRAIRE. LA POÉSIE
CHAPITRE 30. PLUTARQUE
CHAPITRE 31. LUCIEN DE SAMOSATE
CHAPITRE 32. STRABON
CHAPITRE 33. LA SECONDE SOPHISTIQUE ET LA RHÉTORIQUE
CHAPITRE 34. LES SCIENCES
CHAPITRE 35. L’ÉRUDITION
CHAPITRE 36. LE ROMAN
CHAPITRE 37. ALCIPHRON ET L’ÉPISTOLOGRAPHIE
CHAPITRE 38. LES HISTORIENS
CHAPITRE 39. LA PHILOSOPHIE
CHAPITRE 40. LE NOUVEAU TESTAMENT ET LA PREMIÈRE LITTÉRATURE CHRÉTIENNE
VII. L’ANTIQUITÉ TARDIVE, DE CONSTANTIN À JUSTINIEN
CHAPITRE 41. LA POÉSIE
CHAPITRE 42. RENAISSANCE DE LA SECONDE SOPHISTIQUE
CHAPITRE 43. LES HISTORIENS
CHAPITRE 44. LES PÈRES GRECS
CHAPITRE 45. LE PLATONISME
CHAPITRE 46. L’ÉRUDITION
EXTRAIT : L’âge classique, le IVe siècle
Tout au long du siècle qui va de la restauration de la démocratie à Athènes (403) à la stabilisation des royaumes hellénistiques avec la bataille d’Ipsos (301), on assiste au déclin et à la défaite des grandes cités grecques comme de l’Empire perse au profit d’une nouvelle puissance, la Macédoine : ce royaume situé au nord de la Grèce fut habilement dirigé par Philippe II, puis par son fils et successeur, Alexandre, et causa l’effondrement de l’univers grec classique. Mais auparavant Sparte, victorieuse après la guerre du Péloponnèse, céda bientôt, en 371, l’hégémonie à Thèbes, tandis que nombre de mercenaires grecs, parmi lesquels on trouve Xénophon, s’engagèrent dans des armées perses qui s’entre-déchiraient pour le pouvoir. Cependant, la Macédoine s’immisçait de plus en plus profondément dans les affaires de la Grèce centrale, malgré les appels dramatiques que lança depuis Athènes Démosthène pour lui résister. La défaite de Thèbes à Chéronée en 338 sonna le glas de l’indépendance grecque ; quatre ans plus tard, Alexandre entamait son épopée, qui ne se termina qu’en 323 avec sa mort inopinée. À son projet de monarchie universelle au sein de laquelle Grecs, Macédoniens et Orientaux jouiraient de l’égalité des droits, les généraux qui lui succédèrent opposèrent la création de royautés autonomes, parmi lesquelles le royaume de Macédoine, qui tenta non sans mal de maîtriser les résistances des cités grecques assujetties, alors que s’affirmaient à ses marges des entités restées indépendantes, comme l’île de Rhodes ou la Ligue étolienne.
Transformations sociales et culturelles
Comme en témoignent les dernières comédies d’Aristophane, l’appauvrissement de la population d’Athènes après sa défaite contre Sparte fut sensible. Dans le cadre restreint des cités traditionnelles, où l’on essaya vainement de relancer les vieux idéaux démocratiques ou aristocratiques, la lutte pour l’hégémonie s’avéra stérile. Ce monde grec continental diminué et replié sur son glorieux passé contraste avec la vitalité des anciennes colonies occidentales, notamment celles de Syracuse et de Tarente. Mais dans le déclin politique d’Athènes, sa littérature se para encore de splendides couleurs automnales : l’éloquence atteignit ses plus hauts sommets avec Lysias, Eschine, Démosthène et Isocrate ; leur prose aboutie éclipsa le reste de la production littéraire, en particulier la production poétique. La cité fit en outre l’expérience d’importantes innovations culturelles : la plus célèbre est l’école de l’Académie que Platon, génial disciple de Socrate, ouvrit en 387, après qu’il eut échoué à fonder en Sicile la monarchie éclairée qu’il souhaitait. Quant à la Macédoine, si le meilleur de la culture grecque y était déjà présent à l’époque d’Archélaos Ier, qui avait accueilli à sa cour le vieil Euripide, elle montra sa nouvelle importance culturelle : Aristote y naquit ; le philosophe, fils du médecin du roi, fut le précepteur d’Alexandre. Mais Athènes gardait encore son pouvoir d’attraction puisqu’il y vint pour suivre les leçons de Platon avant de s’éloigner de son maître et de fonder, toujours à Athènes, sa propre école, le Lycée, qui devait ouvrir une nouvelle ère à la recherche philologique, philosophique et scientifique.
Les débuts de l’art oratoire
S’il est difficile de déterminer les origines de l’art oratoire, c’est qu’il constitue un trait caractéristique de la littérature grecque que l’on trouve déjà dans ses premières manifestations. Dès les poèmes homériques en effet, dans l’Iliade comme dans l’Odyssée, les personnages prennent la parole, haranguent, plaident souvent leur propre cause en cherchant à convaincre leurs interlocuteurs. Plus tard, au VIe siècle, les élégies de Solon apparaissent le plus souvent comme des discours politiques en vers, et, au Ve siècle, les Tragiques offrent dans leurs pièces de nombreux exemples de discours et de débats contradictoires. Les historiens eux aussi, Hérodote ou Thucydide, dans les discours qu’ils prêtent à leurs personnages, attestent bien de l’importance qu’avait prise l’art de la parole dans les cités grecques. Il faut ainsi relier ce développement de l’art oratoire aux modifications institutionnelles qu’avaient connues ces cités grecques entre les VIIe et Ve siècles. Si les délibérations existaient déjà dans les cités aristocratiques et monarchiques, l’avènement de la démocratie à Athènes offre de nouvelles et nombreuses occasions à la parole publique de se déployer. Elle joue un rôle central dans la vie de la cité, qu’il s’agisse de débattre à l’Assemblée dans la perspective de remporter l’adhésion (éloquence délibérative), de se défendre dans un procès (éloquence judiciaire) ou de prononcer des éloges funèbres (éloquence d’apparat). Si l’on suit les témoignages de Platon (Phèdre) et d’Aristote (Rhétorique, IIa, 18), l’invention de la rhétorique en tant que technè serait à attribuer à Empédocle, Corax et Tisias, tous trois issus de cités de Sicile qui virent s’effondrer au VIe siècle les tyrannies pour laisser place à des régimes démocratiques.
À Athènes, devant le peuple ou devant les juges, tout citoyen est invité à prendre la parole. Mais dans la réalité, seule une poignée d’orateurs est à même de se faire entendre et respecter de la foule des citoyens et ce sont eux qui prennent régulièrement la parole, proposent des décrets et font voter des lois : la liberté de parole (παρρησία) comme l’égalité de parole (ἰσηγορία) tant vantées par les orateurs eux-mêmes méritent donc d’être relativisées et considérées davantage comme des principes théoriques au fondement de la démocratie athénienne. Formant pour ainsi dire une classe politique, les orateurs exercent une influence grandissante sur le peuple, et l’éloquence est la clé de la réussite pour ceux qui veulent exercer le pouvoir. C’est dans ce contexte, et plus précisément dans la seconde moitié du Ve siècle, qu’affluent à Athènes ceux que l’on nomme les « sophistes », ces professeurs itinérants qui, moyennant salaire, proposaient leurs leçons : même si, dans cette Athènes où ils aimaient séjourner parce qu’elle devenait le centre de la vie culturelle de l’époque, ils se plaisaient à discuter de philosophie, ils enseignaient avant tout l’art de bien parler et ils ont profondément influencé l’art oratoire. Enfin, dans ce tableau des professionnels de la parole, il convient de citer les « logographes », qui rédigeaient, contre rémunération, les discours que leurs clients auraient à prononcer devant le tribunal. Lysias, Andocide et Isée font partie des dix orateurs que la tradition depuis l’époque alexandrine a retenus pour définir le « canon de l’éloquence », les sept autres étant Antiphon, Démosthène, Dinarque, Eschine, Hypéride, Isocrate et Lycurgue. C’est d’ailleurs grâce à l’établissement de ce canon qu’ont pu être préservés des discours très variés, surtout dans le domaine judiciaire : affaires privées ou affaires d’État, affaires de mœurs ou conventions commerciales… Ce sont là des discours d’autant plus vivants qu’on y entend aussi les lois ou les décrets cités à l’appui, les déclarations des témoins, ou même des déclamations de textes poétiques bien connus de l’auditoire, si l’orateur jugeait bon d’en tirer argument pour sa plaidoirie. Ces discours, à l’origine, n’étaient pas destinés à être publiés. Il faut attendre le dernier tiers du Ve siècle pour qu’on songe à leur publication.

Se procurer l’ouvrage

Les Lettres grecques. Anthologie de la littérature grecque d’Homère à Justinien.
Sous la direction de Luigi-Alberto Sanchi, avec la contribution d’Emmanuèle Blanc et Odile Mortier-Waldschmidt. Préface de Monique Trédé-Boulmer
- 1632 pages
- 17.7 x 25 cm
- Glossaire et tableau chronologique
- Prix de lancement à 45 € jusqu’au 30 juin 2020, puis 65 €
- Livre relié
- Grec ancien (unilingue)
- Parution : 19/06/2020
« Mince est le sujet ; mais mince n’est pas la gloire »
Coryciana. Livre Premier. Epigrammes / Epigrammata (1524), CXXXII + 516 pages, bibliographie, index, 8 planches N&B, 45 €.
Introduction, texte, traduction et notes par Lydia Keilen

© Cliché de l’auteur.
Cet ouvrage consiste en l’édition du premier livre des Coryciana paru à Rome en 1524 : recueil poétique (372 épigrammes) rassemblant les contributions de nombreux poètes actifs dans la Rome du début du XVIe siècle, sous l’impulsion du protonotaire Johann Goritz (Corycius) d’origine allemande qui donne son nom au volume.
L’occasion est celle de l’institution d’un culte de sainte Anne trinitaire (importée d’Europe du Nord) au sein de l’église Sant’Agostino in Campo Marzio à Rome, concrétisé par la réalisation d’une chapelle consacrée à Sant’Anna Metterza due à Andrea Sansovino et appuyée sur une colonne affresquée par Raphaël (1511-1512), le tout soutenu par un banquet poétique annuel.
À la fois objet littéraire et document culturel, l’ensemble constitue un des rares témoignages du foisonnement poétique à Rome avant le Sac de la ville qui mettra brutalement fin en 1527 à cette expérience originale maintenue sous les pontificats, notamment, de Léon X et de Jules II. Il s’agit ici de la première traduction en langue française des Coryciana, dont l’editio princeps du texte original latin a été procurée par J. Iijsewijn en 1997.
Cette traduction précise qui à elle seule est le résultat d’un travail de longue haleine est soutenue et accompagnée à la fois d’une introduction mettant en place les différents aspects et regards (historique, sociologique, poétique) sur les Coryciana ; d’une riche annotation ; d’un index prosopographique des poètes, de plusieurs annexes (dont le De poetis urbanis de Francesco Arsilli) ainsi que d’une illustration (8 planches). L’ensemble de ce travail a été réalisé par Lydia Keilen.
EXTRAIT : Introduction
Je continuerai à chanter les présents célestes du miel aérien :
Regarde encore, Mécène, de ce côté.
Je t’offrirai un spectacle admirable de petites choses :
Des chefs magnanimes et, de la nation tout entière,
Les mœurs, les passions, les peuples et les luttes.
Mince est le sujet ; mais mince n’est pas la gloire,
Si les divinités jalouses le permettent
Et si Apollon écoute mon appel.
Virg. Georg. IV, 1-7
À l’image de Virgile qui, au début du livre IV des Géorgiques sur l’apiculture, propose à Mécène « un spectacle admirable de petites choses », nous offrirons au lecteur de ce travail les « présents célestes du miel aérien », récolté par les poètes des Coryciana. Grâce à cette anthologie, les nombreux poètes rassemblés autour de Johann Goritz au début du XVIe siècle, tous de différentes « mœurs » et « passions », issus de différents « peuples » et nations, ont acquis, chacun de sa façon, sous les regards changeants de « chefs magnanimes », séculaires et ecclésiastiques, une gloire non négligeable. Doux agrément pour le dédicataire, les Coryciana le sont non moins pour le lecteur moderne qui revit l’atmosphère agréable de l’assemblée religieuse, poétique et festive instaurée par Goritz autour de Sainte Anne Trinitaire sculptée par Andrea Sansovino […].
Planche V. Raphaël, Isaïe, Sant’Agostino in Campo Marzio. DR.
L’objectif principal de cet ouvrage est la traduction du premier livre des Coryciana. S’il existe quelques travaux sur un petit nombre de poèmes et sur l’origine de l’œuvre en langue anglaise (notamment les travaux remarquables de Jozef IJsewijn et de Julia Haig Gaisser), ceux en langue française se limitent, en somme, à un travail de recherche de José Ruysschært sur « les péripéties des Coryciana ». Jusqu’à présent, l’ensemble du recueil n’a jamais été traduit, en aucune langue moderne, malgré son intérêt et son rôle-témoin de la création poétique latine au début du XVIe siècle. Aussi avons-nous voulu rendre accessible au public francophone ce « miroir de la société poétique néo-latine de la Rome du tournant du XVIe siècle », tout en faisant précéder texte et traduction des
circonstances de sa genèse.
Un recueil poétique en traduction libre
Bien qu’il s’agisse d’un recueil poétique, nous avons opté pour une traduction libre. Tout en ayant tenu compte du style, nous avons mis l’accent sur les images, les évocations et les allusions faites par les poètes, afin de rapprocher le plus possible les poèmes coryciens du lecteur moderne qui revivra, pour ainsi dire, la célébration poétique d’il y a presque cinq cents ans: le fond prévaut sur la forme. Dans cette optique, la contextualisation des différents poèmes nous a semblé très importante et nous avons essayé de recréer les moments d’inspiration (parfois engagée et toujours motivée) des poètes, de faire revivre les images qui ont amené les auteurs à « faire des vers », à devenir poètes, sans, évidemment, avoir négligé les moments de création ludique où, pour les poètes eux-mêmes, la forme a prévalu sur le fond.
De l’intertextualité
Un deuxième accent est mis sur l’intertextualité : intertextualité entre les poètes coryciens, intertextualité (plus rare) entre ces poètes et leurs contemporains, et intertextualité entre les poètes coryciens et les poètes anciens. Ceux-là, en effet, semblent souvent rivaliser avec leurs ancêtres et vouloir créer un véritable certamen poétique entre Anciens et « Modernes ». Si, au sein de cette lutte poétique, les vers d’un Virgile ou d’un Horace — les poètes classiques auxquels les auteurs font le plus appel— ont pu servir de modèle, les poètes coryciens cherchent avant tout à faire valoir leur propre source d’inspiration, spirituelle et artistique, que les Anciens ne sauraient leur fournir : l’inspiration spirituelle de sainte Anne et de la foi chrétienne, et l’inspiration artistique de la sculpture de Sainte Anne Trinitaire, réalisée par Andrea Sansovino. Par l’intermédiaire de leurs textes, les poètes expriment leurs conceptions de la poésie, de la religion, de l’actualité politique et religieuse, ainsi que leurs sentiments à l’égard de Goritz et de sainte Anne, non sans prévoir consciemment la réception (objective et subjective) de leurs créations. Aussi avons-nous essayé de rendre compte de cette rivalisation, tout en laissant aux poètes leurs spécificités « coryciennes ».
EXTRAIT : Lettre de Giovanni Maria Cattaneo à son frère Giacomo Cattaneo
Giovanni Maria Cattaneo à son frère Giacomo, salut !
Tu écris que, charmé par la diversité des poèmes écrits en l’honneur des statues de Corycius que je t’ai envoyés récemment, tu désires en connaître le reste ; en effet, tu as compris que non seulement les poètes romains y ont manifesté leur talent, mais que des étrangers aussi s’y sont employés avec un bonheur étonnant. Tu m’encourages par ailleurs de regrouper tous ces poèmes en un recueil et de les faire imprimer, à la fois pour qu’honneur soit rendu au Dieu Très Bon, et pour que tous se rendent compte que notre siècle n’est pas épuisé au point de n’oser quelquefois rivaliser avec l’Antiquité. J’ai fait ce que tu me demandais, même si la plupart des circonstances ne m’y encourageaient pas. Car il n’était pas facile d’en obtenir un exemplaire complet, si ce n’était par Corycius lui-même. S’il a beau m’être très cher et comprendre qu’une publication de ce genre est à la gloire de Dieu et des poètes qui ont travaillé leurs chants, en revanche, il ne redoutait pas peu que, pendant qu’avec la plus grande piété il faisait ériger l’autel et les statues, et qu’il offrait et dédiait les calices, les chasubles et la dot pour servir à une cérémonie perpétuelle, un interprète malveillant, s’il avait permis que ces œuvres fussent publiées, n’y vît plutôt un hommage rendu à l’ambition. Un autre scrupule ne nous retenait pas peu : la peur que nous ne semblerions avoir fait cela non tant pour servir la religion ou pour te faire plaisir, mais pour que nous aussi nous figurions dans ce recueil avec trois épigrammes.

EXTRAIT : Choix d’épigrammes
Toute page peut être la première
Si quelqu’un déplore avoir été mis à la fin
Et qu’il déplore ne pas avoir été placé au début :
Ouvre aussitôt le recueil au beau milieu même ou à la fin :
Toute page peut être la première
(Girolamo Ferrari, Aux poètes)
Les poètes chantent, les marbres se taisent
Il est incertain si la pierre vit ou si elle badine dans l’image,
Et soit tu la juges parler, soit se taire.
Elle vit et badine pareillement, pendant que tu la crois vivre.
C’est une pierre, et quand tu crois que les marbres parlent, ils se taisent
(Giovanni Battista Casali)
Qui oserait nier que Rome soit revenue à son ancienne splendeur,
Puisqu’elle possède tout de l’ancienne splendeur ?
Voici Phidias et Numa, voici des Virgile très célèbres,
Par leur art, leur esprit pieux et leurs pieux poèmes !
Ils font vivre de tous leurs sens ces trois statues
Et renferment trois âmes en un seul corps.
Bien plus, voyageur, si tu veux t’émerveiller, tout parle ;
Car ce que tant de poètes ont chanté, les statues le chantent.
(Giano Vitali)
De Jupiter à Jésus
Quand le sculpteur réfléchit à la composition des marbres
Appelés à vivre, on dit qu’il a consulté Jupiter.
« Consulte Corycius », répondit Jupiter ; « Ensuite
Tu représenteras les divinités sous leurs traits véritables »
(Felice da Spello)
Engendré et né, tu l’étais déjà, père très bon, Jésus ;
Mais maintenant Corycius a décidé que tu sois fait
(Giano Vitali)