❧ Texte grec établi par Édouard des Places. Traduction, introduction et notes par Arnaud Perrot – Collection Classiques en poche.
Ainsi donc, toi qui es tombée dans le combat avec ses luttes et ses souffrances nombreuses, voici ce à quoi je t’exhorte par-dessus tout à présent : arrime-toi au seul câble de confiance, la philosophie, ne te laisse pas absorber plus qu’il ne convient par les embarras qui proviennent de mon absence, ne rejette pas, par regret de mon enseignement, jusqu’à ce qui t’a déjà été donné, ne te livre pas au fleuve violent des soucis en te laissant abattre devant la foule des contrariétés qui t’entourent, mais, ayant en tête que ce n’est pas par une vie facile que les hommes acquièrent les vrais biens, utilise ce qui s’est passé pour t’entraîner à la vie qui t’attend, toutes choses qui seules entre toutes peuvent mettre à l’épreuve ta constance, au point de te renverser et te faire violence.
Porphyre, Lettre à Marcella, 5, page 11
Les auteurs
Porphyre, philosophe néoplatonicien, est mort vers 305 après J-C. Il a été notamment le disciple de Plotin, fondateur d’une nouvelle interprétation de la pensée de Platon, théologique et mystique, que nous appelons le « néoplatonisme ». Son importance dans l’histoire de la pensée ne réside pas seulement dans la Vie de Plotin et l’édition des traités du maître, les Ennéades, dont il s’est chargé. On a conservé de Porphyre deux commentaires sur les Catégories d’Aristote, une Introduction aux Catégories qui a été très utilisée au Moyen Âge, en traduction latine. Porphyre est également l’auteur de plusieurs commentaires d’Homère et d’un traité contre les chrétiens aujourd’hui perdu. ❧ Ses traités traduits aux Belles Lettres.
Arnaud Perrot est normalien (ULM), agrégé de lettres classiques. Il enseigne le grec à l’université Paris-IV. Il a également traduit dans la collection Classiques en poche Basile de Césarée, Aux jeunes gens. Comment tirer profit de la littérature grecque (2012)
La Lettre à Marcella
Parmi les grands textes de l’Antiquité tardive, la Lettre à Marcella du philosophe néoplatonicien Porphyre de Tyr a reçu des critiques le titre de « testament spirituel du paganisme ». En effet, par bien des côtés, ce texte constitue un bilan de la philosophie grecque des époques hellénistique et romaine et une photographie de ce qu’elle est devenue au IIIe siècle, en particulier sous l’impulsion de Plotin. À cette époque, la philosophie, qui se réduit pour l’essentiel au platonisme, est surtout une méthode pour détourner l’âme du sensible et l’unir à Dieu, par le moyen des vertus, de la connaissance, en particulier la théologie, et de l’ascèse.
Pour la consoler de l’avoir quittée pour un long voyage, Porphyre rappelle à son épouse les éléments fondamentaux de la doctrine à laquelle elle a choisi d’adhérer : le foyer du philosophe est aussi une école de philosophie. Les historiens de la piété ancienne ont salué la haute spiritualité de cet opuscule, école de relation à soi, aux autres et au divin, qui jette une lumière renouvelée sur les mutations profondes de la philosophie au seuil du IVe siècle, et cela avant l’avènement de l’âge d’or de la littérature chrétienne et de la domination politique et culturelle du christianisme.
“Lorsque moi, Marcella, j’ai choisi de t’avoir, toi, pour compagne, alors que tu étais mère de cinq filles et de deux garçons, les uns encore en bas âge, tandis que les autres s’élançaient déjà vers l’âge du mariage, sans m’effrayer de la foule de choses qui seraient nécessaires à leur entretien, ce n’était pas en vue de la procréation par le corps –j’avais en effet résolu d’avoir pour enfants des amants de la sagesse véritable et tes enfants à toi, s’ils embrassaient un jour la droite philosophie par l’éducation que nous leur fournirions –, ni pour la fortune qui s’ajoutait à votre patrimoine ou au mien – car même le plus ordinaire des biens indispensables contente les gens sans possessions –, ni dans l’idée que je trouverais dans l’assistance d’autrui un moyen, pour moi qui décline vers la vieillesse, de me faciliter la vie– c’était ton corps à toi qui était maladif et qui demandait les soins d’autrui plutôt qu’il n’était en mesure de prendre soin des autres et de veiller sur eux –, ni pour les soins ménagers d’autrui ou pour capter gloire et louanges auprès de ceux qui ne sont pas prêts à se charger, sans y être contraints, d’un fardeau de ce genre par seul désir de faire le bien – car, tout au contraire, à cause de la stupidité de tes concitoyens et sous l’effet de la jalousie qu’ils éprouvaient pour nous, j’ai été en butte à une multitude d’injures et – ce qui défie toute attente – je me suis retrouvé menacé de mort par eux, à cause de vous !”
Écoutez la suite du début de la Lettre à Marcella en podcast :

L’introduction d’Arnaud Perrot
Dans son introduction (41 pages), Arnaud Perrot aborde en détail, avec de nombreuses références, les angles suivants :
- L’Ad Marcellam ou le platonisme domestique
- La Lettre à Marcella comme source de la biographie de Porphyre
- La Lettre à Marcella et la grande Histoire
- La Lettre à Marcella comme texte littéraire
- Un résumé pédagogique de la doctrine platonicienne
- Un manuel de religio mentis
- L’invention du mariage platonicien
- La question de l’antichristianisme
Extrait : un prélude à la Grande Persécution
“Une tradition critique veut que la Lettre à Marcella soit une sorte de prélude à la Grande Persécution de Dioclétien. (…) Porphyre aurait dû quitter son épouse pour participer à un conseil réuni par Dioclétien à Nicomédie, au début de l’année 303, afin de préparer des mesures antichrétiennes. Si cette lecture est juste, Porphyre pourrait être compté au nombre de ceux que l’historien Marc Bloch appelle les « témoins malgré eux » : écrivant un ouvrage de consolation et de conseils pour son épouse, il focalise essentiellement son attention sur l’âme qu’il console et qu’il rappelle à elle-même. Ce faisant, la grande Histoire ne serait pour ainsi dire introduite que par surcroît, par allusion. ” page X
Extrait : la rumination des dogmes
“Mais cette lettre est aussi, comme on le sait, une lettre philosophique, résumant, de manière condensée, les éléments de base de la doctrine, pour que la destinataire puisse les avoir sous la main et se les remémorer facilement. La rumination des dogmes, résumés sous une forme sommaire, joue un rôle central dans la philosophie antique comme on le voit, pour ne prendre que deux exemples, dans la Lettre à Ménécée pour l’épicurisme ou dans le Manuel d’Épictète pour le stoïcisme. Cette pratique est d’ailleurs explicitement recommandée par Porphyre dans la Lettre à Marcella. Du point de vue du résumé doctrinal, la Lettre apparaît comme un « manuel au carré ».” page XVI
Extrait : une conception uniquement spirituelle de l’engendrement
“On le voit dès les premières lignes : Porphyre affirme son rejet de la finalité «stoïcienne» du mariage, à savoir la procréation physique (παιδοποιΐα ἀπὸ τοῦ σώματος, chapitre1), au profit d’une conception uniquement spirituelle de l’engendrement. Le Platonicien ne renonce pas à la fécondité, mais il s’agit d’une fécondé selon l’âme. De plus, il déclasse la πόλις comme référentiel du devoir matrimonial. Elle joue même, dans les premières pages, le rôle d’obstacle, puisqu’il s’agit de résister aux objections du corps social – dont les ἐπιβουλαί, les complots (chapitre 3), auront pour écho l’ἐπιβουλή du sensible et du corps (chapitre 33) – pour répondre, contre ses concitoyens, aux besoins de l’âme philosophe de Marcella (τὴν πρὸς τὴν ὀρθὴν φιλοσοφίαν ἐπιτηδειότητα τῆς φύσεως, « ton aptitude naturelle pour la droite philosophie»,chapitre3). Le devoir philosophique produit un divorce avec la cité. Le mariage n’est qu’un stratagème pour donner à Marcella la liberté de s’adonner pleinement à la philosophie et de se dégager le plus possible de la matière.
Dans la Lettre à Marcella, le mariage sera un mariage sans corps. Marcella cohabite avec Porphyre – elle est une σύνοικος (chapitre 1), le mariage est une συνοίκησις (chapitre 3). L’abstinence sexuelle est recommandée par la nature et par les dieux (chapitre 28). Les rejetons corporels et les unions charnelles sont des souillures (chapitre 33). Porphyre ne la considère pas comme une femme, c’est-à-dire qu’il n’en considère que l’être véritable, invisible, l’âme (chapitre 33). La relation conjugale n’est vécue que sur le plan philosophique. La lettre montre que la philosophie, telle qu’elle est comprise dans l’Antiquité, ne s’arrête pas aux portes de l’école, mais que le foyer du philosophe est encore une école de philosophie, où l’époux est le maître et l’épouse et les enfants les disciples.” page XXVII
Se procurer l’ouvrage, en librairie le 7 juin 2019

Porphyre, Lettre à Marcella
Texte grec établi par Édouard des Places. Traduction, introduction et notes par Arnaud Perrot – Bilingue – Collection Classiques en poche
11 x 18 cm – XLII + 74 pages – Bibliographie indicative en fin de volume. 11,50 €

La Lettre à Marcella est toujours disponible en Budé, avec la Vie de Pythagore, dans la traduction d’Edouard des Places avec apparat critique et scientifique.
Néoplatonisme et néoplatoniciens aux Belles Lettres
Nous vous proposons une liste de lectures (textes et essais) en relation avec la philosophie néoplatonicienne. Lors d’une série de plusieurs volumes, seul le premier volume est indiqué. Cliquez sur l’auteur qui vous intéresse, sur notre site, pour en voir la liste des volumes complète.

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