L’Horloge de la sagesse : traduction illustrée d’un classique de la mystique rhénane

L’ouvrage le plus lu d’Henri Suso, disciple de Maître Eckhart, l’une de ses seules œuvres latines depuis longtemps inaccessible en français, est aujourd’hui publiée avec une sélection de son iconographie (27 reproductions en couleur) dans une édition menée par Marie-Anne Vannier, Jean-Claude Lagarrigue et Monique Gruber.

Dans cet article retrouvez une présentation des auteurs, deux extraits de l’introduction ainsi qu’un chapitre illustré à feuilleter au format, puis un point sur les dernières parutions de la collection Sagesses médiévales. Bonne lecture !

Sagesse 1

Reproduction située page 19

Ainsi pourra-t-on voir dans cette nouvelle traduction comment Henri Suso propose un chemin spirituel, axé sur l’imitation du Christ dans sa Passion, dont L’horloge marque les différentes heures dans la journée. Avec cet ouvrage, qui reprend en latin le Petit Livre de la Sagesse éternelle, Suso se présente comme le Serviteur de la Sagesse éternelle et prépare déjà le tournant de la mystique rhénane à la Devotio moderna.
Pour la première fois, L’Horloge de la Sagesse est publié avec l’essentiel de l’iconographie qui lui a été consacrée, non seulement dans le manuscrit de Bruxelles, mais aussi dans nombre d’autres manuscrits, qui en scandent les différentes étapes.

Les auteurs

Henri SUSO (1295-1366)

Il est l’un des mystiques rhénans. Il passe la majeure partie de sa vie à Constance, où il entre au Couvent des Dominicains, avant d’être envoyé à Ulm en 1347/1348. Sa Vie est retracée dans l’Exemplar.

Marie-Anne VANNIER (Introduction)

Elle est professeur à l’Université de Lorraine, membre de l’Institut Universitaire de France, directrice de l’Équipe de recherche sur les mystiques rhénans. Parmi ses dernières publications : Encyclopédie des mystiques rhénans d’Eckhart à Nicolas de Cues et leur réception (dir.) (2011), Intellect, sujet, image chez Eckhart et Nicolas de Cues (dir.) (2014), Les visions d’Hildegarde de Bingen dans le Livre des œuvres divines (2015).

Jean-Claude LAGARRIGUE (Traduction du latin)

Il est agrégé et docteur en philosophie, est membre de l’Équipe de recherche sur les mystiques rhénans et professeur au Gymnase Jean-Sturm de Strasbourg. Il a notamment publié : Nicolas de Cues, La Docte Ignorance (2010), et Maître Eckhart, Commentaire du Livre de la Sagesse (Belles Lettres, 2015, avec J. Devriendt et M.-A. Vannier).

Monique GRUBER (Choix iconographique)

Elle est professeur agrégée d’histoire et membre de l’Équipe de recherche sur les mystiques rhénans. Elle a publié un certain nombre d’articles sur Henri Suso.

Extraits de l’introduction de Marie-Anne Vannier

Les notes présentes en bas de page dans l’ouvrage ont été ici retirées.

Un ouvrage original

Dès le Prologue, Henri Suso fait ressortir le caractère original de l’ouvrage qui lui a, en quelque sorte, été dicté à travers ses visions et qui tend à une double réhabilitation : celle de la Sagesse qui a été oubliée à son époque et la sienne propre, lui qui a été pris dans la tourmente du procès de Maître Eckhart.
On comprend dès lors pourquoi il écrit l’ouvrage en latin. C’est en effet un écrit officiel qu’il dédie au nouveau Maître de l’Ordre, Hugues de Vaucemain, qui le lui a peut-être demandé amicalement, en vue de lui donner l’occasion de se justifier, après l’avoir rétabli dans sa fonction de lecteur. Quelque temps plus tard, devenu prieur du Couvent de Constance, Suso lui envoie donc L’Horloge de la Sagesse. Le choix du latin tient peut-être aussi à ce qu’il s’adresse à ses Frères dominicains qu’il veut aider dans leur prédication, comme en témoignent les conseils qu’il leur donne à la fin du livre.
Henri Suso explique le point de départ de l’ouvrage en ces termes : « Il faut savoir que ce colloque entre la Sagesse et le disciple eut le commencement et l’occasion que voici : une fois, après matines, ce même disciple, selon sa coutume, venait de terminer d’imiter cette marche très amère que fit le Christ condamné, quand on le conduisit au lieu de la Passion  ; il était debout dans la chaire devant le crucifix et, l’âme dolente, se plaignait au Crucifié de n’avoir pas, de n’avoir jamais eu encore pour sa Passion un sentiment aussi fervent qu’elle le mérite ; aussitôt, comme ravi en extase, il est éclairé d’une lumière céleste, et cent méditations ou considérations de la Passion sont montrées aux yeux de son âme. Et il lui est dit que « chaque jour, il doit parcourir ces cent sujets dans une pieuse méditation, en faisant cent prostrations, ajouter autant de demandes, et, autant que possible, se conformer spirituellement, en ces mêmes choses, au Christ qui a souffert » (p. 43-44). C’est un chemin spirituel qui lui est proposé pour vivre la conformation au Christ. Ce chemin spirituel, il va le reprendre et le faire partager aux autres dans L’Horloge de la Sagesse, selon la formule bien connue de S. Thomas d’Aquin : Contemplata aliis tradere : transmettre aux autres les fruits de sa contemplation ; et, en finale, il en fera la synthèse, en proposant les Offices de la Sagesse, son Horologium, ce qui explique le titre de l’ouvrage. À considérer le livre dans son ensemble, force est de constater qu’il se fait l’écho des visions que Suso a eues, dans le cadre d’une mystique de l’union, comme l’Épouse du Cantique, avec la Sagesse éternelle, avec laquelle il est constamment en dialogue. Cependant, cet ouvrage n’est pas entièrement nouveau : il reprend certains éléments de la Vita (même si l’édition définitive de celle-ci intervient plus tard) et surtout du Petit Livre de la Sagesse éternelle. Mais il adopte un style plus abondant et moins schématique que dans ce dernier ouvrage, plus personnel et plus pastoral, aussi Ainsi se contente-t-il de faire allusion aux Cent brèves méditations dans le Prologue sans les reprendre in extenso. Il continue d’opter pour la méthode pédagogique qui suit un plan en vingt- quatre heures, mais il ne se prive pas d’y ajouter des ouvertures sur la vie politique et universitaire de son temps, ce qui donne du sel à l’ouvrage.

 Pourquoi le terme d’horloge ?

Comme l’a souligné Künzle , le titre reconnu, de manière unanime, est : Horologium sapientiae, ce qui a donné en français : Orloge de Sapience, Horloge de la Sagesse. Le disciple de la Sagesse éternelle explique, dès le Prologue, qu’il lui a été donné d’avoir « la vision, sous la forme d’une très belle horloge, décorée de magnifiques roses et ornée d’une variété de timbres sonores, rendant un son doux et céleste et élevant les cœurs », et qu’il lui a été alors conféré le nom de Frère Amandus (chap. VII), « celui qui est digne d’être aimé ». L’expression qu’il propose de cette vision, qui suit la cadence des heures et des Offices, montre que le titre de l’ouvrage, L’Horloge de la Sagesse, est particulièrement bien choisi.
On voit la fonction de l’horloge : elle est ce qui rythme de ses sonneries le cours de la journée, lui imprime une cadence, qui rappelle à chacun l’heure des Offices. S’ajoute à cela le fait qu’à l’époque de Suso, les horloges mécaniques et les horloges astronomiques font leur apparition, d’où l’intérêt de ses contemporains pour cette mécanique nouvelle qui peut servir, pour Suso, de métronome de la vie spirituelle, rythmée par la succession des Offices. Suso offre ici en annexe, et comme en troisième partie, un Cursus rénové, complètement refondu dans le sens d’une méditation de la Sagesse : c’est ce qu’il appelle le Cours de la Sagesse éternelle, qui doit rythmer la journée des Dominicains.
Pour mieux faire comprendre comment faire, il va lui-même diviser son livre en vingt-quatre chapitres comme les vingt-quatre heures de la journée : seize dans le premier livre et huit dans le second, une proportion qui n’est pas sans rappeler celle du jour et de la nuit.
La machinerie, qui sonne à intervalle régulier, interrompt ainsi la course du temps, pour passer à la louange qui, comme l’a souligné S. Augustin, anticipe déjà l’éternité.

Lamentation sur la ferveur de la dévotion éteinte…

Feuilleter le chapitre 5 complet au format, dans la traduction de Jean-Claude Lagarrigue et accompagné du choix iconographique de Monique Gruber >

Intérieur-suso

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À noter : la réimpression du Commentaire du Traité de l’Interprétation d’Aristote, de Thomas d’Aquin (édition 2004) est arrivée.

 

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