Extrait de Aux sources de l’Inde, l’initiation à la connaissance, de Nicole Elfi (2008), début du chapitre “La terre la plus cultivée” :

Nicole Elfi, Aux sources de l’Inde. L’initiation à la connaissance, Les Belles Lettres, 2008, 192 pages, 19,30 €
Le devoir sacré
Si c’était le devoir sacré des Maîtres de transmettre la connaissance et de guider l’étudiant à sa réalisation, il était celui des rois et des autorités de subvenir aux besoins de leurs savants, de leurs étudiants, leurs enseignants et chercheurs. De larges sommes étaient consacrées à l’éducation. Ceux qui n’avaient pas accès aux études védiques pouvaient recevoir la sagesse des Védas et des Upanishads au temple, où étaient organisées de fascinantes récitations du Râmâyana, du Mahâbhârata et des nombreux Purânas « afin que tous puissent entendre ». Ces séances commençaient à la tombée du jour et se déroulaient nuit après nuit pendant plus d’une semaine, village après village. Des récitants, érudits ou étudiants formés à cet effet, ont ainsi distillé le Dharma et propagé la culture de génération en génération à toutes les couches de la société. « La richesse des richesses est l’oreille, elle dépasse tout… même illettré, écoute, tu y trouveras un suprême réconfort dans la difficulté [1]» ; disait le grand poète tamil Tiruvalluvar. Les foules ne se faisaient pas prier.
Selon les anciens sages, tout le propos de l’éducation était une vie plus large au-delà de cette vie apparente. C’était la découverte d’une profondeur qui est la réalité humaine, sans laquelle l’homme se sent étranger à lui-même. Mettre l’enfant en rapport avec cette dimension afin qu’il puisse s’y épanouir était le but de l’éducation indienne : « puissé-je voir et entendre clairement et abondamment », telle est la prière répétée des Upanishads ; « puissent nos yeux voir le bon, nos oreilles entendre le bon ». Le but n’était pas seulement de fournir à l’intellect des informations, de former ce dernier à les recevoir et à les traiter, mais de l’entraîner à cultiver le silence. Les sages s’intéressaient à la source de toute connaissance : pour obtenir la maîtrise du savoir et des sciences, ils avaient vu qu’il fallait « conquérir le mental et plonger dans l’océan du cœur[2] ». L’éducation suivait ce modèle.
Un système efficace
Jusqu’au XVIIIe siècle, un enfant étudiait cinq à quinze ans durant, et la plupart des villages avaient au moins une école. Filles et garçons, particulièrement des communautés d’ouvriers, d’agriculteurs et de commerçants, remplissaient ces écoles. « Il n’y a guère de village, grand ou petit, […] qui ne compte au moins une école, et davantage dans les plus grands villages ; elles sont nombreuses dans chaque ville et dans chacun de ses quartiers, où il est enseigné aux jeunes du pays la lecture, l’écriture et l’arithmétique selon un système si économique, moyennant une poignée ou deux de grains, au maximum une roupie par mois au maître d’école, en fonction des moyens des parents ; et un système en même temps si simple et efficace qu’il n’y a guère de cultivateur ou de petit marchand qui ne soit compétent dans le maintien de ses propres comptes, et ce avec une précision qui va à mon avis au-delà de ce que nous trouvons parmi les basses classes dans notre propre pays[3]… » Ainsi s’exprimait, en 1821, G.L. Prendergast, membre du Conseil de la province de Bombay, à l’occasion d’un recensement britannique des institutions pédagogiques en Inde. (Pages 89 à 92)
[1] Kural, 411 et 414.
[2] Ram Swarup, On Hinduism (New Delhi : Voice of India, 2000), p. 169.
[3] Cité par Dharampal in The Beautiful Tree (Coimbatore : Keerthi Publishing House & AVP Printers & Publishers, 1995), p. 58.