Nouvelle source du monde monastique médiéval : La Fondation de l’Abbaye de Vaucelles

Le 56e volume de la collection des Classiques de l’Histoire du Moyen Âge est dédié au texte attribué à Foulques de Cambrai, La Fondation de l’Abbaye de Vaucelles. Le texte latin présenté en vis-à-vis du texte français, a été édité, traduit et commenté par Benoît-Michel Tock, professeur d’histoire du Moyen Âge à l’université de Strasbourg.


[Re]découverte d’un texte inédit

Extrait de l’introduction de Benoît-Michel Tock

Malgré l’abondance des sources relatives au monde monastique médiéval, les descriptions concrètes, quotidiennes, presque prises sur le vif, de la vie des moines sont relativement rares. De manière très étonnante, un document tout à fait passionnant, riche de très nombreuses informations sur un monastère cistercien, avait échappé jusqu’à présent, sinon à l’attention des historiens pré-révolutionnaires, du moins aux travaux du XIXe  et du XXe siècle. Intitulé Fundatio abbatiae de Valcellis, il porte sur l’histoire de l’abbaye cistercienne de Vaucelles, près de Cambrai, sous son premier abbé (1132-1151) et livre de nombreux renseignements neufs sur l’histoire de cette abbaye, et plus largement sur la vie cistercienne dans les décennies 1130 et 1140.

Composition du volume et contenu


Le respect du matériel monastique

Extrait de la traduction de Benoît-Michel Tock, pages 91-93. Pour plus de lisibilité en ligne, les notes de bas de pages ne sont pas rendues ici.

54. Il invectivait durement ceux qui maltraitaient les biens du monastère, quelle que fût leur nature, se plaignant que quelques négligents ne se soucient pas de conserver les biens nécessaires au monastère qu’il obtenait, lui, au prix d’une grande angoisse. Souvent aussi il racontait qu’alors qu’il était dans le monastère de novices, il avait demandé à son maître, Guillaume, qui par la suite devint le premier abbé de Rievaulx, combien de temps il devait garder ses bottes. Et l’autre lui avait répondu : « Ces bottes devraient te suffire pendant dix ans ! ». Quelquefois aussi il rappelait aux négligents cette anecdocte des actes des pères, dans lesquels on lit qu’un frère avait été exclu de la prière parce qu’il avait laissé tomber de sa main trois grains de lentilles qu’il préparait hâtivement pour la cuisson. Être exclu de la prière, nous ne comprenons pas cela autrement que selon ce que dit saint Benoît : « Le frère qui est considéré comme coupable d’une faute plus lourde sera exclu de la table et en même temps de l’oratoire ».  Si donc pour  un si petit dommage une peine aussi lourde est imposée, que faut-il il penser de tous les dommages qui arrivent chez nous tous les jours, comme la casse ou la perte des outils, des pièces de métal, des vêtements et des autres choses ? Pour cette raison l’abbé Raoul, instruit par cet exemple et ému par l’extrême incurie des négligents qui entre autres dégâts dus à leur négligence brûlaient leurs chaussures lorsqu’ils se réchauffaient, décida que ceux qui brûleraient leurs chaussures devraient faire pénitence au pain et à l’eau pendant trois vendredis, ou, selon ce que disent certains, un vendredi. On dit aussi qu’après avoir imposé cette peine l’abbé lui-même fut le premier à faire preuve de cette négligence, et fut aussi le premier à subir cette peine qu’il avait imposée à ceux qui lui étaient soumis. Car il n’était pas de ceux « qui disent et ne font pas, qui fixent des charges lourdes et insupportables et les imposent sur les épaules des hommes mais ne veulent pas les bouger de leurs doigts ». Au contraire, il était vraiment disciple et vicaire de celui dont il est écrit que « Jésus commença à faire et à enseigner ». Lorsqu’il marchait, peu importe où, et qu’il voyait quelque chose qui traînait négligemment par terre, comme une brique ou quelque chose de ce genre, il ne passait pas outre mais se penchait, le ramassait de sa main et le déposait à l’endroit approprié. En hiver il critiquait ceux qui laissaient de l’eau dans les écuelles et leur ordonnait de vider celles- ci pour ne pas qu’elles soient brisées par le gel. Comme beaucoup graissaient leurs chaussures plus souvent qu’il n’était nécessaire, il fixa un terme de 40 jours, interdisant que quelqu’un ose graisser ses chaussures avant la fin de ce délai sauf si entre temps elles devaient être réparées ; et cela est encore observé chez nous de nos jours. Il jugeait aussi que ce travail, et d’autres semblables, devaient plutôt se faire par temps de pluie, quand la communauté ne peut sortir. Aussi à l’époque la coutume était-elle qu’au moment du travail le prieur, ayant frappé la cloche, se tienne devant la porte du parloir  et dise à tous : « Si quelqu’un a besoin de faire quelque chose, qu’il le fasse ». Et alors les uns graissaient leurs sandales, les autres lavaient leurs guêtres, d’autres encore réparaient leurs vêtements, bref chacun faisait ce qui lui était nécessaire.


Pistes

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