Érasme à la folie


Érasme de Rotterdam (1469-1536) manifesta dès sa jeunesse des talents exceptionnels de philologue, de pédagogue et de pamphlétaire. Ses contemporains le qualifiaient de « prince des humanistes », car il avait remis la culture grecque antique à la disposition des lecteurs de son temps, grâce aux Adages. Mais la violence de ses critiques contre les abus de l’Église lui valut d’être condamné par l’Index du concile de Trente (« Érasme a pondu les œufs que Luther a couvés »), si bien que la plupart de ses œuvres disparurent des rayons des libraires pendant près de cinq siècles.

Nous venons publier une nouvelle édition et traduction par Jean-Christophe Saladin du livre le plus célèbre de la Renaissance, L’Éloge de la folie
formidable machine de guerre lancée – non sans humour – par Érasme contre les vices de ses contemporains, particulièrement ceux de l’Église romaine et de ses théologiens. 


Érasme en pleine forme

Les textes latin et français sont composés en Monotype Poliphilus,caractère gravé par Stanley Morison en 1923 et ayant comme modèle le caractère de l’Hypnerotomachia Poliphili d’Alde Manuce (1499). Pour l’italique nous avons utilisé le Monotype Blado, du même graveur, inspiré d’une scripte du calligraphe Ludovico Arrighi. Enfin, le grec est composé en Monotype Greek 90, gravé en 1910 et inspiré du caractère grec des Didot. Ce volume relié sous couverture toile a été composé par l’Atelier Fluxus Virus et imprimé en France sur les presses de l’imprimerie SEPEC.

La mise en page reproduite à partir de l’édition latine de Johann Froben en 1515 permet au lecteur de s’orienter plus aisément dans les différents niveaux de textes. Ainsi, vous trouverez sur la page de gauche le texte latin et les notes d’Érasme et de Listrius, et sur la page de droite la traduction du texte encadrée de la traduction de ces annotations et commentaires. En tout bas de page, lorsque nécessaire, Jean-Christophe Saladin a ajouté ses propres notes.

Il avait été convenu que Listrius joindrait à l’Éloge des annotations. Comme il ne faisait que promettre et que le temps pressait, pour lui ouvrir la voie je commençai à noter brièvement certaines choses qui devaient être traitées plus longuement par lui. Comme même cela ne réussissait pas à le mettre en branle et que déjà l’atelier réclamait le texte original, je fus forcé de continuer jusqu’à ce qu’enfin il y mette la main. Puisque l’œuvre était donc en partie de lui et que je devinais que le jeune homme en ambitionnait la gloire pour émerger plus facilement, de quelle humanité aurait-ce été à la fois de le frustrer de ce qu’il désirait et de revendiquer pour moi un tout qui en bonne partie m’était étranger?

Lettre d’Érasme à Martin Bucer, citée page XVII de l’introduction

Reproduction en fac-similé de la page de titre de l’édition de Froben, et de la première page de l‘Éloge – pages 164-165 de notre édition

Nous reproduisons de plus, en fin de volume, dans leurs dimensions originales, la série complète des dessins exécutés par les frères Holbein en 1515 dans les marges de l’exemplaire de l’Éloge de la Folie appartenant à leur professeur Myconius. Ce précieux exemplaire, dont un facsimilé a été publié en 1931, est conservé au Kupferstichkabinett de Bâle. Nous avons ajouté à chaque dessin un titre explicite (entre crochets),ainsi que les quelques lignes du texte qu’il illustre — provenant tantôt de l’Éloge lui-même, tantôt des notes de Listrius, en indiquant leur emplacement dans la présente édition. Les remarques de Myconius sont composées en rouge, car elles apparaissent ici pour la première fois.

Les deux frères Hans et Ambroise Holbein, âgés respectivement de 18 et 21 ans, suivaient en 1515 l’enseignement de Myconius, bon ami d’Érasme, à l’école Saint-Théodore-et-Saint-Pierre de Bâle. Le professeur leur prêta son exemplaire personnel de l’Éloge, fraîchement imprimé et qui contenait les tout nouveaux commentaires de Listrius. Ils le lui rendirent une semaine plus tard. […]

Rien ne permet de savoir la part qui revient à chacun des deux jeunes artistes dans les dessins, car ils ont été exécutés à la plume avec plusieurs encres (noir et brun, rehaussés de rouge et de bleu). En revanche, on remarque que la dernière série de dessins est exécutée en noir seulement. Ils avaient déjà une solide pratique de la perspective et du nu, ainsi qu’un talent de portraitistes. La vivacité de leur trait les situe dans la mouvance des grands maîtres du genre, Urs Graf ou Dürer. […]

Outre les magnifiques dessins de Holbein, les marges de l’exemplaire de Bâle sont truffées de remarques à la plume, dues à Myconius lui-même. Cet humaniste (Oswald Geisshüsler, natif de Lucerne) était proche de Zwingliet il passa par la suite à la Réforme. C’est lui qui prononcerait l’éloge funèbre d’Érasme lors de son enterrement à la cathédrale de Bâle.

Extraits de l’introduction de Jean-Christophe Saladin

La Flatterie 

Extrait de l’Éloge de la folie, traduit par Jean-Christophe Saladin

N’allons pas plus loin. Vous voyez, je pense, combien Vanité procure partout ses plaisirs à l’ensemble des mortels et à chacun d’entre eux. Sa sœur Flatterie lui ressemble fort. En effet, la vanité n’est rien d’autre que se flatter soi-même, et si on flatte les autres, c’est de la kolakia. Cependant la flagornerie est mal vue de nos jours, du moins par les gens qui attachent plus de valeur aux mots qu’aux réalités elles-mêmes. Ils estiment que la loyauté est incompatible avec la flatterie. Pourtant, de nombreux exemples, dont celui des animaux, leur démontreraient le contraire. Qu’y a-t-il de plus flatteur que le chien et aussi de plus fidèle ? de plus affectueux que l’écureuil et en même temps de plus ami de l’homme ? sauf à considérer que les lions farouches, les tigres féroces ou les irritables léopards sont plus utiles à la vie humaine ? Il y a bien une adulation, assurément perverse, que certains méchants et moqueurs utilisent pour perdre leurs victimes. Mais celle qui vient de moi naît de la bonté et de la candeur. Elle est beaucoup plus proche de la vertu que son contraire, la brusquerie morose et sauvage, comme dit Horace.

Elle relève les esprits abattus, adoucit les tristes, stimule les paresseux, anime les engourdis, soulage les malades, calme les furieux, rapproche les amoureux et les maintient unis. Elle encourage l’enfance à aimer l’étude des lettres, déride les vieillards, instruit et admoneste les princes sans les blesser, car elle enrobe ses conseils et ses leçons sous des airs de louanges. En somme, elle rend chacun plus agréable et plus cher à soi-même, et c’est l’essentiel du bonheur. Quoi de plus aimable que deux mulets qui se grattent mutuellement ? J’ajouterai que la flatterie constitue une grande partie de cette fameuse éloquence que l’on célèbre tant, une partie plus grande encore de la médecine, et au plus haut point de la poésie. Finalement,elle est le miel et le condiment de toutes les relations humaines.


Érasme, Éloge de la folie

Accompagné des notes d’Érasme, de Listrius et de Myconius, traduites pour la première fois, et des 82 dessins originaux de Holbein

Édition bilingue par Jean-Christophe Saladin

Livre relié, couverture toile, 16 x 24,8 cm, XXX + 388 pages, bibliographie et illustrations en couleur, en librairie depuis le 5 octobre 2018. 75 €


Érasme, aux Belles Lettres

Les Adages, une première mondiale

« Une merveille d’élégance et d’intelligence, une fête du cœur et de l’esprit. »
Le Monde des livres

L’Éducation du prince chrétien (ou l’art de gouverner


 Un court traité de politique à l’usage du jeune Charles-Quint.

 » Cette traduction, la première depuis cinq cents ans, est une révélation. » Le Figaro Histoire


Jules, privé de paradis !

Petit traité de machiavélisme, dialogue joyeux, élégant et érudit entre le pape Jules II et Saint Pierre.

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