Reprise de l’Histoire de la littérature grecque chrétienne, des origines à 451

Mise à jour du 20 juin 2017 : le tome III de l’Histoire de la littérature grecque chrétienne des origines à 451, inédit, vient de paraître.

Histoire de l’édition

En 2008, aux Éditions du Cerf, Bernard Pouderon entreprenait une série ambitieuse, consacrée à l’Histoire de la littérature grecque chrétienne, depuis les écrits de Paul jusqu’au Concile de Macédoine (451). Il fit paraître les deux premiers volumes (sur les six prévus pour achever l’édition) : le premier, volume introductif, et le deuxième, couvrant les écrits de Paul de Tarse jusqu’à ceux d’Irénée de Lyon. Les aléas de l’édition ont voulu que Les Belles Lettres reprennent ce projet en cours : ainsi les deux premiers volumes précédemment publiés aux éditions du Cerf sont repris ici, mais dans une version revue et actualisée par les neuf contributeurs à l’introduction et les vingt-deux contributeurs au deuxième volume. Les changements, parfois minimes, parfois d’importance, correspondent au progrès de la recherche, souvent assez lents mais toujours significatifs, comme s’en explique Bernard Pouderon dans ses préfaces aux secondes éditions. Nous poursuivrons bien entendu la publication des volumes à venir, dont les prochains devraient voir le jour courant 2017.

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Pourquoi une nouvelle histoire de la littérature grecque chrétienne ?

Le projet en est né il y a plus de quinze ans, lors d’une réunion de l’Association pour l’Étude de la Littérature Apocryphe Chrétienne (l’AELAC), à Dole. Nous étions partis d’un constat : qu’il manquait une Littérature grecque chrétienne en langue française, capable de remplacer les volumes désuets de la Patrologie de J. Quasten (dont la traduction française avait été publiée aux Éditions du Cerf sous le titre Initiation aux Pères de l’Église) ou même l’ancienne Littérature d’A. Puech. C’était avant que ne paraisse la traduction française de la Storia della Letteratura cristiana antica, de Claudio Moreschini et Enrico Norelli, dont le projet était toutefois assez différent : une littérature chrétienne englobant les mondes latin et grec, dont chaque domaine, latin et grec, était confié pour l’essentiel à un seul savant, et qui s’arrêtait (dans sa version française) aux écrits d’Eusèbe. La parution de cette version nous obligea à concevoir notre projet différemment ; ce fut l’objet des réunions que nous tînmes régulièrement à Paris entre les membres du comité de rédaction et les directeurs des différents volumes, sous l’égide du GDR-CNRS 2135 « Textes pour l’Histoire de l’Antiquité tardive ». La restriction de notre champ d’études au seul domaine grec, l’accroissement du volume dédié à chaque auteur, l’attribution des différents chapitres (ou sous-chapitres) à différents collaborateurs à même d’épuiser la bibliographie disponible, l’addition d’un volume « méthodologique » (la présente introduction), devaient donner à notre entreprise un aspect fort différent. De plus, conformément à une tradition que les collaborateurs étrangers ont qualifiée de « française », l’accent était mis sur l’aspect rédactionnel, pour allier une parfaite lisibilité à l’érudition nécessaire aux premières recherches. Le public visé est donc aussi large que possible : d’une part le lecteur cultivé qui veut connaître, par exemple, la genèse des évangiles ou obtenir des informations sur tel ou tel des Pères de l’Église ; d’autre part le jeune chercheur qui pourra trouver dans ces volumes le point de départ de recherches ultérieures, tant sur le plan de la documentation que sur celui de la bibliographie. Mais il eût été absurde de ne pas tenir compte de l’expérience qu’avaient acquise les rédacteurs de la Letteratura cristiana antica. Enrico Norelli accepta non seulement de se joindre à notre entreprise, mais encore de la co-diriger, du moins pour les deux premiers volumes, avant de s’en tenir, faute de temps, au rôle de conseiller. Sa connaissance de l’ensemble de cette littérature, la réflexion qu’il avait menée sur le fait littéraire chrétien, son expérience antérieure ont fait de sa collaboration un atout majeur pour notre projet. Ainsi est née notre présente littérature, véritable fruit d’un travail de réflexion et de rédaction collectives.

Bernard Pouderon, préface à la première édition du volume I d’introduction.


Composition des volumes

Le tome I est en librairie depuis le 21 novembre 2016 :

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Ce premier volume est entièrement méthodologique. Il a pour objet de définir les différentes problématiques propres à ce genre de littérature, et constituera pour le lecteur un outil irremplaçable de documentation et de recherche, dont l’intérêt dépasse largement les seuls écrits chrétiens.

Le tome II est en librairie depuis le 21 novembre 2016 :

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Ce volume couvre les origines de la littérature chrétienne, depuis les écrits de l’apôtre paul jusqu’à ceux d’irénée, le premier des grands théologiens de l’Église. Les efforts pour définir l’identité chrétienne, la défense des communautés, la polémique avec le judaïsme et la mise en place de l’« orthodoxie » et de l’« hérésie » y occupent une place au moins aussi importante que la réflexion théologique et l’activité pastorale.

Le tome III est en librairie depuis le 19 juin 2017 :

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Ce tome couvre toute la production littéraire du IIIe siècle. L’exégèse, l’historiographie, la pastorale, mais également les spéculations théologiques et la polémique religieuse, y occupent une place essentielle. Parmi les auteurs les plus importants ici présentés figurent Clément d’Alexandrie, Origène, Hippolyte de Rome (ainsi que le corpus attaché à son nom), Méthode d’Olympe et Eusèbe de Césarée, qui, dans la diversité de leurs écrits, ont donné non seulement à la pensée, mais aussi à la littérature chrétienne ses premières lettres de noblesse.

Les tomes IV à VI couvriront « l’âge d’or » de la patristique, selon trois aires géographiques : Alexandrie et l’Égypte ; Constantinople et l’Asie mineure ; Antioche et la Syrie.


La transmission des écrits littéraires chrétiens

Extrait du volume I, Introduction : problèmes et perspectives, Rémi Gounelle, pages 127-132. Les notes de bas de page se trouvant dans le volume ont été enlevées ci-dessous.

Comme la plus grande partie de la littérature classique, la littérature grecque chrétienne des premiers siècles est dans l’ensemble mal conservée. Même si le développement, dans le courant du IV siècle, de l’« argumentation patristique » – c’est-à-dire de la pratique de se réclamer de textes d’écrivains ecclésiastiques reconnus pour leur autorité – a assuré la bonne conservation d’un certain nombre d’œuvres majeures des grands théologiens grecs de l’Antiquité, le texte original de nombreux ouvrages – particulièrement de ceux composés avant le concile de Nicée (325) – est partiellement ou intégralement perdu. La nature des pertes et leur raison d’être sont un problème fondamental, auquel se heurte tout historien de la littérature ancienne. Aussi convient-il de s’y intéresser de près, avant d’examiner, positivement, quels sont les canaux par lesquels un certain nombre d’œuvres ont survécu.

Les pertes d’ouvrages

La perte de nombreux ouvrages rédigés par les chrétiens de l’Antiquité n’est pas le résultat d’une catastrophe majeure, mais d’un long processus. Certes, le passage progressif de l’écriture majuscule (l’« onciale ») à la minuscule (VIIIe-IXe s) s’est accompagné d’un processus de sélection des ouvrages et de critique textuelle ; de nombreux textes obsolètes ou non orthodoxes et la forme originelle de certains ouvrages ont disparu avec les manuscrits en onciales qui les contenaient. Mais on ne saurait attribuer toutes les pertes à ce changement d’écriture. Certaines œuvres, comme une partie du Commentaire sur Jean d’Origène (CPG 1453), ont en effet disparu plus tôt, d’autres à une date bien plus récente – ainsi le traité L’incarnation de Théodore de Mopsueste (CPG 3856), dont il ne reste que quelques fragments en grec, avait été découvert en syriaque en 1905 mais a-t-il été détruit pendant la guerre de 1914-1918.

Facteurs idéologiques

La disparition de tout un pan de la littérature chrétienne ancienne est communément expliquée par le résultat d’une censure. De fait, les ouvrages d’auteurs condamnés comme hérétiques et de leurs disciples – authentiques ou présumés – sont dans l’ensemble très mal conservés en grec. Ainsi la condamnation d’Arius en 325, de Nestorius en 431 et d’Origène en 553 a-t-elle provoqué la disparition de la plus grande partie de leur œuvre. La littérature grecque anti- chrétienne est aussi en grande partie perdue.

 Certaines disparitions furent brutales. Pour s’assurer que les écrits condamnés ne fussent plus lus, certains synodes ont en effet non seulement jeté l’anathème sur eux, mais interdit à toute personne (qu’elle soit laïque ou non) d’en posséder des exemplaires, exigeant que toutes les copies disponibles soient reléguées dans l’« enfer » des bibliothèques , quand ils n’ont pas demandé qu’ils soient brûlés. Des papes, des évêques et des moines ont aussi appelé à la destruction de certains livres, et ont parfois eux-mêmes mis la main à l’ouvrage ; d’autres se sont prononcés par écrit sur la valeur de certaines œuvres et de certains auteurs, encourageant par là-même leur conservation ou leur destruction. Le pouvoir impérial a également participé à ce travail de censure – ainsi un décret de Constantin demande-t-il que soient détruites les œuvres d’Arius tout contrevenant devant être mis à mort  ; de même est- ce suite au décret promulgué le 16 février 448 par Théodose II et Valentinien III que le volumineux traité Contre les chrétiens de Porphyre a été détruit. La plupart des œuvres ont toutefois sombré plus discrètement dans l’oubli, simplement parce qu’elles avaient cessé d’être utiles. La disparition d’une partie des liturgies antiques s’explique ainsi par le fait qu’avec l’évolution des institutions ecclésiastiques et des pratiques liturgiques, ces textes étaient devenus désuets. La mauvaise conservation d’une grande partie de la littérature antérieure au concile de Nicée (325) s’explique en partie pour les mêmes raisons. À titre d’exemple, l’Apologie de Justin (CPG 1073) n’est intégralement conservée que par un unique manuscrit du XIVe s., au texte fautif, et les Explications des paroles du Seigneur de Papias d’Hiérapolis (CPG 1047) n’ont survécu que sous forme très fragmentaire ; les traités composés en grec par Tertullien et Cyprien de Carthage, quant à eux, ont entièrement disparu. Ce phénomène d’obsolescence est particulièrement visible dans le domaine hagiographique : au Xe siècle, Syméon Métaphraste composa un nouveau recueil de vies de saints classées selon l’ordre du calendrier ; le succès de ce « ménologe », qui s’imposa rapidement à Byzance, explique que de nombreuses vies de saints antérieures ne furent plus copiées par la suite et sont donc perdues.

Facteurs matériels

Si ces raisons idéologiques ont joué un rôle non négligeable dans la disparition d’une partie de la littérature grecque chrétienne, elles ne doivent pas occulter les facteurs purement matériels. Dans l’Antiquité, les textes chrétiens ont généralement été copiés dans des codex. Ces ancêtres de nos livres modernes, qui ont graduellement pris le relais des manuscrits en rouleaux à partir du IIe s. de notre ère, semblent en effet avoir joui d’une grande prédilection parmi les chrétiens de l’Antiquité, au point que certains savants leur en ont trop rapidement attribué l’invention. Les codex pouvaient être fabriqués à base de papyrus ou de parchemin. En des temps où l’on manquait de ces matériaux, un certain nombre d’œuvres ont été effacées pour laisser la place à d’autres (on parle alors de manuscrits « palimpsestes ») ; ce processus de réutilisation a dû provoquer la disparition d’un grand nombre d’ouvrages peu lus. Heureusement, le texte primitif de certains manuscrits, bien qu’ayant été lavé et gratté, est parfois lisible ou reconstituable ; c’est ainsi, par exemple, que sont préservés des fragments des Hexaples d’Origène (voir CPG 1500/1). Quelle qu’ait été la matière dont il était fabriqué, le codex était soumis non seulement à la pourriture, aux attaques des vers et des rongeurs, comme nos livres modernes, mais aussi à l’usure. Les premières et dernières pages, les hauts et bas des feuillets, ainsi que les marges, dans lesquelles figuraient parfois des annotations, étaient particulièrement sujettes à détérioration. La reliure pouvait aussi se dégrader et les fils servant à relier les cahiers se défaire. La perte de cahiers qui s’ensuivait a également été la cause de multiples disparitions. Les restaurations maladroites, effectuées dès l’Antiquité, ont également eu des conséquences non négligeables : inversions de pages et comblages de lacunes par le recours à d’autres manuscrits ont singulièrement compliqué la transmission de certaines œuvres. Les manuscrits antiques, qu’ils aient été sous forme de rouleaux ou de codex, ne pouvaient dépasser un certain volume. De longues œuvres occupaient donc plusieurs manuscrits indépendants. Les plus imposantes d’entre elles, comme les Hexaples, n’ont peut- être jamais été intégralement copiées, le coût d’une telle entreprise ayant de quoi décourager les commanditaires les plus généreux. Le morcellement d’autres, de dimension plus modeste, n’a pas facilité leur conservation, et ce dès l’Antiquité. Ainsi Rufin, en 405, se plaignait- il déjà de ne trouver en aucune bibliothèque les quinze rouleaux du commentaire d’Origène sur l’Épître aux Romains (CPG 1457) et a- t-il remplacé les sections qui lui manquaient par un montage de citations tirées d’autres œuvres de l’Alexandrin. D’autres facteurs tout aussi matériels ont vraisemblablement causé la disparition d’une partie de la littérature grecque chrétienne : un incendie, une inondation, voire l’abandon précipité d’un domicile suite à une invasion, pouvaient sonner le glas de la carrière littéraire d’œuvres peu diffusées, c’est-à-dire de la majorité des textes. L’œuvre d’Eusèbe de Césarée semble ainsi avoir souffert grandement de l’incendie de la bibliothèque patriarchale de Constantinople en 791, tandis que les saccages provoqués par les croisades expliquent probablement la disparition d’un certain nombre d’œuvres théologiquement peu suspectes et encore disponibles au IXe ou Xe siècle ; le sac de Constantinople de 1453 a dû également être fatal pour certaines œuvres, même si beaucoup de manuscrits grecs avaient alors déjà été transférés en Italie. La combinaison de ces divers facteurs, matériels et idéologiques, explique pourquoi il est difficile, dans la majorité des cas, de déterminer pour quelles raisons telle œuvre a disparu tandis que telle autre a survécu. Chaque texte a connu un destin spécifique, qu’il est le plus souvent impossible de retracer dans le détail. […]


Compte-rendu

« Bien évidemment, dans le cadre de cette contribution, nous n’avons pu qu’esquisser l’immense richesse que renferment les 1 280 pages des deux premiers tomes de cette Histoire de la littérature grecque chrétienne. Malgré ce survol rapide, il apparaît indéniable qu’une fois complétée, cette série en six volumes deviendra une référence majeure en histoire de la littérature chrétienne ancienne qui comblera à la fois les besoins des jeunes chercheurs comme des plus avérés. Le Tome III de cette série est d’ailleurs prévu pour le printemps ou l’été 2017. » Lire tout le compte-rendu par Steeve Bélanger, sur le site La Montagne des Dieux.

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