D’où vient l’esprit du temps par-dessus lequel nul ne peut sauter ? Extrait du Jeu du monde, de Kostas Axelos

Paru pour la première fois en 1969, Le Jeu du monde, livre majeur de Kostas Axelos, se présente aujourd’hui plus actuel que jamais. Les grandes puissances à travers lesquelles se joue le jeu du monde sont celles qui relient l’homme au monde – mythes et religion, poésie et art, politique, philosophie, sciences et techniques – elles-mêmes mises en mouvement par les forces élémentaires : le langage et la pensée, le travail et la lutte, l’amour et la mort, ainsi que le jeu de l’homme, joueur déjoué.

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Une fabrication soignée, en cahiers cousus et collés sous couverture souple à larges rabats, un ouvrage composé et imprimé en France.

Être de son temps, de son époque ? Comment ne pas l’être ?

Extrait des pages 15 et 16.

Si toutes les grandes puissances dérivent du même centre, quel est et où est ce centre ? Il est plus facile de le délimiter négativement que positivement. Ce centre n’est pas l’esprit d’une époque, d’un peuple, d’une société ou d’un temps, car d’où surgirait-il, lui, cet esprit ? Il ne réside pas dans l’histoire économique et politique, le développement des forces productives et structurantes, car où résiderait la source de ce mouvement dialectique ? Il n’est ni l’idée ou l’esprit absolu ou historique, ni la matière cosmique ou la matière du travail humain, sans être pour cela la jonction de l’esprit et de la matière, de l’idée et de la réalité. Le foyer un, à partir d’où se développent les grandes puissances multiples, se cache pour ainsi dire derrière et en elles, encore qu’il les rende visibles et qu’elles le rendent « visible », mais incontournable. Si religion, art, politique, philosophie, sciences ont une structure commune à la totalité d’une époque et d’une société dont ils sont les actualisations sur un certain registre, d’où vient donc la structure dite globale qui fait jaillir ou rassemble les correspondances ? Privilégier l’une ou l’autre de ces puissances, la voir comme déterminante – tantôt d’une manière générale, tantôt selon les cas –, peut se faire et se fait, s’affirme et s’infirme. Cela ne résout cependant pas le problème, ne le pose même pas, et reste trop unilatéral. Encore une fois : d’où vient l’« esprit du temps » par-dessus lequel nul ne peut sauter ? Et même si tout ou chacune des puissances exprime l’époque, comment s’imprime-t-elle, l’époque ?

Les grandes puissances forment une totalité en cours, sans centre ou foyer, origine ou moteur, source ou noyau, fondement ou principe qui limiterait le jeu de leur structure. Ce non-centre – non existant ou non décelable, si la question suit cette formulation – n’est pas un manque ou une perte, mais le jeu lui-même qui joue aussi à la recherche du centre.

Le centre de toute époque qui se dissimule dans la suspension de l’époché, est-il quelque chose comme une cause de la structure de l’ensemble – une cause absente ?

C’est ce ou celui qui est le plus près d’un centre qui est en même temps ce ou celui qui en est le plus loin. Le philologue est aussi loin de la parole poétique et pensante que le philosophe l’est de la pensée et l’homme d’Église du sacré ; le physicien n’est pas plus près de la nature que le psychologue ne l’est de l’âme humaine et l’historien de l’historicité ; un fossé difficilement franchissable sépare le politique de la cité et le technicien du secret de la technique. C’est pourtant dans la proximité de leurs exponentielles foncions – sinon de leurs fonctionnaires – que se cache la lointaine présence de ce qui « essaie » de se frayer un chemin.

Faut-il que tout s’insère dans « son » temps pour qu’il puisse s’insérer dans le temps ? Et tout ce qu’une époque ne peut assumer et rejette, que d’autres reprennent et font retentir ?

Être de son temps, de son époque ? L’être. – Être de son temps, de son époque ? Ne pas l’être. – Être de son temps, de son époque ? Comment ne pas l’être ?

Qu’est-ce que ce qui est dans l’air ?


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Né à Athènes en 1924, Kostas Axelos a participé à la Résistance et à la guerre civile avant de s’installer en 1945 à Paris. Après des études de philosophie à la Sorbonne, il y enseigna de 1962 à 1973. Ses œuvres ont été traduits en plusieurs langues. Il est mort à Paris le 4 février 2010. Le Jeu du monde est  le sixième de ses ouvrages publiés dans la collection « Encre Marine ».

Ce qui advient, En quête de l’impensé, Le Destin de la Grèce moderne, Une pensée à l’horizon de l’errance, Marx, penseur de la technique : Découvrez tous ses livres à ce lien >

 


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Kostas Axelos, Le Jeu du monde [1969], Les Belles Lettres, collection Encre Marine, janvier 2018, 16 x 22,5 cm, broché sous couverture à rabats, 472 pages, bibliographie, 1 carte, 35 € – En savoir plus, commander >

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