Nous venons de publier en cet automne les Discours de Margaret Thatcher, inédits jusqu’alors en français, traduits par Michel Lemosse et préfacés par Mathieu Laine. Ces interventions couvrent la période de 1968 à 1992.
Ce recueil offre enfin l’opportunité de se forger une opinion sincère sur cette grande figure du XXe siècle, seule femme à avoir dirigé le Parti conservateur avec Theresa May, et dont le mandat de Premier ministre du Royaume-Uni figure parmi les plus longs effectués (1979-1990).
Bien entendu, le contexte n’est pas neutre. Alors que le socialisme est violemment attaqué de toutes parts en France, alors que François Mitterrand est commémoré par ailleurs toute cette année où il aurait eu 100 ans, alors que des projets « tchatchériens » apparaissent en vue des présidentielles 2017 et que le magazine Le Point lui a récemment consacré sa Une non sans une certaine provocation, alors que le terme « conservatisme » est massivement employé comme argument péjoratif sans que ces emplois reflètent toujours une très grande honnêteté intellectuelle, alors que le Brexit a été voté par le peuple anglais et que Theresa May a succédé à David Cameron, enfin, en pleine effervescence générale des esprits français passionnés plus que jamais par les faits et gestes des hommes et femmes politiques, ce retour aux sources, – par ailleurs mission première et coeur du métier de notre maison, ne semblera pas absurde à quiconque voudra se renseigner sur les convictions profondes qui ont conduit une fille d’épicier à s’incarner en Dame de fer héritière de Winston Churchill.
Ce qui frappera quiconque lira ces discours, au-delà des propositions et des prises de position radicales s’inscrivant dans un contexte replacé et éclairé en préambule de chaque texte, c’est bien le style de Thatcher, charismatique. Une ironie cuisante, un aplomb formidable, et plus que des engagements vides, des convictions viscérales. Les valeurs de Margaret Thatcher ne semblent pas négociables. Le lecteur décidera s’il les trouve respectables ou révoltantes, mais une chose est certaine : il aura été convoqué.
Voici un extrait tiré du discours de Blackpool, le 14 octobre 1977
Pages 89-91
«
[…] À ce moment, autorisez‑ moi une prophétie personnelle. Dans les mois à venir, vous allez assister à une campagne orchestrée par le parti travailliste et le gouvernement travailliste visant à me caricaturer comme « extrêmement ceci » ou « extrêmement cela » – et pendant qu’ils y seront « extrêmement autre chose ». Ils vont me traiter de tous les noms d’oiseaux possibles, comme le font les extrémistes. En fait, l’exercice a déjà commencé, et plus le jour des élections va se rapprocher, et plus vite les insultes vont s’abattre et gagner en violence. J’aimerais donc vous dire deux mots de mon soi‑ disant « extrémisme ».
Je fais extrêmement attention de ne pas verser dans les extrêmes. Je suis extrêmement consciente de la dangereuse duplicité du socialisme, et extrêmement décidée à renverser le cours des choses avant que tout ce qui est précieux ne soit détruit. Je suis extrêmement sur mes gardes lorsque je vois le masque de modération que les travaillistes affichent quand une élection s’annonce, masque que portent pour l’heure, comme nous l’avons constaté la semaine dernière, tous ceux qui en fait aimeraient voir « le drapeau rouge continuer de flotter sur la Grande‑Bretagne ». Je les en empêcherai ! Le parti conservateur, aujourd’hui comme toujours, brandit le drapeau de la nation unie – et ce drapeau, c’est l’Union Jack. alors qu’on me laisse tranquille avec mon soi‑disant « extrémisme ».
Il existe un autre terme chéri de nos adversaires. C’est celui de « réactionnaire ». Ils prétendent qu’un gouvernement Thatcher – j’adore la formule, je dois dire ; elle me plaît un peu plus à chaque fois que je l’entends, et je l’entends assez souvent, donc elle a du sens pour eux – ils prétendent qu’un gouvernement Thatcher serait réactionnaire. Si réagir contre la politique menée durant les années récentes, celle qui a mis à mal notre mode de vie et semé la ruine dans notre économie – si c’est cela, être réactionnaire – alors nous sommes réactionnaires, et avec nous la vaste majorité du peuple britannique. Cette majorité est convaincue que l’État est doté de beaucoup trop de pouvoirs – sentiment, en effet, que la jeune génération a exprimé au début de la semaine. Elle est également convaincue, comme nous le sommes, que le gouvernement ne connaît pas toutes les réponses, qu’il a minoré le rôle de l’individu et musclé celui de l’État. Nous ne croyons pas du tout que si vous réduisez la somme des activités du gouvernement, vous diminuez son autorité. Bien au contraire un gouvernement qui en ferait moins travaillerait mieux, et du même coup consoliderait son autorité. Notre démarche a été définie en termes simples il y a des siècles de cela par un sage chinois qui prodigua ce conseil : « Gouvernez une grande nation comme vous cuisineriez un petit poisson. Ne forcez pas trop la cuisson. »
Si vous posez la question de savoir si le prochain gouvernement conservateur réduira les contrôles et les réglementations, et s’il se mêlera le moins possible de la vie des gens, je vous répondrai : « Oui, c’est exactement ce que nous avons l’intention de faire. » La meilleure façon de tenir tête au socialisme pur et dur, ce n’est pas de donner dans le socialisme à l’eau de rose, c’est de proposer un conservatisme authentique. Pendant treize ans à compter de 1951, nous avons rogné les pouvoirs de l’État. Demandez à ceux qui se souviennent de cette période ce qu’ils ont préféré : le progrès régulier de la prospérité, ou bien l’incandescente stagnation de MM. Wilson et Callaghan ?