Leszek Kolakowski, lectures de Comment être socialiste-conservateur-libéral et autres textes

 

« Chaque jour, les journaux sont pleins de sinistres avertissements, beaucoup sont signés de personnes averties. Une seule chose est sûre : rien n’est certain, rien n’est impossible. »

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Prof. Leszek Kołakowski par Steve Pyke

Kolakowski le « sceptique inconséquent », par ceux qui l’ont lu

« Il faut être un très grand professeur pour atteindre cette aisance, pour se promener avec cette agilité dans la forêt des systèmes, et aussi un grand écrivain très spirituel et très drôle. » Alain Besançon, Adieu à Kolakowski, préface du présent ouvrage.

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 « Nous avons avec Kolakowski la fondation solide de cette modernité, avec la critique et l’esprit critique comme élément clé de cet esprit moderne. Ce n’est pas l’esprit qui nie, c’est l’esprit qui se pose toujours des questions, qui accepte la contradiction, pour pouvoir continuer d’avancer, ne pas rester figer, non pas parce que cela serait mal en soi, mais simplement parce que cela fait partie de la manière dont on peut être plus intelligent et donc plus heureux. Kolakowski, malgré une vie difficile, la vie de l’exil, est un philosophe du bonheur, un sceptique qui renvoie à l’idée qu’on peut être heureux avec la vie telle qu’elle est, dès lors qu’il y a exercice de la pensée. C’est un petit manuel que je conseille à tout le monde. » Laurent Bouvet, politologue

« Une très grande figure de l’intelligentsia polonaise en exil qui a beaucoup compté mais aussi une figure d’essayiste vraiment attachant, avec un humour, une fluidité d’écriture, une intelligence très vive qui est très plaisante. […] » Catherine Coquio, professeure de littérature comparée à Université Paris-Diderot

« J’ai été sensible à la vertu pédagogique de ce livre qui remet un peu de substance dans ce brouillage politique. Très facile à lire. » Ziad Gebran, Influences

« Une écriture limpide, concise, qui aide à clarifier les enjeux politiques en quelques textes assez courts. Je trouve cela brillant et à découvrir, même avec le décalage temporel. » Jean-Laurent Cassely, Slate

Ces quatre réactions se trouvent en ouverture de l’émission Disputes à revoir en intégralité ici. [18 premières minutes environ]

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« Depuis lundi, j’essaie de persuader les auditeurs de France Culture qu’un philosophe polonais, à peu près inconnu chez nous et mort depuis 8 ans mérite leur attention. […]

Mais j’ai toujours eu le sentiment que les Français étaient passés à côté de ce penseur polonais. Il avait pourtant tout pour leur plaire : une ironie souriante, le goût de la clarté, le refus des systèmes grandioses, la passion dapporter les Lumières là où règne l’obscurité, les préjugés et les terreurs irrationnelles. Le pétillement du regard évoquait Voltaire. La fermeté de la pensée et la précision du style – quelle que soit la langue dans laquelle il écrivait – rappelaient ce que nous avons eu de meilleur : Descartes, Diderot, Taine, Aron…

Et pourtant, ce sont les Anglais et les Américains qui l’ont accueilli et publié ; les Allemands, qui lui ont décerné les prix les plus prestigieux pour ses livres. Quelques-uns de ses articles avaient été publiés, dès les années 50 et 60, dans la revue Arguments. Une publication qui servait alors de refuge, sous la direction d’Edgar Morin et de Kostas Axelos, à des marxistes hétérodoxes et révisionnistes. Plus tard, c’est la revue libérale Commentaire qui a publié de nombreux textes de Kolakowski. Et ce sont précisément ces textes dont Les Belles Lettres ont entrepris la publication. Mais il faut le reconnaître, son auteur demeure largement méconnu dans l’Hexagone.

Est-il trop tard ? Sa pensée, nourrie en profondeur de l’expérience vécue des deux totalitarismes, est-elle devenue obsolète ? Je ne le pense pas. »

Brice Couturier, dans Le Tour du Monde des idées.

Le journaliste a consacré au philosophe, en mai dernier, 5 émissions de 5 minutes à réécouter en intégralité sur le site de France Culture.

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« Plutôt qu’un appel à la modération, nous préférons retirer de ces pages un éloge de la complexité, qui nous invite à nous délivrer des simplismes et des manichéismes offensants pour l’intelligence. La vraie leçon de Kolakowski, celle qu’il tire de la théodicée chrétienne (qui fait du Mal la condition de l’existence d’un Dieu d’amour) et de l’expérience communiste (qui fait du Bien la justification des moyens les plus infâmes), c’est que le politique est impuissant à faire le bonheur de l’homme. » Eugénie Bastié, Figaro Vox, article complet à lire ici.

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« Ni désespoir, ni solution définitive, telle est la recette sur laquelle il nous faut engager le renouveau politique et spirituel de l’Europe. C’est par là que la lecture de Leszek Kolakowski se révèle sans doute la plus féconde aujourd’hui, « réenchantant » le monde que nous habitons et nous intimant également l’obligation de soutenir les valeurs qui sont les nôtres. Un exercice de lucidité philosophique qui se veut en même temps l’affirmation d’un courage politique. » Perrine Simon-Nahum, L’Histoire, article complet à lire ici.

Extraits et citations

À travers les ruines mouvantes

« Nous supposons naturellement que demain sera assez semblable à aujourd’hui ; c’est, en fait, la manière la plus sûre de parcourir l’existence. Le plus souvent d’ailleurs, demain est effectivement très semblable à aujourd’hui : le soleil se lève, il ne neige pas l’été. […]  Dire simplement que tous les précédents empires se sont tôt ou tard écroulés est inutile, dénué de sens, dès lors que certains se sont solidement maintenus pendant des siècles. […] Mais aucun des faits, aucune des tendances qu’on pouvait observer – pas plus que l’ensemble de ces faits et de ces tendances réunis – ne pouvait justifier une prévision sur l’avenir immédiat. […] Pourquoi avons-nous eu raison, « nous », et ont-ils eu tort, « eux » ? Parce qu’ils ont fondé leurs prévisions sur le principe le plus sain, celui qui dit que demain sera très semblable à aujourd’hui ; « nous » avions de bonnes raisons de faire un pari apparemment plus risqué et nous avons gagné. Pourquoi ? »

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« Comme on pouvait s’y attendre, toutes les nations qui essaient de construire quelque chose sur les ruines du communisme sont aujourd’hui à la recherche de leur innocence bénie. Les individus veulent se dépeindre sous les traits de héros de la résistance ; ils souhaitent apparaître purs et remplis d’indignation, traquant les vrais coupables communistes. On a parfois l’impression que, durant les décennies communistes, la population était composée d’une poignée de misérables traîtres et d’une masse de nobles rebelles. L’histoire réelle fut bien différente. Certes, on trouve parmi les débris de l’ancien régime d’authentiques meurtriers, des hommes qui ont directement ordonné et mis en œuvre les tâches les plus odieuses : brutes de la police secrète, apparatchiks arrogants et fats, convaincus de l’éternité de leur pouvoir. Ceux-là sont méprisés à juste titre, certains devraient être punis. Mais la vérité, c’est que dans la plupart de ces pays les mouvements d’opposition anti-totalitaires ne comptaient qu’une infime minorité de gens. Ceux-ci ont sauvé l’âme de ces nations ; jusqu’à récemment, la plupart des autres préféraient changer de trottoir quand ils les croisaient. Une énorme majorité a cherché à survivre en s’adaptant à un « système » qui semblait devoir durer toujours, non par engagement enthousiaste aux idées communistes, mais par simple besoin de poursuivre une existence relativement sûre. »

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« Et puisque le communisme fut horrible (il l’a effectivement été), il sera normal de croire que le passé précommuniste, celui de la Russie des tsars en particulier, était une suite incessante de fêtes et de joies. Dans les deux cas, la perception populaire de l’histoire aura peu à voir avec la réalité. Rien ne sert de le déplorer. L’aveuglement est un élément nécessaire de l’existence, tant pour les individus que pour les nations. Il procure, à tous, la sécurité morale. »

Pages 13-38

Pologne : réfutation de trois arguments « irréfutables »

« Nous connaissons à la fois l’histoire et sa leçon, fort simple : essayer d’apaiser un impérialisme agressif en encaissant ses viols répétés est le moyen le plus sûr de provoquer ce que précisément l’on veut éviter : la guerre générale. »

Page 51

Où sont les barbares ? Les illusions de l’universalisme culturel

« Cette aptitude à se mettre soi-même en question, à abandonner – non sans une forte résistance, bien sûr – sa propre fatuité, son contentement de soi pharisien, est aux sources de l’Europe en tant que force spirituelle. Elle donna naissance à l’effort de sortir de la clôture « ethnocentrique » et elle a défini cette culture. Elle en a défini la spécificité et la valeur unique en tant que capacité de ne pas persister dans sa suffisance et sa certitude éternelles. Finalement on peut dire que l’identité culturelle européenne s’affirme dans le refus d’admettre une identification achevée, par conséquent dans l’incertitude et l’inquiétude. Et quoiqu’il soit vrai que toutes les sciences, naturelles et humaines, ou bien sont nées ou bien ont atteint leur maturité (relative, bien sûr) à l’intérieur de la culture européenne, il y en a une qui est européenne par excellence, par son contenu même, et c’est l’anthropologie, c’est-à-dire le travail qui présuppose la suspension de ses propres normes, jugements et habitudes mentales, morales et esthétiques pour pénétrer le plus possible dans le champ de vision d’autrui, pour s’assimiler sa manière de percevoir (j’ai en vue l’anthropologie contemporaine, non pas celle de Frazer ou de Morgan). Et bien que peut-être personne ne puisse prétendre y avoir réussi parfaitement, bien que la réussite parfaite présuppose une situation épistémologique impossible – être entièrement à la place de l’objet de la recherche et garder en même temps l’esprit détaché et objectif d’un savant –, leur effort n’est pas vain. On ne peut pas arriver complètement à la position d’un observateur qui se regarde soi-même du dehors, mais on peut le réaliser en partie. Qu’un anthropologue ne puisse comprendre le sauvage de façon complète qu’en devenant le sauvage, donc qu’en cessant d’être anthropologue, cela paraît évident. Il peut suspendre des jugements, mais cet acte même de suspension a des racines culturelles : c’est un acte de renoncement qui n’est faisable que de l’intérieur d’une culture spécifique qui l’a rendu possible, d’une culture qui s’est montrée capable de cet effort pour comprendre l’autre parce qu’elle avait su se mettre elle-même en question. »

Pages 64-65

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« Quiconque dit en Europe que toutes les cultures sont égales, n’aimerait généralement pas qu’on lui coupe la main s’il triche avec le fisc ou qu’on lui applique la flagellation publique – ou, dans le cas d’une femme la lapidation – s’il couche avec une personne qui n’est pas légalement sa femme (ou son mari). Si l’on dit, dans un cas pareil, « c’est la loi coranique, il faut respecter les autres traditions », on dit en effet : « ce serait terrible pour nous, mais c’est bon pour ces sauvages » : par conséquent, ce qu’on exprime, c’est moins le respect que le mépris des autres traditions et la phrase « toutes les cultures sont égales » est la moins propre à décrire cette attitude.

Mais si on s’efforce de rester dans sa propre tradition et en même temps de garder le respect des autres, on tombe tout de suite dans l’antinomie du scepticisme que je viens de mentionner. En effet, nous affirmons notre appartenance à la culture européenne précisément par notre capacité de garder une distance critique envers nous-mêmes, de vouloir nous regarder par les yeux des autres, d’estimer la tolérance dans la vie publique, le scepticisme dans le travail intellectuel, la nécessité de confronter toutes les raisons possibles aussi bien dans les procédures de la loi que dans la science, bref de laisser ouvert le champ de l’incertitude. En admettant tout cela, nous proclamons – explicitement ou non, qu’importe – que la culture qui a su articuler fortement ces idées, lutter pour leur victoire et les introduire, même imparfaitement, dans la vie publique, est une culture supérieure. Nous nous croyons barbares si nous nous comportons en fanatiques, si nous sommes intolérants au point de ne pas vouloir peser les raisons des autres, de ne pas savoir nous mettre nous-mêmes en question : par conséquent, il nous faut considérer comme barbares les autres qui sont emprisonnés de la même façon dans leur exclusivisme, les fanatiques d’une autre tradition. On ne peut pas être sceptique au point de ne pas voir la différence entre le scepticisme et le fanatisme ; en effet, cela équivaudrait à être sceptique au point de ne pas l’être. »

Pages 69-70

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« Dès lors que nous ouvrons la bouche, nous sommes sous contrainte. »

Page 71

La politique et le diable

« Si nous voulons comprendre la façon dont Dieu procède, il nous faut garder présentes à l’esprit les raisons pour lesquelles il ne peut tout simplement ordonner au diable de disparaître, ni le mettre aux fers pour le rendre inoffensif. La réponse que la théodicée chrétienne ne cesse de donner depuis des siècles est que la raison et la capacité de faire le mal (c’est-à- dire la liberté) sont inséparables, et qu’en créant des créatures raisonnables – qu’il s’agisse d’hommes ou d’anges – Dieu se condamnait à en payer le prix.
Cette idée qui est au cœur de la théodicée a été clairement formulée par les premiers penseurs chrétiens. Elle est intégralement contenue, encore que de façon virtuelle, dans cette remarque de saint Basile le Grand disant dans une de ses homélies que blâmer le Créateur de ne pas nous avoir faits incapables de pécher revient à préférer une nature irrationnelle et passive à une nature rationnelle, active et libre (Migne, Patr. gr., vol. XXXI, p. 346). »

Page 129

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« Au reste, faire le bien par contrainte est une contradiction dans les termes. »

Page 136

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Ce qui est vivant (et ce qui est mort) dans l’idéal socio-démocrate

« L’ennui, avec la doctrine social-démocrate, c’est qu’elle ne contient, ni ne propose, aucun des excitants produits idéologiques que les mouvements totalitaires – communistes, fascistes ou gauchistes – offrent à une jeunesse affamée de rêve. Elle n’a pas de solution ultime à toutes les calamités de l’existence, ne prescrit rien pour le salut définitif de l’humanité, elle ne peut pas promettre le feu d’artifice de la révolution finale pour régler à jamais tous les conflits et toutes les luttes. Elle n’a pas inventé de procédés miraculeux pour instaurer l’union parfaite entre les hommes ou la fraternité universelle ; elle ne croit pas à une victoire finale, facile sur le mal. Elle n’est pas divertissante ; elle est difficile, ingrate, et elle ne souffre pas d’aveuglement volontaire. »

Pages 153-154

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« La doctrine social-démocrate admet cette incontournable vérité que beaucoup des valeurs qu’elle honore se limitent l’une l’autre et qu’elles ne peuvent se réaliser qu’à travers des compromis, souvent pénibles et maladroits. »

Page 154

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« Il nous faut admettre que le principe de la règle majoritaire doit être modéré par le principe des droits de l’individu sur lesquels aucune majorité ne peut empiéter, et que le concept des droits de l’homme s’impose indépendamment des décisions de la majorité. »

Page 157

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Comment être « socialiste-conservateur-libéral »

« Pour autant que je puisse en juger, ces idées directrices ne se contredisent nullement. On peut donc être un socialiste-conservateur-libéral, ce qui revient à dire que ces trois qualificatifs représentent désormais des options qui ne s’excluent pas mutuellement. Quant à la grande et puissante Internationale que je mentionnais au début, elle n’existera jamais parce qu’elle ne peut promettre aux gens qu’ils seront heureux. »

Page 181

Kola

 

 

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