
Katia Buffetrille, anthropologue et tibétologue, se rend chaque année au Tibet depuis plus de trente ans, où elle étudie en particulier les pèlerinages des Tibétains autour des montagnes sacrées. Au cours de ses années de recherche à l’École pratique des Hautes études, elle a écrit et édité de nombreux livres et articles, parmi lesquels Pèlerins, lamas et visionnaires, Le Tibet est-il chinois ? (avec Anne-Marie Blondeau) et Revisiting Rituals in a changing Tibetan world.
Rencontrez Katia Buffetrille, à l’occasion du lancement de son livre :
Jeudi 26 septembre 2019 à 18h à la Librairie L’Harmattan (Paris 5e)
Samedi 28 septembre 2019 à 17h à la Librairie Le Phénix (Paris 3e)
Pourquoi s’intéresser aux XVIIe et XVIIIe siècles tibétains ?
Pourquoi s’intéresser spécifiquement aux XVIIe et XVIIIe siècles tibétains, pensera le lecteur ? En quoi ces deux siècles méritent-ils que le présent guide leur soit consacré ? La raison en est que cette période fut cruciale dans l’histoire du Tibet.

Réunifié partiellement pour la première fois depuis le XIIIe siècle, le Pays des neiges allait connaître au XVIIe siècle une grande stabilité politique, marquée par la personnalité du Ve Dalaï-Lama et l’hégémonie de l’école bouddhique des Gélukpa à laquelle il appartenait, ainsi que par une activité intellectuelle et artistique foisonnante qui se poursuivit au cours du siècle suivant. Le « Grand Cinquième », chef religieux mais aussi politique du Tibet, instaura un système particulier de gouvernement fondé sur l’union de l’autorité spirituelle et du pouvoir temporel et doté, sous le VIIe Dalaï-Lama, de structures gouvernementales qui perdurèrent quasiment en l’état, jusqu’à l’invasion chinoise des années 1950. Lhassa devint dès lors le centre de l’autorité politique du pays, et le Potala, nouveau palais forteresse dominant la ville, le symbole de ce pouvoir. Le Tibet était alors ouvert sur l’extérieur et de nombreux étrangers y venaient en pèlerinage ou pour commercer. Les arts et les lettres, la science et la pratique médicales, connurent leur apogée.
Si le choix de ces deux siècles s’explique par cette remarquable effervescence, il relève quelque peu du défi lorsqu’on sait combien, sur certains sujets, la documentation est souvent inexistante, parfois contradictoire ou, au mieux, divergente.
De nombreux clichés courent aujourd’hui encore sur ce pays et ses habitants. Ce guide a pour ambition de corriger certaines idées fausses et de montrer, alors que la civilisation tibétaine est gravement menacée par les politiques de colonisation de plus en plus intensives menées par l’État chinois, comment les Tibétains ont su bâtir sur leur propre socle une civilisation originale, remodelant pour les approprier les emprunts faits à leurs grands voisins que sont l’Inde et la Chine.
(Extrait de l’introduction)
Comment utiliser ce guide ?
Il est, certes, possible de lire ce livre chapitre après chapitre, pour découvrir un panorama de la société tibétaine ; mais il est aussi conçu pour que le lecteur puisse y trouver rapidement (et en extraire) des informations précises sur un sujet qui l’intéresse. Il est donc conseillé :
– de se reporter au sommaire : chaque chapitre est divisé en rubriques (avec des renvois internes) qui permettent de lire, dans un domaine choisi, une notice générale. En outre, les autres rubriques du chapitre complètent l’information. Au début de chaque chapitre, une introduction situe le sujet dans une perspective différente, illustrant la société et les mentalités tibétaines ;
– d’utiliser l’index à partir duquel, sur une notion générale, un terme technique, voire un personnage, il est possible de réunir, à travers l’ensemble du livre, plusieurs données complémentaires.
Une bibliographie choisie permet, dans un premier temps, de se reporter à des ouvrages récemment parus pour y commencer une recherche. Tous offrent, sur le sujet qu’ils traitent, une bibliographie plus ou moins riche.
Enfin, les tableaux de synthèse, les cartes et graphiques pourront aider à visualiser et mieux retenir les informations désirées.
(Cf. Table des cartes, tableaux et encadrés en fin de sommaire.)

Sommaire et résumés
I. HISTOIRE
L’introduction du bouddhisme au VIIe siècle puis son adoption officielle constituèrent les événements décisifs qui allaient donner à la civilisation tibétaine son aspect si original. Le pays exerça une influence culturelle et religieuse sur les peuples voisins, en particulier les Mongols, une influence qui conduisit le chef des Mongols Qoshod à soutenir au XVIIe siècle, son maître religieux, le Ve Dalaï-Lama, qui devint alors le chef temporel et religieux du Pays des neiges.
II. ESPACE TIBÉTAIN
L’immense étendue que constitue le plateau tibétain avec ses 2 500 000 km2 abritait aux XVIIe et XVIIIe siècles une population clairsemée d’agriculteurs et de pasteurs nomades. Les terres agricoles les plus fertiles s’étendaient le long du fleuve Tsangpo. Lhassa, devenue le centre du pouvoir d’un Tibet partiellement réunifié, attirait de nombreux étrangers. Les régions du Kham et de l’Amdo, tout en conservant des liens religieux et culturels avec le Tibet central, connaissaient des organisations politiques diverses.
III. ORGANISATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE
Le XVIIe siècle vit le Ve Dalaï-Lama devenir le chef spirituel et temporel de tous les territoires conquis par Gushri Khan. Il mit en place un gouvernement fondé sur l’union de l’autorité spirituelle et du pouvoir temporel qui perdurera, avec des fortunes diverses, jusqu’à l’invasion chinoise des années 1950.
IV. LA SOCIÉTÉ ET L’ÉCONOMIE
La société tibétaine, essentiellement agricole, était très hiérarchisée et vivait d’une production de subsistance. Il existait au Tibet un monachisme de masse et seule la voie monastique pouvait offrir une mobilité sociale. Le pays était alors ouvert sur l’extérieur et le commerce était florissant.
V. LE TEMPS
Le temps pour les Tibétains se déroule sous une forme cyclique, selon des successions de périodes plus ou moins longues (kalpa) se renouvelant éternellement.
VI. LES RELIGIONS
Deux traditions religieuses coexistent au Tibet depuis les Xe-XIe siècles : le bouddhisme et le bön. À cela, il faut ajouter les croyances et coutumes de la tradition indigène qui ont perduré au cours des siècles, bien que souvent très bouddhisées.
VII. LA VIE INTELLECTUELLE
Vieille de plus de mille trois cents ans, la création littéraire tibétaine est non seulement d’une richesse exceptionnelle mais aussi d’une extrême variété. À la fois orale et écrite, elle est restée longtemps ignorée de l’Occident.
VIII. LES ARTS
Les arts étaient, au Tibet, difficilement dissociables de la pratique religieuse dont ils étaient des outils importants.
IX. LES LOISIRS
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’année était rythmée par des fêtes qui se déroulaient à des dates précises du calendrier tibétain. À Lhassa, elles visaient au bien-être de l’État et de l’Église bouddhique, mais aussi à rehausser la grandeur du nouveau régime et à en assurer la légitimité. Il existait aussi des fêtes populaires ainsi que des rituels festifs locaux propres à certains endroits.
X. VIE PRIVÉE
Trois principes sous-tendaient la famille tibétaine : la résidence était patrilocale, la filiation patrilinéaire et le principe de primogéniture était respecté.

Extrait : Caractère sacré du livre
Les monastères étant les centres de la vie culturelle, on ne sera pas étonné d’apprendre que tous contenaient des livres (en général des volumes du Kagyur et du Tengyur, parfois le canon complet), mais les monastères importants pouvaient avoir des bibliothèques possédant jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’ouvrages.
Comme dans beaucoup de pays de culture bouddhique, les livres ne sont pas toujours copiés ou imprimés pour être lus. Leur simple présence dans un lieu est importante, car ils symbolisent la parole du Bouddha. De fait, au Tibet, tout livre est sacré. Toute feuille imprimée est objet de respect et de vénération : on ne doit ni la laisser traîner à terre, ni l’enjamber, et, bien entendu, on ne la jette jamais. Lorsqu’un livre est trop abîmé pour continuer à être consulté, on dépose les folios, même dépareillés, à l’intérieur d’un stupa. Le caractère précieux d’une feuille comportant des écritures bouddhiques explique la coutume de les utiliser comme amulettes de protection. Ces feuilles sont parfois brûlées, et la cendre mélangée à de l’eau est bue pour obtenir une guérison ou une protection particulière. Celui qui reçoit un livre en présent l’accepte sur la paume de ses mains tendues, puis le pose sur la tête en signe de bénédiction. Peu importe que l’on soit illettré ou pas : un ouvrage religieux déposé sur l’autel confère à la maison et à ses habitants une protection supplémentaire.
La copie ou l’impression de livres pouvait résulter d’une volonté d’accumuler des mérites et, en général, les livres n’étaient pas vendus mais offerts ou distribués. Le patronage des élites en ce domaine fut particulièrement important, mais ne doit pas faire oublier les copies réalisées à la suite de demandes individuelles.

Monastère de Driraphuk au Kailash
Occasionnellement, quand se présentent des pèlerins érudits, on imprime sur demande quelques copies de ce guide [du Kailash]. C’est un fait qu’au Tibet, les livres sont innombrables : la plupart des monastères les plus importants possèdent ou du moins possédaient leur imprimerie, ne fût-ce que pour éditer l’unique chronique du couvent ou les biographies des lamas les plus connus qui y vécurent ou y méditèrent. Chaque livre est représenté par un nombre de tablettes en bois sur lesquelles chaque page a été gravée d’une écriture nette et minutieuse par des experts en calligraphie et des moines assidus. Celui qui désire un exemplaire d’un ouvrage s’adresse à l’atelier du monastère, apporte son papier et, dans ce cas-là, un moine qualifié imprime le volume dans son intégralité, feuille après feuille. Si l’on ne fournit pas le papier, il s’avère souvent difficile de se procurer les copies désirées. (Giuseppe Tucci, Sadhus et brigands du Kailash, op. cit., p. 158.)
Extrait 2 : rites funéraires
Le Tibet connaissait diverses formes de funérailles selon le statut social de l’individu, la cause de la mort et les coutumes régionales. On peut les classer en fonction des quatre éléments : l’inhumation (la terre) ; le don aux oiseaux ou démembrement (chator, l’air) ; l’immersion (l’eau) et la crémation rituelle (feu). Certains auteurs considèrent que la coutume de donner les corps aux oiseaux aurait été empruntée à l’Iran, mais on ignore à quelle époque.
La dessiccation était réservée aux très grands maîtres comme le dalaï-lama et le panchen-lama, leur corps étant ensuite déposé dans un stupa.
L’inhumation était rare et généralement pratiquée dans le cas de mort à la suite de maladie contagieuse (comme la variole). L’immersion (corps cousu dans une peau) était réservée le plus souvent aux indigents et à ceux qui avaient succombé à la lèpre. Le don aux oiseaux était et est toujours la méthode la plus courante pour les gens ordinaires dans nombre de régions du Tibet. Quant à la crémation, elle était et est encore réservée aux grands lamas, car c’est le procédé funéraire le plus valorisé, celui qui a été utilisé pour les funérailles du Buddha.
Les funérailles des enfants étaient différentes de celles des adultes. Ils étaient souvent abandonnés dans la montagne ou dans un cours d’eau, parfois enterrés. Il arrivait aussi que le corps d’un nouveau-né soit emmuré, ou bien placé dans une jarre qui était scellée et déposée dans la chapelle ou dans la resserre. Le but, dit-on, était soit de conserver la « bonne fortune » (yang) de l’enfant (cf. « Croyances et rites indigènes », chap. VI), soit de le faire renaître dans un délai proche dans la même famille.

Se procurer ce guide

Katia Buffetrille, L’Âge d’or du Tibet (XVIIe et XVIIIe siècles)
Guide Belles Lettres des Civilisations, n° 39
13,5 x 21 cm, 320 pages, index, bibliographie, illustrations en noir et blanc, cartes
19 € – En librairie le 20 septembre 2019

À consulter également :
Globale et inédite, l’histoire du Tibet et de son peuple. Traduit par Thierry Lamouroux, 2015.
Les Guides Belles Lettres des Civilisations proposent un voyage dans le temps et l’espace (Égypte, Grèce, Rome, Inde, Chine, Japon) et s’adressent aux étudiants, aux curieux d’histoire et de civilisations, aux voyageurs… Ouvrages pratiques et raisonnés de culture générale sur les principales civilisations anciennes qui nous ont laissé une trace écrite, ils proposent au lecteur les clés nécessaires pour comprendre un texte ancien ou un livre d’histoire, ils l’aident à en déchiffrer les allusions, à en élucider les difficultés.